Ukraine : "Il va y avoir du blé" mais "à quel prix ?", s'interroge un spécialiste des marchés agricoles
La guerre entraîne un blocage des exportations ukrainiennes, notamment de céréales via la mer Noire et fait flamber les prix. Les Nations unies s'inquiètent d'un grave risque de famine, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, est en Turquie mercredi 8 juin pour discuter de l'instauration de couloirs maritimes et évoquer la possibilité pour l'Ukraine d'exporter ses récoltes bloquées dans ses ports. Un blocage qui fait flamber les prix et fait peser la menace d'une famine dans certains pays d'Afrique et du Moyen-Orient. "Du blé, il va y en avoir", mais "à quel prix", s'interroge sur franceinfo Arthur Portier, expert de l'analyse des cours des marchés internationaux agricoles. Ce consultant pour Agritel craint "des troubles sociaux" de grande ampleur mais pas forcément de "famine", dans les prochains mois.
franceinfo : A-t-on une idée du nombre de milliers de tonnes de blé qui sont coincées en ce moment en Ukraine ?
Arthur Portier : Alors, à ce jour, ce n'est pas seulement le blé. Ce sont toutes les céréales en grande partie, c'est-à-dire l'orge, le maïs et le blé, qui sont estimées entre 20 et 25 millions de tonnes bloquées sur le territoire ukrainien, ce qui est beaucoup. Ça représente des sommes assez importantes. Si vous prenez juste la production de blé l'année dernière en Ukraine, on était aux alentours des 33 millions de tonnes. Si vous prenez la production de maïs, nous étions aux alentours des 42 millions de tonnes. Mais il y a surtout la partie exportation. Lorsqu'on connaît la place de l'Ukraine dans les exports, notamment en blé, puisque c'est le quatrième exportateur au niveau mondial en 2021, automatiquement ça dérègle l'ensemble des flux mondiaux.
Alors, quelle est la conséquence de ce dérèglement ?
À ce jour, il y a plusieurs conséquences. La première est plutôt logistique, avec des blocages partiels ou totaux des ports ukrainiens. Donc, tout ce qui ne peut pas sortir par voie maritime doit se faire par voie terrestre. Et lorsque l'on sait qu'il faut au moins 50 trains pour remplacer un bateau, ça dérègle déjà la logistique interne.
Dans un second temps, vous avez des pays qui importent habituellement du blé ukrainien. Je pense à la Tunisie, qui va - par exemple - s'approvisionner à 45% habituellement en Ukraine. Le pays doit revoir ses flux, aller chercher du blé ailleurs. La demande va se concentrer vers quelques exportateurs dont fait partie la France, sur des niveaux de prix qui sont pour le moment plus élevés en raison de ce dérèglement que l'on a actuellement entre l'offre et la demande au niveau international. Cela peut créer des troubles sociaux dans bon nombre de pays importateurs. C'est cette demande qui a changé, qui s'est modifiée, qui fait flamber les cours en ce moment.
Les pays importateurs risquent-ils la famine ?
On peut difficilement employer le mot famine tout de suite. Ce qui est sûr, c'est qu'on peut parler de troubles sociaux. C'est-à-dire que du blé, il va y en avoir. Il y en a à l'échelle internationale. Maintenant, c'est à quel prix ? Est-ce que ce blé est accessible ? On a des disponibilités, il y a des volumes. La Russie va avoir une excellente récolte l'année prochaine. Maintenant, comment rendre ce blé disponible ? C'est tout le sujet de la rencontre entre les autorités russes et turques à Ankara en Turquie. Ça pose évidemment d'autres problèmes : politiques, géopolitiques et évidemment de consensus international à lever les sanctions sur la Russie notamment. Il y a des troubles sociaux à attendre dans bon nombre de pays et ça, c'est à craindre.
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