Arrestations arbitraires, menaces de mort : ce que relatent les récits des demandeurs d'asile
Lorsqu'un migrant fait une demande d'asile en France, il doit rédiger une lettre dans laquelle il détaille les motifs de sa demande. Francetv info a recueilli certains de ces documents et en publie des extraits.
"J'ai senti mon cou craquer, ils m'ont frappé et traîné dans le salon", "Un militaire a sorti son poignard, il a découpé la robe de ma mère"… Ces récits de vie ont été rédigés par des migrants dans le cadre de leur demande d'asile, avec l'aide de l'association Forum réfugiés.
Obtenir l'asile en France est un véritable labyrinthe administratif. Après avoir décroché une autorisation provisoire de séjour à la préfecture, le requérant doit envoyer un dossier à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dans lequel il détaille son histoire personnelle, sa fuite, ses craintes de persécution en cas de retour… La plupart du temps, les demandeurs ne parlent pas français et sont accompagnés par des interprètes au sein d'associations. "A partir de cette lettre, l'Ofpra évalue la véracité du récit, et décide d'accorder ou pas l'asile", explique-t-on à Forum réfugiés. Alors que la mort de 71 migrants dans des conditions tragiques en Autriche a ému l'Europe, jeudi 27 août, francetv info a collecté plusieurs de ces lettres, qui racontent des parcours de vie marqués par les persécutions.
Idriss, 32 ans : "J'ai été assommé et enlevé par des hommes cagoulés"
Né en 1983 à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), Idriss* est docteur en médecine, marié et père de deux enfants. Il appartient à l’ethnie bakongo, très présente dans la province du Bas-Congo. Il a fui son pays pour des motifs politiques.
"J'ai été assommé et enlevé par des hommes cagoulés dans la nuit du 6 mars 2004, alors que j'étais étudiant. J'ai été interrogé par différents agents qui voulaient connaître les noms d'autres étudiants contestataires. J'ai passé sept jours dans cette maison, interrogé et torturé, sous la menace d'être tué, si je ne mettais pas un terme à mes activités. Je n'ai pas renoncé. Lorsque je suis devenu médecin, j'ai commencé à mener une opposition plus active car je tenais à ce que mon pays devienne un État de droit.
J'ai fini par avoir de nouveaux ennuis. Le 12 avril 2010, je suis allé soutenir une manifestation d'opposition. La police a tabassé et arrêté les manifestants. Je suis resté trois jours en détention, dans un cachot sans fenêtre, ni coin toilettes, avec juste de l'eau à boire. Le quatrième jour on m'a donné du pain sec et j'ai pu me laver. J'ai ensuite été transféré dans une cellule sans fenêtre, sans toilettes, à dormir par terre. Des armes blanches étaient accrochées aux murs, elles servaient sûrement pour la torture. J'ai été libéré au bout d'un mois. Dans le cadre de mon travail, je voyageais beaucoup. Je rédigeais des rapports sur les abus du pouvoir que je remettais aux associations et médias, mais je n'ai pas tardé à être découvert. Une ONG m'a prévenu que les autorités avaient élaboré un plan pour m'éliminer et m'a vivement conseillé de quitter le pays. J'ai vendu une partie de mes biens pour payer mon billet d'avion et louer un passeport. Le 4 mars 2012, j'ai traversé le fleuve Congo en pirogue jusqu'à Brazzaville [en République du Congo voisine], puis j'ai pris un avion pour la France."
Soulyman, 22 ans : "Quand mon père est revenu, il était couvert de sang"
Soulyman a 22 ans. Avant d'arriver en France en 2010, il vivait à N'Djamena, la capitale du Tchad. Son père vend du bétail et des vêtements, et sa mère est femme au foyer. Arrêté en 2009 pour des raisons politiques, il effectue un bref passage en Arabie saoudite avant de se réfugier en France, séparé de sa famille.
