Qui se cache derrière Pegida France ?
Francetv info a enquêté sur la branche française du mouvement islamophobe né en Allemagne en octobre 2014.
La manifestation était interdite. Elle s'est tenue malgré tout. Elle a dégénéré et s'est soldée par une vingtaine d'interpellations. Un rassemblement anti-migrants, qui a réuni entre 100 et 150 personnes, a eu lieu samedi 6 février, à Calais (Pas-de-Calais). Et a mis en lumière la branche française du mouvement islamophobe Pegida, à l'origine de l'initiative.
Pegida est née à Dresde (Allemagne) en octobre 2014, et a rapidement rencontré un certain succès, en protestant contre ce qu'elle nomme "l'islamisation" de l'Allemagne et de l'Europe. Pegida est d'ailleurs l'acronyme, en allemand, d'"Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident". Depuis, elle a fait des petits sur le vieux continent.
Lancée par Renaud Camus en janvier 2015
Pegida France a été mise sur les rails en janvier 2015 par l'idéologue d'extrême droite Renaud Camus. Il l'a fait à Paris en présence de Melanie Dittmer, une représentante du mouvement allemand, rapportait alors Rue89. Mais l'homme qui a popularisé la thèse du "grand remplacement" "ne s'occupe plus" de Pegida France, indique à francetv info Loïc Perdriel, président de l'association du même nom, la semaine précédant la manifestation du 6 février. "On a repris les choses en main et on s’est vraiment lancés cet été", précise ce Normand de 25 ans.
Pegida France est-elle encore en contact avec la maison mère d'outre-Rhin ? Impossible de le dire. Une délégation française de l'association devait rencontrer des responsables de Pegida en Allemagne, samedi 6 février, à l'occasion de la journée de mobilisation européenne du mouvement. Mais Loïc Perdriel, échaudé par les nombreux articles publiés depuis la manifestation, refuse de répondre à nos questions : "Les journalistes, je les évite un peu en ce moment. Je vois que certains marquent des vraies saloperies dans leurs torchons."
Cinq membres dans l'association
Avant les derniers incidents, pourtant, le jeune militant avait été prolixe pour raconter son parcours. Pegida France, une association loi 1901, est créée en juillet 2015. Loïc Perdriel en prend la tête, entouré de quatre autres membres. Actuellement au chômage, le président rénove habituellement des fours qui cuisent des tuiles, "un métier assez rare". Les autres membres sont des ouvriers ou des petits patrons, expose-t-il sans davantage de détails. A terme, l’équipe devrait s’agrandir. Ils espèrent être sept ou neuf, pas davantage : "On veut rester un petit noyau."
Le jeune activiste explique que l’objectif de Pegida France est de "créer des points de contact avec d’autres mouvements nationalistes". "Non, 'patriotes'", corrige-t-il aussitôt. "Nous, on n'est pas comme les autres : notre but, c'est de rassembler une masse de population, des patriotes, et d’être entendus sur l'immigration, l'insécurité", poursuit-il. Voici le problème, selon lui :
Beaucoup de mouvements patriotes essaient de mener des actions en commun. Sauf que chacun fait les choses de son côté et personne n’est entendu.
Les principaux chevaux de bataille sont les mêmes que ceux de la maison mère allemande. "L’islamisation, c'est la priorité. L'intégrisme musulman et la politique du gouvernement sur le droit d'asile accordé aux musulmans", détaille le président de l’association.
"Je ne soutiens ni untel ou untel"
Quant au positionnement politique, Loïc Perdriel est ferme, sans pour autant être à l’abri de contradictions. "Je ne soutiens ni untel ou untel. Pour moi, ils mangent tous dans la même assiette", assène-t-il. ll affirme ensuite ne s’être jamais présenté à des élections, même locales, mais reconnaît militer et tracter, en période de campagne, pour des "partis politiques qui œuvrent pour la France", sans préciser lesquels.
Mais un coup d'œil sur les pages likées par Loïc Perdriel donne une indication : on y trouve celles des députés FN Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, du groupuscule d'extrême droite Bloc identitaire, de sa branche jeunesse Génération identitaire, de la figure des skinheads d'extrême droite Serge Ayoub, de l'ancien chef des Jeunesses nationalistes et ancien cadre du FN Alexandre Gabriac.
"On n'a pas réellement de membres actifs"
Pegida France est encore en train de se mettre en place. Les membres se réunissent aux quatre coins de la France "une fois tous les deux-trois mois", précise Loïc Perdriel. "On n’a pas réellement de membres actifs", reconnaît-il. Le dirigeant indique également qu'il ne faut pas se fier à la page Facebook Pegida France, qui n'est plus active : "Il y a maintenant un groupe Facebook [qui compte 5 300 membres] mais il est privé, pour être tranquilles." Reste qu'il existe déjà une boutique officielle Pegida likée par le militant. Comptez 40 euros pour un sweat à capuche noir avec la mention Pegida France en bleu-blanc-rouge.
A défaut de membres actifs, l'association a des partisans. Grégory Pasqueille est l'un d'eux. Il se présente comme un "résistant" et assure à francetv info avoir déjà démonté, seul, des tentes de migrants, tout en affirmant refuser la violence : "Démonter, ce n'est pas forcément tabasser."
Depuis sa création, en juillet, l'association n'est pas restée les bras croisés. Elle a organisé sa première manifestation le 8 novembre, à Calais. Une centaine de personnes avaient répondu à l'appel, rapportait alors France info. Il y avait des personnes venues du Nord, de Picardie ou encore des Bouches-du-Rhône, selon le quotidien régional Nord Littoral.
