: Récit Emmanuel Macron à Kiev : train couchette, abris de secours, agents du renseignement... Une visite surprise sous haute sécurité
Le président français a pris le train en Pologne avec Mario Draghi et Olaf Scholz, avant de gagner la capitale ukrainienne, où le président roumain les a rejoints. Un voyage longuement préparé, mais resté secret jusqu'à la dernière minute.
Un trio pour l'Ukraine. Emmanuel Macron s'est rendu à Kiev pour la première fois depuis le début de l'attaque russe en Ukraine, jeudi 16 juin, avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président du Conseil italien, Mario Draghi. Un déplacement historique, organisé dans le plus grand secret.
Le voyage commence dans l'anonymat de la gare de Medyka en Pologne, à 500 mètres de la frontière avec l'Ukraine. Un train couchette affrété par l'Ukraine, stationné à côté de convois de marchandises, attend les chefs d'Etat. Une frappe de missile, une attaque par un groupe pro-russe ou un sabotage sur le parcours du convoi constituent les principales menaces. Pour écarter tout risque de coupure d'électricité sur la voie ferrée, une locomotive diesel a été ajoutée à la motrice qui tire le train.
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Vers 23 heures mercredi, les dirigeants et leurs équipes accèdent au quai, couvert de mauvaises herbes. Le personnel de bord attend les trois délégations qui disposent chacune de quatre wagons, avec de petits cartons floqués des drapeaux français, allemand et italien. Un peu partout, des policiers sont alignés. Peu après être montés à bord, les trois chefs d'Etat se retrouvent dans le coin salon de la voiture française. Pour y accéder, Mario Draghi traverse le couloir de la voiture réservée aux journalistes. La scène est immortalisée par les photographes. L'horloge affiche alors 00h54, la discussion va durer jusqu'à 2 heures.
Une centaine d'agents du renseignement des trois pays sont à bord, écrit le Corriere della Sera (en italien), ainsi que des diplomates et des journalistes. Quelque 300 soldats ukrainiens assurent aussi la sécurité du convoi. Emmanuel Macron évoque "un moment important" à sa descente du train à Kiev, au terme de dix heures de voyage. Les dirigeants sont accueillis par leurs ambassadeurs et la vice-Première ministre ukrainienne, Iryna Vereshchuk. Peu après, la sirène anti-aérienne retentit pour la première fois de la journée. C'est ensuite au tour de président roumain Klaus Iohannis d'arriver en gare, pour rejoindre ses homologues.
Abris de secours prévus en cas d'alerte
Le quatuor prend la direction d'Irpin, une ville détruite à 80%, située à 25 kilomètres au nord de Kiev. Objectif pour Emmanuel Macron et Olaf Scholz ? Afficher un soutien entier à l'Ukraine, où l'on ne cache plus une certaine déception à leur endroit. Le dirigeant français a été critiqué pour avoir affirmé qu'il ne fallait pas "humilier" la Russie. Olaf Scholz incarne, lui, une Allemagne à qui Kiev reproche l'insuffisance de ses livraisons d'armes. "Aujourd'hui, il faut que l'Ukraine puisse résister et l'emporter, clame Emmanuel Macron. Nous sommes aux côtés des Ukrainiens et des Ukrainiennes sans ambiguïté."
Les quatre dirigeants déambulent devant des bâtiments détruits par les combats et une voiture calcinée. Ils visionnent également une vidéo, puis des photographies montrant les horreurs de la guerre, exposées sur des chevalets. Le dispositif de sécurité est omniprésent. Dix jours auparavant, des policiers français étaient arrivés sur place, précise France Inter, afin d'identifier des abris et des "itinéraires d'extraction" pour chaque visite. A Irpin, ils avaient notamment repéré des caves et sous-sol d'immeubles dévastés. Le plus gros risque : une attaque massive de missiles.
La délégation ukrainienne est emmenée par Oleg Bondar, du service d'urgence de l'Etat, et Oleksiy Kuleba, chef de l'administration militaire régionale de Kiev. Les dirigeants sont conduits jusqu'à la carcasse d'une Hyundai éventrée et criblée de balles. La conductrice est morte avec ses enfants. Olaf Scholz est interrogé par la presse mais ne répond pas. Les visages sont graves face à l'ampleur des destructions et des crimes commis sur les lieux. Emmanuel Macron marque une pause devant un dessin sur un mur, accompagné du message : "Make Europe Not War" ("Faites l'Europe, pas la guerre").
Les Russes "ont détruit des écoles maternelles, des terrains de jeux. Tout sera reconstruit", promet Mario Draghi à l'issue de cette visite. A 750 kilomètres de là, l'ancien président russe Dmitri Medvedev raille les visiteurs du jour, qualifiés "d'amateurs de grenouilles, de saucisses de foie et de macaronis" et accusés de s'adonner à la "horilka", un alcool local.
Des alertes aériennes ponctuent la visite
Les quatre dirigeants européens se rendent ensuite au Palais Marinskiï de Kiev où ils sont reçus par Volodymyr Zelensky, vêtu de son désormais habituel t-shirt kaki. C'est enfin l'occasion pour Emmanuel Macron de s'entretenir en chair et en os avec son homologue ukrainien, après les longues heures passées au téléphone ces derniers mois. Pendant la conférence de presse, diffusée en différé sur les chaînes de télévision pour des raisons de sécurité, les journalistes sont privés de leur téléphone portable, là encore pour éviter tout risque sécuritaire. La tension est grande ; la sirène anti-aérienne retentit de nouveau pendant les pourparlers.
Lors de cet échange, Emmanuel Macron annonce la livraison de six canons Caesar, en supplément des douze déjà livrés. Les quatre dirigeants européens plaident également pour accorder le "statut de candidat immédiat" à l'UE pour l'Ukraine. Ils seront entendus le lendemain par la Commission européenne. Emmanuel Macron termine son intervention en déclamant un passage de l'hymne de l'Ukraine, en ukrainien : "L'Ukraine n'est pas morte !" Et termine sa visite sur une rencontre avec les gendarmes français déployés à Boutcha, dans le cadre des enquêtes sur les crimes de guerre imputés aux forces russes.
Sur le chemin du retour, Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi se retrouvent pour échanger leurs impressions de la visite. Ils arrivent vendredi matin à Przemysl (Pologne) après cette nouvelle nuit dans le train, tracté par une "VLIO-1310", locomotive russe. Une heure avant l'arrivée à la frontière polonaise, le Premier ministre italien Mario Draghi rejoint le président français pour une rencontre bilatérale. Interrogé par l'AFP après le périple, l'un des officiers de sécurité ne cache pas son soulagement : "Tout s'est très bien passé."
"Je veux adresser un message de soutien aux Ukrainiens. Les semaines qui viennent, on le sait, seront très difficiles."
— C à vous (@cavousf5) June 16, 2022
Des corps au sol, des villes détruites... Lors de sa visite en Ukraine, pays ravagé par la guerre, Emmanuel Macron a répondu à @MohamedBouhafsi ⬇️#CàVous pic.twitter.com/sWDlPj3vHp
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