"Mes problèmes ont commencé dans la nuit du 4 novembre 2009. (…) Des personnes du gouvernement sont venues arrêter mon père pendant la nuit. Ils portaient des tenues militaires (…). Ils ont cassé la porte. Mon frère est intervenu et a essayé de s'interposer mais ils l'ont frappé. Ma sœur et mon frère criaient. Ils ont pris les hommes et nous ont emmenés dans une Jeep. Des militaires se tenaient sur mon père pour qu'il ne bouge pas. On s'est retrouvés dans une cellule pendant un certain temps, puis des gens sont venus chercher mon père. Quand il est revenu, il était couvert de sang et avait les dents cassées. Il n'a pas dit un mot. Mon frère a pris sa chemise pour nettoyer mon père. Je me suis mis à pleurer, je ne comprenais rien de ce qu'il se passait.
Le lendemain, un militaire m'a emmené et m'a demandé qui étaient les amis de mon père. Je ne savais pas, j'ai dit qu'il en avait plein. Il m'a giflé et m'a frappé au ventre à chaque fois que je répondais à une question. Il m'a tapé avec sa tête sur les dents, a pris un bâton et m'a cogné. Je suis tombé par terre et j'ai perdu connaissance. Le quatrième jour, un oncle est venu nous chercher, mon père et moi, mais sans mon frère. Il m'a emmené chez lui en Arabie saoudite, et m'a dit que ma famille soutenait l'opposition et que je devais partir. Je suis arrivé à Paris le 12 janvier 2010. Je ne peux pas retourner chez moi car je risque d'être utilisé pour qu'on retrouve les autres membres de ma famille. Je ne sais pas où sont ma mère et mes sœurs, ni si mon frère est toujours en prison."
Haxhi, 35 ans : "On ne pouvait pas faire appel à la police, elle ne protège que les riches"
Haxhi est né il y a 35 ans à Prekaz, un des villages martyrs du Kosovo pendant la guerre en ex-Yougoslavie, dans les années 1990. A l'époque, une partie de ses proches est massacrée par les forces serbes. Au sortir du conflit, alors que la famille tente de surmonter ses traumatismes, Haxhi devient victime de brimades et de persécutions qui le poussent à l'exil.
"Après le conflit, mon père est devenu un peu fou, colérique, irritable, en tout cas avec moi. Il me rendait responsable de la mort de mon oncle et me demandait d'assumer financièrement sa famille, alors que j'étais encore jeune. Je ne comprenais pas pourquoi. Il réclamait tout le gain de mon travail, mais pas aux autres membres de ma famille. En 2009, j'ai rencontré ma compagne à la gare routière de la commune de Syriagane. Elle était mariée. Nous nous voyions en cachette, personne ne le savait. Cela a duré un peu moins d'un an avant qu'elle ne tombe enceinte.
Son père l'a su et a envoyé un message à ma famille : 'J'ai l'intention de tuer votre famille, plus particulièrement votre fils qui m'a déshonoré et a manipulé ma fille'. En rentrant chez moi, mon père a exigé que ma compagne se fasse avorter, qu'il ne reconnaîtrait jamais l'enfant. Il était furieux et m'a frappé en m'accusant de tous les maux de la famille. Il a pointé une arme sur moi et m'a jeté de la maison en disant qu'il me tuerait. Je me suis réfugié dans le village de ma compagne, mais j'ai été tabassé de nouveau par son frère. Il a appelé ses proches en disant : "Venez vite, il est ici !" J'ai compris que j'étais vraiment en danger. J'ai fui avec mon amie couverte d'hématomes. On ne pouvait pas faire appel à la police, elle ne protège que les riches. On ne pouvait pas s'installer dans un autre village, le pays est petit, on nous aurait retrouvés. Nous sommes partis dans un minibus pour l'étranger, le 28 février 2010. On ne savait pas pour quelle destination. Le 4 mars, nous étions à Lyon."
* Le prénom a été changé
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