Reportage
Ukraine, deux ans de guerre : derrière la détermination, le temps des doutes

Le conflit contre la Russie suscite une forte lassitude parmi les soldats et les civils ukrainiens. Franceinfo a pu le constater au front et à Kiev.
Radio France
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Un immeuble de Kiev dévasté par un bombardement russe. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

Robotyne est un petit village de trois kilomètres carrés seulement, mais qui représente l'une des grandes victoires ukrainiennes pendant la contre-offensive qui, elle, a été en échec au printemps dernier. Nous sommes allés voir une compagnie de la 65e brigade. Ce sont des fantassins, les soldats qui progressent à pied, les hommes des tranchées en quelque sorte. Igor et les militaires de sa compagnie ont été envoyés ici au printemps dernier. Ils participent alors au début de l'offensive et les premières semaines, ils progressent, raconte Igor. "On a progressé à pied à travers ces champs de mines très denses. Il y avait jusqu'à trois mines par mètre carré. C'était trop. Et là, tu avances dans les bosquets. Tu ne sais pas où est caché ce salopard qui veut te tuer. C'est ça, la réalité."

Mais après, plus rien. Fin de l'avancée, les Russes étaient très bien préparés. Le doute s'installe alors dans la tête de ces hommes, à l'image de Vitali. "Les Russes ont considérablement fortifié leurs lignes de défense. Ce sont les roquettes antichars qui ont causé toutes ces pertes de nos blindés. Et les gars qui tiraient ces roquettes n'étaient pas des mobilisés, mais des militaires professionnels. Ils ont été efficaces dans la destruction des chars occidentaux." Ensuite, la liste des doutes s'allonge. Des adversaires mieux équipés que prévu, et de leur côté, une pénurie de munitions et d'hommes, aussi. Une compagnie, par exemple, compte une centaine d'hommes normalement. Celle d'Igor, seulement une trentaine. "Ça ne peut plus durer comme ça longtemps. On n'est pas en acier. On n'est pas des robots. Les éclats n'épargnent personne, pas même les bons soldats. Depuis qu'on est dans ce secteur, il y a eu beaucoup de morts. Vu notre état psychologique, tôt ou tard on va péter les plombs."

Rien que le mois dernier, cinq hommes sont morts dans cette compagnie. Presque autant de blessés. Ce constat froid comme la guerre l'amène à se demander si un jour il ne faudra pas négocier. "Si la guerre doit durer longtemps, nous qui sommes positionnés ici, nous n'en verrons pas le bout. C'est la réalité. Soit il y a un jour des négociations, soit on les bute un à un avec plus d'artillerie. Mais on n'en a pas." Les Russes tentent de reprendre Robotyne. Ils ont commencé leur marche en avant il y a quelques jours. Ce n'est qu'un village, c'est vrai. La portée militaire n'est pas énorme, mais elle est symboliquement très importante pour l'Ukraine.

À Kiev, les bombardements rythment le quotidien 

Le front est une bande qui fait 1 100 kilomètres à l'est et au sud de l'Ukraine. Et cette guerre ne touche pas tout le territoire ukrainien de la même manière. Mais même à l'arrière, à Kiev, la capitale, les bombardements rythment le quotidien des habitants. Et la dernière grande salve, c'était il y a deux semaines, le 7 février : cinq morts, une trentaine de blessés dans un immeuble du sud de Kiev. Nous sommes retournés sur place, au pied d'un très gros bloc résidentiel de 17 étages sur lequel sont tombés les débris d'un missile russe abattu par les Ukrainiens. Un incendie s'est déclenché et une partie de la façade est complètement noircie. On y a retrouvé Nadia, l'une des habitantes rescapées. "Mon appartement, c'est celui-là. Au 11ᵉ étage." On y monte, l'ascenseur ne fonctionne pas.

Nadia, 22 ans, dans l'immeuble de Kiev où elle habitait et qui a été détruit par une frappe russe. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

Nadia a 22 ans. Elle vivait là avec sa mère et son petit frère mais depuis la frappe, ça n'est plus habitable. "Il faisait très froid et du coup tout le monde est parti." À l’intérieur, on perçoit bien les traces de cette onde de choc. Nadia a filmé après le bombardement, avec son téléphone. On y voit les gravats, la fumée, dans les minutes qui ont suivi le début de l'incendie. Et maintenant, un air de chaos. Ici, une porte complètement fondue, là des tapisseries qui se sont décollées " à cause de fuites d'eau". Les vitres du balcon aussi, comme une petite loggia, ont volé en éclats. Il y a deux trous béants dans le béton brut. Et 15 jours après, Nadia n'en revient toujours pas. "Tous ces missiles... Je n'ai jamais pensé que ça puisse tomber un jour sur mon immeuble. D'ailleurs, depuis deux ans, je n'étais jamais descendue dans l'abri pendant les alertes parce que chaque fois, le missile était abattu un peu plus loin. Mais là, voilà, c'est tombé sur nous."

Nadia et sa famille sont relogées en ce moment chez des connaissances. La ville doit bientôt leur proposer une chambre pour eux trois. Mais Nadia ne se plaint pas parce que deux étages plus haut, où elle nous emmène, au 13ᵉ, tout est parti en fumée et sa voisine est morte. "Elle avait 39 ans. À deux étages près, c'est moi qui aurais pu mourir." Quatre cents morts recensés ont été recensés dans la capitale ukrainienne depuis deux ans, chiffre donné par la mairie de Kiev.

En Russie aussi, la lassitude se fait sentir

Dans l'autre camp, en Russie, la journée des défenseurs de la patrie est célébrée vendredi 23 février. Et Vladimir Poutine a pris la parole dans une vidéo pour saluer "les héros authentiques" qui combattent en Ukraine. À Moscou, la situation n'est évidemment pas comparable à ce que vit l'Ukraine. Mis à part quelques zones frontalières en Russie, le territoire n'est pas sous la menace de bombardements et la plupart des Russes le disent, leur vie n'a pas fondamentalement changé. Mais là-bas aussi, de nombreux Russes sont fatigués de cette guerre qui dure.

Évidemment, cela s'exprime de façon certainement plus discrète ou plus ambiguë qu'en Ukraine. La loi interdit formellement de contester "l'opération militaire spéciale", comme l'appelle le Kremlin, de quelque façon que ce soit. Mais ce sentiment de fatigue, de ras-le-bol, de lassitude, se ressent chez les Russes. Des Russes qui ne s'informent plus, pour beaucoup d'entre eux. C'est peut-être le point commun, s'il fallait en trouver un, avec la société ukrainienne. Aujourd'hui, certains nous disent qu'ils coupent leur téléphone pour ne plus passer la journée à faire défiler les mauvaises nouvelles du front.

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