Bloqués en Serbie, des milliers de migrants rêvent encore d'Europe : "On souffre et on attend depuis si longtemps"
Près de 5 000 migrants sont bloqués depuis trois jours dans le village serbe de Horgos, à la frontière avec la Hongrie. Epuisés et désorientés, ils cherchent de nouvelles voies pour rejoindre l'Union européenne.
"On fuit une guerre pour en retrouver une autre", se désole Bassi. Arrivé avec sa femme et ses deux petites filles il y a deux jours à Horgos, petite ville serbe, frontalière avec la Hongrie, le jeune papa syrien a déniché un coin de trottoir pour installer sa tente, et éparpillé des morceaux de carton pour s'asseoir. A l'heure du déjeuner, le repas est frugal : "Une association d'aide aux réfugiés nous a donné quelques fruits et du pain, mais on n'a rien d'autre." Cela fait deux jours que la famille, refoulée à l'entrée de la Hongrie, dort par terre, sans couverture et sans pouvoir se laver.
Bientôt trois longs mois que la famille a quitté la ville de Hassaké, dans le nord de la Syrie. Un long périple marqué par la faim, la fatigue, la peur et beaucoup d'attente. "On a pris un canot de Bodrum en Turquie avec d'autres migrants, puis on est arrivés en Grèce." De là, la famille a pris un bus vers la frontière avec la Macédoine, où ils sont restés quelques jours, sous la pluie, épuisés. Ils ont atteint Belgrade, la capitale serbe, en début de semaine. Mardi 15 septembre, un car les a menés en quelques heures à la frontière avec la Hongrie. "On ne savait pas où exactement, les policiers qui nous ont guidés étaient gentils avec nous. C'était sans doute pour nous éloigner, ils savaient qu'on serait bloqués."
L'espoir d'une réouverture de la frontière vers la Hongrie
Comme Bassi, près de 5 000 réfugiés espèrent depuis lundi 14 septembre, date à laquelle le gouvernement hongrois a fermé sa frontière avec la Serbie, pouvoir passer dans les prochains jours en Hongrie pour rejoindre l'Europe occidentale. Le long de la route d'asphalte qui traverse Horgos, des centaines de tentes multicolores s'alignent. Des groupes marchent en file indienne, les enfants dans les bras, des sacs de provisions à la main.
Originaires pour la plupart de Syrie, d'Afghanistan, d'Iran et d'Irak, certains sont venus en famille, d'autres se sont regroupés par nationalité ou au gré des rencontres faites le long de leur périple : "Nous, c'était dans le bus qui nous a emmenés d'Athènes à la frontière macédonienne", explique San, 16 ans, entouré d'une dizaine d'autres jeunes. Originaires de Ghazni, en Afghanistan, ils n'ont pas plus de 20 ans et rêvent tous de rejoindre la Suède. Ils ne savent pas comment, ni par où, mais restent "sereins". "Qu'importe la date. Là-bas, pas de guerre. Il y a de l'argent, du travail, on va pouvoir refaire notre vie."
Assis devant le portail d'une habitation, les garçons grignotent des grains de raisin et tapotent sur leurs smartphones : "On reste connectés le plus possible à Facebook", expliquent-ils, avec le sourire. "C'est la seule chose qui nous permet de garder un lien avec la famille." Chacun d'entre eux n'a plus qu'une vingtaine d'euros en poche, mais ils gardent espoir de passer la frontière hongroise avec : "On attend encore deux ou trois jours, et on pourra passer", assurent-ils.
Malgré leur petit optimisme, les jeunes hommes cherchent en permanence des nouvelles fraîches : "Des informations ? Vous savez ce qui se passe là-bas, côté hongrois ?" lancent-ils, dans un anglais timide, aux médias et aux policiers serbes. Même si presque tous possèdent un téléphone, le maigre réseau et la barrière de la langue les empêchent d'être informés rapidement, et donc de s'organiser : "On ne sait pas si toute la frontière avec la Croatie est ouverte, ni si on peut passer par la Roumanie", explique, dépité, Baram, un père de famille iranien. "Chercher l'info sans cesse, c'est épuisant."
Du pain, de l'eau, du thé et un peu de lessive
Non loin d'eux, Irène, 57 ans, tente d'aider sans compter. Elle ne comprend pas un mot d'arabe, mais, depuis trois jours, elle offre de l'eau, du pain, du thé, de la lessive et un accès aux prises électriques à tous ceux qui sonnent à sa porte. "J'ai reçu cinq personnes aujourd'hui", dit-elle d'une voix douce. "Je suis vraiment triste pour elles. Quand je vois ces scènes d'exode, j'ai l'impression de revenir dans les années 1990. Quand il y avait des bombardements en Serbie et qu'on fuyait tous."
A pied ou en taxi vers la Croatie
Pour la plupart des exilés, le dernier espoir pour atteindre l'Europe occidentale est la Croatie. Ce passage est le seul encore ouvert qui puisse mener vers l'Union européenne. Le Premier ministre croate, Zoran Milanovic, a d'ailleurs promis d'autoriser les migrants à traverser son pays sans encombre. Mana fait partie d'un groupe de Syriens prêts à tout pour partir de Horgos et atteindre la frontière : "On a appelé des taxis serbes pour qu'ils nous emmènent à la frontière croate, mais ils nous demandent trop d'argent, 300 euros pour cinq", raconte Mana, qui ne rêve que d'Allemagne ou de Pays-Bas. "On n'a pas d'argent, pas de passeport. C'est notre dernière chance."
Beaucoup tentent alors le stop auprès des voitures de journalistes ou d'humanitaires ou guettent une possible réouverture de la frontière hongroise. Mais, depuis mardi, la traverser ou l'entraver est désormais considéré comme un crime passible de trois à cinq ans de prison. A la suite de cette décision, la colère et le désespoir sont montés d'un cran parmi les migrants, tandis que la police hongroise annonçait déjà des arrestations.
Mercredi en fin de journée, de violentes échauffourées ont fini par éclater entre des migrants et la police. Les premiers ont jeté des pierres le long du mur, dans l'espoir de débloquer la situation. En réponse, les forces de l'ordre ont répondu par des jets d'eau et des tirs de gaz lacrymogène, sous les sirènes hurlantes des ambulances et le bruit des hélicoptères en patrouille.
Pendant un court instant, des centaines de personnes ont couru en direction de la frontière, croyant un instant à une possibilité de passage, avant de faire face à des rangées de policiers hongrois prêts à empêcher tout passage. "Cela sera pour une autre fois", maintient Abou, un jeune Irakien fuyant le groupe Etat islamique depuis plusieurs semaines. "On souffre et on attend depuis si longtemps", dit-il, le baluchon à l'épaule. "De toute façon, a-t-on vraiment le choix si près du but ?"
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