Tensions militaires à la frontière russo-ukrainienne : comment les Etats-Unis et l'Europe peuvent-ils agir pour éviter l'escalade ?
L'Otan cherche encore la réponse à apporter à la Russie, qui continuer d'envoyer des troupes à la frontière de l'Ukraine. Les sanctions économiques sont régulièrement évoquées, mais comme les réponses militaires, elles sont avant tout des outils de négociations.
Depuis plus d'un mois, les mouvements militaires massifs de la Russie vers la frontière de l'Ukraine, documentés par de nombreuses vidéos amateurs, inquiètent l'est de l'Europe. Kiev met en garde contre une invasion, tandis que les Etats-Unis et l'Union européenne réaffirment leur attachement à sa souveraineté. La crise actuelle est d'ailleurs à nouveau inscrite au programme du sommet du Conseil européen, qui se tient à Bruxelles jeudi 16 et vendredi 17 décembre. Quelles réponses peuvent-ils apporter pour désamorcer la situation ?
Sur le plan diplomatique : les Etats-Unis à la manœuvre
Il est encore possible de résoudre "par la diplomatie" cette montée des tensions entre Moscou et Kiev, a affirmé la responsable américaine Karen Donfried, au G7 de Liverpool, le 11 décembre. Depuis les débuts de la guerre du Donbass en 2014, cette négociation est principalement passée par des discussions entre les dirigeants de quatre pays (Ukraine, Russie, Allemagne, France), surnommé le "format Normandie", du nom d'une réunion quadripartite survenue au début du conflit.
Dans la crise actuelle, elle a surtout pris la forme d'échanges directs et tendus entre les Etats-Unis et la Russie, comme le sommet virtuel entre Joe Biden et Vladimir Poutine, le 7 décembre. Le président russe a ainsi appelé les Etats-Unis et l'Otan à des négociations "immédiates", dans un communiqué diffusé par le Kremlin et daté du 14 décembre. Le "format Normandie" n'apparaît pas à l'ordre du jour et Vladimir Poutine continue d'ignorer les appels au dialogue du dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky.
"Une des hypothèses, c'est que la Russie crée cette escalade pour provoquer un dialogue direct avec les Américains et récupérer un statut de puissance internationale", explique Edouard Simon, directeur de recherche à l'Ifri, interrogé par franceinfo. Il faut dire que la principale demande de Vladimir Poutine – une garantie que l'Ukraine ne puisse pas intégrer l'Otan à l'avenir – a déjà été refusée par l'alliance. "Une communauté qui porte des valeurs démocratiques ne pourrait pas retirer à l'Ukraine sa souveraineté en l'empêchant de faire sa demande d'adhésion", rappelle Edouard Simon.
Dans ce contexte, les appels d'Emmanuel Macron à "engager un travail et un processus d'apaisement" avec Moscou et à "réengager [Vladimir Poutine] dans des formats de coordination avec nous", sont pour le moment restés lettre morte. La rhétorique belliqueuse de la Russie, qui menace de déployer des missiles nucléaires en Europe, peut être interprétée comme un blocage des négociations. Mais "certaines analyses expliquent que l'objectif de la Russie est de tester le seuil de sensibilité de l'Otan et le pousser le plus loin possible, pour récupérer des marges de manœuvre géopolitique", souligne le chercheur. L'escalade rhétorique de Moscou pourrait justement servir à revenir à la table des négociations, dans une position plus avantageuse.
Sur le plan économique : des sanctions "jamais vues" ?
L'Otan suit une logique similaire, mais utilise une autre forme de menace : celle du portefeuille. Elle avait déjà été mise en application en 2014 lors de l'invasion de la Crimée, mais "les sanctions prises jusqu'ici n'ont pas eu beaucoup d'effet", rappelle Christine Dugoin-Clément, chercheuse spécialisée sur l'Ukraine pour le think tank CapEurope, interrogée par franceinfo. Cette fois, l'Europe évoque "un renforcement et une extension solides des régimes de sanctions existants", et les Etats-Unis annoncent des sanctions économiques "comme la Russie n'en a jamais vu" en cas d'attaque. Quelles formes pourraient-elles prendre ?
Le blocage du nouveau gazoduc Nord Stream 2 est la piste principale. "En cas de nouvelle escalade, ce gazoduc ne pourrait entrer en service", a déclaré la ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, le 12 décembre. Ce projet doit faire transiter le gaz russe vers l'Allemagne en contournant l'Ukraine mais s'est attiré les foudres de Washington, qui craint que la Russie ne contrôle l'approvisionnement en énergie de l'Europe. "Le bloquer serait un coup important contre les intérêts de la Russie et représenterait une grosse perte pour elle, puisque les travaux sont déjà presque terminés", pointe Edouard Simon.
Toutefois, cette piste peut se révéler à double tranchant, notamment pour l'Europe qui traverse déjà une crise énergétique majeure.
"La Russie n'aura pas de problème à trouver d'autres acheteurs pour son gaz. Ceux qui paieront les effets d'une telle sanction seront probablement les Europeéns."
Edouard Simon, directeur de recherche à l'Ifrià franceinfo
Reste l'option nucléaire. "Les Etats-Unis agitent en filigrane la menace d'une exclusion du Swift", le système par lequel transite une grande partie des gros paiements internationaux, décrypte Christine Dugoin-Clément. "Cela reviendrait à exclure la Russie du système monétaire international et à la mettre presque au niveau de l'Iran." Couper la Russie des systèmes de paiement entraînerait toutefois des effets en cascade. "Cela mettrait l'UE dans l'embarras, vu la quantité d'énergie qu'elle achète à la Russie", rappelle la chercheuse.
Sur le plan militaire : éviter l'escalade
Face aux mouvements de troupes russes, la réponse des Etats-Unis et de l'Europe comporte aussi un volet militaire. Mais il reste pour le moment très mesuré, prenant la forme de manœuvres de reconnaissance : la France a envoyé des avions Rafale et Mirage 2000 au-dessus de la mer Noire, ainsi que la frégate Auvergne. Le président ukrainien Zelensky s'est même dit empêché par l'Allemagne d'obtenir des armes défensives.
Ce moyen de pression est loin d'être privilégié par Joe Biden, qui a déclaré le 8 décembre qu'envoyer des soldats américains n'était "pas sur la table". "L'Ukraine n'est pas membre de l'Otan et il n'y a pas d'accord qui impose à ses membres d'intervenir en cas d'agression", rappelle Edouard Simon. Même chose pour l'Europe, qui entend privilégier la négociation. Une réplique militaire servirait aussi Moscou.
"La Russie utilise l'argumentaire de la défense : elle dit agir en réaction à des provocations de l'Otan, de sorte à faire passer les Occidentaux pour les vrais agresseurs et les mettre en contradiction avec les valeurs qu'ils revendiquent."
Christine Dugoin-Clément, chercheuse au think tank CapEuropeà franceinfo
"La question, c'est quel message on doit envoyer pour apaiser la situation tout en évitant l'escalade ?" résume Edouard Simon. Nul doute que chez les diplomates européens et américains, la question est sur toutes les lèvres.
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