Un membre des "Patriotes en colère pour de bon", Jean-Philippe Jardin, faisait également partie des organisateurs de ce défilé. "Cette manifestation s’est très bien passée. Il n’y a pas eu de problème", assure à francetv info cet ancien militaire désormais chauffeur-routier. Et de préciser : "Il y en a juste un qui a brûlé un coran [vers 2 minutes 35 dans la vidéo ci-dessus]."
Zizanie entre groupes anti-migrants
Après cette première manifestation, Loïc Perdriel remet le couvert et lance un appel à un deuxième rassemblement, le 6 février. Pegida, en Allemagne, réclame une mobilisation européenne ce jour-là. Le président fait une demande de manifestation auprès de la préfecture. Trois signatures sont nécessaires. Jean-Philippe Jardin indique qu'il a signé avec Edgar Gretten, également membre des "Patriotes en colère pour de bon", car "la précédente manifestation s’était bien déroulée".
A l'issue de ce rassemblement émaillé de violences, le président de Pegida France accorde des interviews ici et là, notamment au site d'extrême droite Riposte laïque. Il met en avant l'organisation qu'il préside et se fait épingler par ses partenaires. "Loïc, tu pourrais être plus honnête car en gros, tu n'as rien organisé !!!, écrit le groupe des "Patriotes en colère pour de bon" sur Facebook, affirmant qu'il n'y avait que cinq ou six personnes de Pegida lors de la manifestation de samedi, à Calais. Et de conclure : "Dorénavant, les patriotes en colère pour de bon (groupe dont tu caches le nom) ne manifestera plus aux côtés de Pegida France tant qu'ils ne reverront pas leur politique !!!!"
Il existe de nombreux collectifs anti-migrants à Calais, mais tous ne s'entendent pas. On peut notamment citer "Calais Idéoscope", "Sauvons Calais", qui n'apprécie guère "Les Calaisiens en colère". Ces derniers, régulièrement moqués par les seconds, ont d'ailleurs refusé de participer à la manifestation du 6 février, prévoyant des débordements.
"Certains sont des fachos"
"Le problème de Pegida, c'est que c'est un label. Ce n'est pas structuré. Il rassemble des profils très hétéroclites et donc pas très contrôlables", estime Jean-Yves Camus, spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe.
Christophe Griffart, fondateur de "Calais Idéoscope", regrette les violences du 6 février. "Il y a eu des éléments perturbateurs qui étaient indépendants du rassemblement, qui sont venus se greffer. Si on veut parler de néonazis, oui, il y en avait quelques-uns", dit-il (vers 4 minutes 30 dans cette vidéo), parlant de "tiques" et de "morpions".
"Chez Pegida, il y a des personnes qui sont extrêmes. C’est même plus qu'extrême, c’est des fachos, appelez ça comme vous voulez, estime de son côté Jean-Philippe Jardin. Mais, j’insiste, ce n’est pas le cas de tous."
Des "pro-nazis", selon le général Piquemal
La dénonciation de Pegida France est montée d'un cran lorsque le général Christian Piquemal, dont l'arrestation a provoqué un tollé dans les milieux d'extrême droite, a pris ses distances avec le mouvement. Lundi matin, sur BFMTV et RTL, l’ancien chef de la Légion étrangère s’est désolidarisé du groupuscule.
Je regrette réellement qu'il y ait eu ce groupe Pegida [samedi] qui est très violent, qui est un groupe d'extrême droite, pour ne pas dire presque pro-nazi.
Il a pourtant pris la parole, samedi matin, dans une salle où se trouvaient seulement trois banderoles, dont une de Pegida. De leur côté, des sympathisants du général Piquemal rencontrés par francetv info estiment, comme Pegida, que la thèse du "grand remplacement" est avérée. Mais ils ne se disent pas partisans du mouvement né en Allemagne.
"C’est fait exprès. Je sais qui est qui. J’ai entièrement confiance dans les gens avec qui je suis", rétorque Loïc Perdriel. En clair, pour lui, ces déclarations du général sont des trucages, comme de nombreux autres sur sa page Facebook ou ailleurs sur le réseau social.
Pas d'espace pour Pegida en France ?
L'association n'est pas le seul mouvement à vouloir fédérer des groupes qui se disent patriotes. C'est également le projet du général Christian Piquemal, qui, avec sa carrière et le respect qu'il inspire chez les sympathisants d'extrême droite, a davantage de chances d'être entendu qu'une poignée de jeunes activistes.
Pegida risque d'avoir du mal à se faire une place en France, même si elle peut compter sur le soutien de Résistance républicaine et de Riposte laïque, qui avaient lancé des "apéritifs saucisson-pinard" en 2010. Elle a d'ailleurs tenu des réunions à Rungis (Val-de-Marne) avec ces deux groupes, les 6 et 7 février.
Surtout, politiquement, la place que Pegida souhaite occuper est déjà prise. "En France, un parti se bat contre l'immigration, c'est le Front national. Je ne suis pas pro-Pegida", a déclaré Florian Philippot, vice-président du FN, sur RTL, lundi.
Pour Jean-Yves Camus, Pegida trouve un écho outre-Rhin parce qu'il y existe un espace vide. "En Allemagne, quand on est un patriote un peu énervé, on ne peut pas voter pour un parti d'extrême droite traditionnel, et notamment pas le NPD, un parti franchement néonazi et donc totalement infréquentable, explique le politologue. Quand vous ne votez pas pour le NPD et que vous êtes déçu par Angela Merkel et la CDU, qu'est-ce que vous faites ? Vous pouvez avoir envie de descendre dans la rue. C'est un débouché politique possible."
Mais, dans l'Hexagone, la situation est tout à fait différente. D'après Jean-Yves Camus, "quand vous êtes en France, contre les réfugiés, pour la sécurité, pour l'armée, qu'est-ce que vous faites ? Vous votez Front national et vous avez rempli votre devoir."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.