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Reportage A Nice, la diaspora ukrainienne envoie ses camions vers le front : "Les gens sur place comptent sur nous"

Article rédigé par Yann Thompson - Envoyé spécial à Nice
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Oleg Mazur, responsable d'une entreprise de transport entre la France et l'Ukraine, supervise la préparation d'un convoi d'aide humanitaire, le 1er mars 2022, à Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes).  (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Depuis l'invasion russe, les Ukrainiens de la Côte d'Azur tentent de monter une base arrière de la résistance et préparent des livraisons destinées aux civils et aux militaires dans leur pays.

Gare de Beaulieu-sur-Mer, en périphérie de Nice (Alpes-Maritimes), lundi 28 février, 23h30. Deux camionnettes blanches déboulent sur le parking, drapeau jaune et bleu sur le tableau de bord. Oleg Mazur et ses chauffeurs serrent le frein à main, au terme d'un périple de trois jours qui les a conduits des Alpes-Maritimes jusqu'aux lignes arrière de la guerre en Ukraine. "On s'est sentis comme des soldats en mission, glisse cet Ukrainien de 35 ans. On a apporté des vivres et du matériel militaire car les gens sur place comptent sur nous. On est déjà prêts à repartir."

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Oleg Mazur connaît bien ces routes. Avant l'invasion de son pays par l'armée russe, ce patron d'une petite entreprise de transport convoyait des marchandises et des touristes entre la Côte d'Azur et la commune ukrainienne de Tchernivtsi, près de la frontière roumaine. Plutôt que de passer par La Poste, plus chère et plus lente, les familles lui confiaient des cadeaux pour leurs proches. Certains montaient même à bord pour économiser un billet d'avion.

Voilà désormais ce père de trois enfants reconverti en transporteur de guerre, dans une version revisitée des "Taxis de la Marne", qui avaient conduit des soldats français jusqu'au front pendant la Première Guerre mondiale. Des taxis de l'Azur forment à présent le maillon central de la mobilisation de la diaspora à Nice. En se joignant à l'effort de guerre, la communauté ukrainienne des Alpes-Maritimes trouve un remède à l'impuissance et la culpabilité qui la rongent, si loin du pays.

Un convoi sous escorte policière

Partis de France samedi avec plus de quatre tonnes de cargaison, Oleg Mazur et ses trois chauffeurs ont atteint la frontière ukrainienne le lendemain. Côté roumain, ils ont découvert "des exilés à perte de vue" et "des camps montés pour ceux partis de chez eux, sans rien". "On leur a donné la moitié de nos vivres", raconte le transporteur, dos courbé.

Escorté par la police ukrainienne, qui lui a ouvert la route, Oleg Mazur a ensuite foncé jusqu'au quartier général de la défense territoriale de Tchernivtsi. "La situation est encore calme là-bas. Les rues étaient désertes, barricadées. Ce n'était pas effrayant, c'était désolant."

"J'ai déposé les cartons dans le gymnase où mon fils jouait encore au foot il y a quelques jours. C'était triste."

Oleg Mazur, responsable d'un convoi vers l'Ukraine

à franceinfo

Le trentenaire n'a pas eu le temps d'embrasser ses parents, restés sur place, ni de revoir son appartement, abandonné trois jours avant l'invasion. Il a rebroussé chemin et, en Roumanie, a embarqué quatre femmes et un enfant qui avaient fui l'Ukraine pour trouver refuge en Italie. "Elles ont fondu en larmes dès qu'on a commencé à parler de la guerre", rapporte Oleg Mazur. Les 2 000 km du retour ont été avalés à la force des paupières, avec une devise : "Nos soldats, non plus, ne dorment pas."

A Nice, mobilisation générale

Pendant que les chauffeurs faisaient la route, la communauté ukrainienne de Nice préparait déjà le prochain trajet. Chacun à son poste, lundi, dans un supermarché de la ville : deux Ukrainiennes à chaque entrée et deux autres devant les caisses, pour une collecte humanitaire initiée par Elena Datsiuk, ancienne employée du magasin. Installée sur la Côte d'Azur depuis trois ans, cette native de Kiev combat sa peur de la guerre à coups de pilules anti-stress, de somnifères et "de mobilisations collectives".

Les chariots débordent vite de couches, de pâtes et de conserves. "Nous, les filles, on récolte les dons pour les populations civiles, explique l'étudiante en lettres de 25 ans. Pendant ce temps, les garçons sont chargés de l'équipement militaire défensif. Mon mari est un ancien de la Légion étrangère. Avec ses amis, il active ses réseaux pour trouver des casques ou des gilets pare-balles."

Elena Datsiuk et des volontaires ukrainiens rangent des dons collectés auprès de clients d'un supermarché de Nice (Alpes-Maritimes), le 28 février 2022. (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Sur les hauteurs de la ville, Olga Monakh est l'une des pilotes de la résistance, organisée notamment par l'Association franco-ukrainienne Côte d'Azur. Cette pianiste concertiste, née à Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, lourdement bombardée mardi, joue de ses relations pour obtenir la mise à disposition d'une grande salle municipale. "Nous sommes submergés de propositions de dons, mais nous n'avons aucun endroit à Nice vers lequel renvoyer les gens, déplore-t-elle. Bientôt, il y aura aussi la problématique de l'accueil des exilés, qui commencent à arriver."

"Depuis cinq jours, je ne dors plus", confie l'activiste, qui passe ses soirées sur internet à soutenir le moral de ses proches dans les bunkers. Dans son jardin, au milieu des jouets d'enfants, reposent des pancartes hostiles à Vladimir Poutine, bricolées pour les récentes manifestations sur la promenade des Anglais. Un drapeau ukrainien flotte au-dessus de la terrasse.

Un nouveau départ vers l'Ukraine

Mardi matin, après une courte nuit auprès de sa femme et de ses enfants, qu'il a conduits en France juste avant la guerre, Oleg Mazur reprend du service avec ses "taxis". Une première fourgonnette est sur le départ. Pantalon kaki et lunettes de soleil sur le front, l'un des deux chauffeurs, qui tient à rester discret, dit être un ancien policier de l'anti-banditisme ukrainien. Exilé en France depuis 2003 et reconverti dans l'immobilier azuréen, il laisse entendre qu'il pourrait rester en Ukraine, au sein de l'armée. 

"Ma fille de 13 ans ne voulait pas que je parte et a caché mon passeport, raconte-t-il. Mais j'en ai un deuxième. Elle sait que je m'en vais et on s'est dit au revoir devant le collège." 

"Je verrai sur place si on a besoin de moi."

Un chauffeur du convoi

à franceinfo

Le coffre est rempli de matériel militaire et deux jeunes femmes, l'air grave, prennent place sur les banquettes arrière. "L'une est médecin, elle veut prêter main-forte au service de santé de l'armée, assure Oleg Mazur. L'autre part chercher ses enfants restés en Ukraine. Des hommes qui veulent combattre vont aussi prendre la route, mais leur départ se fera depuis Paris."

Un chauffeur ukrainien salue un autre volontaire avant de prendre la route, le 1er mars 2022, à Saint-Laurent du Var (Alpes-Maritimes). (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Dans la soirée, une autre camionnette démarre, ainsi qu'un camion de 22 tonnes chargé durant l'après-midi. L'heure d'un nouveau départ a sonné pour Oleg Mazur, qui s'est offert 40 minutes en famille. Avant de mettre le contact, le père de famille a tenu à allumer des bougies : "C'est l'anniversaire de mon petit dernier, qui fête ses 3 ans aujourd'hui. Je ne sais pas quel âge il aura quand il rentrera en Ukraine."

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