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Tribune Ukraine, Syrie... "La France doit prendre sa part dans l’engagement pour la paix", demandent des médecins

Dans une tribune sur franceinfo, les responsables de l'ONG Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) appellent les candidats à l'élection présidentielle à prendre position sur la guerre en Ukraine et sur les autres conflits "où le droit humanitaire international est bafoué".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des habitants du quartier d'Obolon à Kiev (Ukraine) après un bombardement le 14 mars 2022 (ARIS MESSINIS / AFP)

À moins d'un mois du premier tour de l'élection présidentielle en France, et alors qu'une guerre se déroule aux portes de l'Union européenne, deux médecins, anesthésistes-réanimateurs et responsables de l'UOSSM, appellent les candidats à se positionner sur la fin des hostilités, l'accueil des réfugiés, la reconstruction après les combats. En Ukraine, mais pas seulement. Ils soulignent que, d'Alep à Idlib, "la Syrie faisait office de prémices d’une politique militaire russe déjà à l'œuvre, laboratoire d’une stratégie du siège et de l’effroi."
Les signataires s'expriment ici librement. Le titre est de franceinfo.


Parce que nous avons une certaine idée de la France, notre appel aux candidats à l’élection présidentielle 2022.

La guerre s’est invitée au cœur de l’espace européen. Inédit, impensable, inacceptable, les condamnations pleuvent et la solidarité se met en branle à raison. Et pourtant ce n’était pas faute d’alerter et de crier à l’aide depuis 11 ans, non loin de là se déroulait déjà le pire…

Bombardements, villes assiégées, réfugiés en fuite sur les routes bondées, hôpitaux détruits etc. Nous, médecins humanitaires français et syriens et comme tous les Syriens dans le monde, sommes foudroyés par ce sentiment de déjà-vu tragique, cette réminiscence traumatique d’un désastre humanitaire, passé sous silence. C’est bien la Syrie dont il est question. Non pas pour mettre dos à dos Syriens et Ukrainiens, dans une concurrence morbide de la tragédie mais bien dans un rapprochement solidaire, dans une réciprocité ferme et sans faille de condamnation d’une stratégie militaire russe à l'œuvre depuis des années en Syrie, dont personne n’a tiré les leçons. 

Alep, Ghouta, Idleb…Elles ont vécu l’agonie d’une destruction méticuleuse. D’abord bombardées, puis assiégées, affamées, sans électricité ni chauffage ni eau potable, leurs habitants n’ont pas eu d’autre choix que de fuir leur foyer à l’intérieur du pays comme déplacés ou à l'extérieur du pays comme réfugiés de guerre si tant est que ce statut leur est accordé, le terme de migrant leur étant plus souvent accolé.

Nous revivons le même scénario en Ukraine. Selon les estimations de Janez Lenarcic, commissaire européen à l’aide humanitaire et à la réaction aux crises, "sept millions d'Ukrainiens vont être déplacés" et cela risque d’engendrer "la plus grande crise humanitaire sur notre continent depuis de très nombreuses années". Des chiffres non sans rappeler ceux des réfugiés syriens qui représentaient en 2021 un cinquième des réfugiés dans le monde, soit la plus grande crise de déplacés jamais connue. La Syrie faisait ainsi office de prémices d’une politique militaire russe déjà à l'œuvre, laboratoire d’une stratégie du siège et de l’effroi. Les Syriens ont vécu dans l’indifférence des sanctions internationales ce que vivent aujourd’hui les Ukrainiens. 

L’invasion et les bombardements sur l’Ukraine par l’armée de Vladimir Poutine nous rappelle avec amertume et colère l’enlisement de la guerre en Syrie, au temps où une révolution populaire s’est muée en guerre internationale avec la Russie en premier défenseur de l'innommable et de l’horreur :  la guerre chimique, les attaques aériennes sur les civils et les hôpitaux de façon indifférenciée, la mort directe ou indirecte par manque d’accès aux soins de près de deux millions de personnes en 11 ans, du déplacement de millions de populations et d’une génération d’enfants sacrifiée. L’entrave à l’accès humanitaire transfrontalier est aussi une constante avec une aide internationale empêchée par des couloirs humanitaires fermés ou réduits qui asphyxient les populations. 

Cette tribune n’a pas vocation à être une indignation de plus. À l’heure où les sujets internationaux, absents du débat des présidentielles 2022 durant de longs mois, se sont imposés de force, en cette date symbolique du 15 mars, qui marque le triste anniversaire de la révolution et de la guerre en Syrie, de la mort du droit humanitaire international et de l'échec de la communauté internationale à prendre sa part pour la paix, nous, soignants engagés en Syrie et solidaires du peuple ukrainien, prenons la parole. 

Les Français sont préoccupés par les questions internationales et humanitaires. Ils sont sensibilisés, mobilisés, fondamentalement humanistes. Pour preuve, notre pétition sur Change.org qui avait récoltée près de 200 000 signatures sur l’arrêt des bombardements et du ciblage des hôpitaux en Syrie. C’est au nom des Français et de leur solidarité que nous nous adressons à vous, qui postulez à l’autorité suprême de la présidence de la République. 

Nous vivons un moment de l’histoire, un tournant de la politique française et européenne, où la guerre s’est invitée sur notre continent. Nous ne pouvons plus l’ignorer comme nous l’avons fait pour d’autres conflits dont celui qui nous porte  depuis 11 ans en Syrie. 

La France doit prendre sa part dans l’engagement pour la paix en Ukraine, en Syrie, au Yemen et ailleurs, là où le droit humanitaire international est bafoué. Quelle sera votre voix ? Quelle part pour la France dans la défense du droit humanitaire international ? 

La communauté internationale a trop longtemps laissé faire en Syrie, la guerre éclate aujourd’hui en Ukraine, comment vous positionnerez-vous demain ailleurs dans le monde ?

Nous demandons solennellement au futur·e président·e, au-delà des vœux pieux, de nous présenter leur plan pour leurs 100 premiers jours.

- Que ferez-vous pour l’application des résolutions votées aux Nations Unies pour la mise en place d’une trêve immédiate et un cessez-le-feu ? (résolution 2401 de 2018 du Conseil de sécurité des Nations unies pour une trêve en Syrie et résolution A/ES-11/L.1 pour un cessez-le-feu immédiat en Ukraine)

- Que ferez-vous pour un engagement de toutes les parties aux conflits en Syrie et en Ukraine de se conformer à leurs obligations en vertu du droit international humanitaire, de protéger les populations et de garantir la protection des structures sanitaires ? 

- Que ferez-vous pour la mise en place immédiate d’une zone de désescalade de la violence en Ukraine et son respect en Syrie ?

- Que ferez-vous pour garantir un accès sans entrave à l’aide humanitaire et permettre l'ouverture et la protection de tous les couloirs humanitaires pour assurer un acheminement immédiat de l’aide internationale vitale en Ukraine et en Syrie ? Depuis 2020 en Syrie, seul un couloir humanitaire sur quatre est toujours ouvert pour l’acheminement de l’aide humanitaire internationale. 

- Que ferez-vous pour débloquer des fonds d’urgence pour la réhabilitation du système sanitaire, éducatif, alimentation, eau, logement en Syrie et prévenir une grave crise humanitaire en Ukraine ?

- Que ferez-vous pour garantir un exercice libre des organisations humanitaires d’intervenir sans restriction en Syrie et en Ukraine ?


Les signataires :

Dr. Ziad Alissa, président de l’UOSSM France, anesthésiste-réanimateur
Pr Raphaël Pitti, Responsable formation del’UOSSM France, anesthésiste-réanimateur

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