"L'Etat déplace le problème" : les migrants de la porte de la Chapelle, une histoire sans fin
Après le démantèlement du campement parisien, plusieurs centaines de migrants se sont déjà installés sur le site. Les associations pointent du doigt l'insuffisance des solutions d'accueil et un allongement des délais dans les solutions d'hébergement.
Comme un air de déjà-vu. Trois jours après la mise à l'abri de 2 700 migrants, quelques vêtements sèchent à nouveau sur une corde à linge, porte de la Chapelle à Paris. Quelque 300 personnes ont déjà trouvé refuge dans le campement de fortune évacué le 7 juillet. Comme Hassan, beaucoup des nouveaux arrivants viennent du Soudan. Le jeune homme, qui a fui le Darfour en guerre, se déplace avec une béquille. La faute à une mauvaise chute dans les rochers, lors d'une périlleuse traversée nocturne entre Vintimille (Italie) et la France. "Quand je suis arrivé à la gare, en arrivant de Marseille, j’ai rencontré des Soudanais qui m’ont conseillé de venir ici."
"Les gens jettent leurs déchets partout"
Comme ses compagnons d'infortune, Hassan a passé la nuit sur des cartons, sous un pont, alors que des pluies diluviennes ont noyé la capitale. "Quelle situation, ici, se lamente-t-il. Les gens jettent partout leurs déchets." En attendant de trouver un médecin pour ausculter sa vilaine cicatrice au genou, il veut souffler un peu. "Je ne sais pas encore si je vais tenter la traversée vers le Royaume-Uni. Je me laisse quelques jours." En attendant, il devra vivre dans des conditions d'hygiène déplorables, au milieu d'un sol jonché de déchets. Sans compter une forte odeur d'urine : seules quelques sanisettes en plastique sont accessibles.
Abdelramanne Abdel, 30 ans, a lui aussi fui le Darfour, où sévit une guerre qui a emporté son père et son grand-père. Lui aussi est arrivé après la dernière "mise à l'abri". Nettoyage, entretien des jardins, transport de marchandises… Afin de récolter les 1 600 dinars libyens (un peu plus de 1 000 euros) nécessaires à la traversée de la Méditerranée, il a dû travailler en Libye. "Les passeurs sont des criminels. Parfois, ils enferment ceux qui n’ont pas l’argent pour payer, ou même les tuent." Il rêve de gagner le Royaume-Uni "pour avoir accès à une éducation" et se lancer dans les affaires. En attendant, il craint les contrôles de police et une possible expulsion.
"Ce ne sont plus les mêmes personnes"
Ces migrants survivent grâce à l'aide des associations et de volontaires. Quelques hommes déboulent au pas de course, quand Sarah débarque avec un charriot de supermarché rempli de vêtements, de chaussures et de savons. "Mercredi dernier, je suis allée récupérer des serviettes au club de gym, explique cette bénéficiaire du RSA, qui achète les fournitures sur ses propres deniers. Je devais les reprendre pour les laver, mais depuis, ce sont plus les mêmes personnes." Depuis 2015, la préfecture de Paris a réalisé 34 "mises à l'abri", mais aucune n'a résolu le problème des campements sauvages. "L’Etat déplace le problème, mais ne le résout pas", estime la bénévole.
La reformation du campement n'étonne pas les associations. "Le centre de premier accueil de la Chapelle – 400 places – est plein", explique Antoine Bazin, coordinateur d'Utopia 56 à Paris. En moyenne, 86 personnes arrivent chaque jour sur le site, selon le décompte des associations, mais le centre ne dispose que de 400 places, quand 250 à 300 personnes sont redirigées chaque semaine vers des structures d'accueil, que ce soit des centres d'accueil et d'orientation (CAO) ou des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada). Le compte n'y est pas. Fatalement, le campement sauvage va donc grossir à nouveau durant les prochaines semaines. Bis repetita.
"35 nouveaux réfugiés dans la rue chaque jour", selon la maire de Paris
La capacité du centre de la Chapelle est "calculée en fonction du flux d'arrivée", précise Ismail Mansouri, porte-parole de la Ville de Paris, en vertu d'un protocole passé entre la mairie, la préfecture et l'association Emmaüs Solidarité. Plus de 12 000 migrants sont déjà passés dans le centre depuis son inauguration, le 10 novembre dernier. Initialement, le délai imparti pour rediriger les migrants était fixé entre cinq et dix jours, mais le système est grippé depuis "fin avril", face au flux croissant de migrants. "Le nombre de redirections vers les CAO et Cada a considérablement baissé, s'inquiète Ismail Mansouri. L'Etat n'a plus assez de places et il n'y a pas de répartition équitable sur le territoire."
La Ville de Paris commence à s'impatienter. "Malgré les efforts importants déjà réalisés, ces places en centres d'hébergement sont actuellement en nombre insuffisant, laissant en moyenne 35 nouveaux réfugiés dans la rue chaque jour", écrivait déjà la maire de Paris, Anne Hidalgo, au ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, le 16 juin. Après le démantèlement du camp, vendredi, la préfecture a été contrainte de réquisitionner le Cèdre Bleu de Sarcelles (Val-d'Oise), une maison de retraite fermée en 2015, pour abriter provisoirement 400 migrants, et l'ancienne patinoire de Cergy-Pontoise, qui héberge 250 personnes. La mairie met aussi à disposition plusieurs gymnases, pour un total de 430 places : Daumesnil (12e), Auguste-Renoir (14e), des Vignoles (20e) et de Château-Landon (10e).
"Je ne croyais pas que l'Europe était comme ça"
Face à l'engorgement, Antoine Bazin regrette un "retour à zéro" dans la rue – il évoque ainsi la disparition des points d'eau, lors du démantèlement, dont il faudra "renégocier l'ouverture". Le coordinateur d'Utopia 56 estime aujourd'hui que "l'Etat gère un semblant de réalité" et que ces campements sauvages sont une sorte "de message adressé aux réfugiés, pour leur dire qu'ils vont galérer". Et ne lui parlez pas d'un éventuel "appel d'air", une expression utilisée à la fin juin par le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, pour évoquer la situation à Calais. "C'est faux. Ce n'est pas parce qu'on construit des centres d'accueil supplémentaires qu'on suscite des départs dans les pays d'origine."
"Je ne pensais pas que l'Europe était comme ça. C'est très compliqué", résume Mustapha, Soudanais de 24 ans partagé entre "surprise" et "quelques regrets". Le voilà confronté à un dilemme. Bien qu'il souhaite formuler une demande de papiers, il craint également de lancer la procédure. "Le problème, c'est que j'ai laissé mes empreintes lors de mon arrivée en Italie." En vertu du protocole Dublin II, il risque donc d'être renvoyé de l'autre côté des Alpes, où il a été enregistré pour la première fois sur le territoire de l'Union européenne. Un risque à prendre, pour lui qui rêve de s'installer dans l'Hexagone, mais qui a fait une croix sur le Royaume-Uni. "Trop compliqué."
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