Guerre en Ukraine : quatre questions sur l'interdiction de diffusion des médias russes RT et Sputnik dans l'Union européenne
La décision a été officialisée au Journal officiel de l'Union européenne, mercredi 2 mars.
Clap de fin pour RT et Sputnik. Les Vingt-Sept ont approuvé de nouvelles sanctions contre Moscou, mardi 1er mars, avec l'interdiction de diffusion de ces médias russes au sein de l'Union européenne. En réponse à la guerre en Ukraine, les contenus de Sputnik et des chaînes de RT (ex-Russia Today) en anglais, allemand, français et espagnol ne pourront plus être diffusés sur les réseaux de télévision, ni sur internet.
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Les deux médias sont les "canaux" des "actions de propagande" et "de déformation des faits" de la Russie, qui "menacent directement et gravement l'ordre et la sécurité publics de l'Union", écrivent les Vingt-Sept. Ces mesures d'interdiction "devraient être maintenues jusqu'à ce que l'agression contre l'Ukraine prenne fin et jusqu'à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande contre l'Union et ses Etats membres". Franceinfo fait le point sur cette interdiction.
1Quels sont les médias visés ?
RT est une chaîne de télévision lancée en 2005 à l'initiative du Kremlin, sous le nom de "Russia Today", et financée par l'Etat russe. En France, elle emploie 176 salariés dont 100 journalistes. Une autorisation d'émettre dans l'Hexagone lui a été accordée par le CSA en décembre 2015. La France est ainsi le seul Etat membre de l'UE à accueillir sur son sol une filiale de RT et à lui accorder cette licence de diffusion.
Au quotidien, sur sa chaîne télévisée et ses contenus multimédia, RT promeut la position du Kremlin à l'étranger. Sa création résulte d'un besoin pour les élites russes "de repenser leur dispositif d'influence, de reforger un ensemble d'instruments, notamment médiatiques", analyse pour franceinfo Maxime Audinet, docteur en études slaves et auteur du livre Russia Today, un média d'influence au service de l'Etat russe" (éditions de l'INA). Franceinfo, qui a écouté ses programmes durant plusieurs heures, a observé peu de voix dissonantes parmi les invités.
Sputnik est un média web également financé par l'Etat russe. Il possède un site internet, ainsi qu'une déclinaison vidéo sur YouTube et sur les réseaux sociaux.
2Pourquoi cette décision a-t-elle été prise ?
Face à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la présidente de la Commission européenne a estimé qu'il était impératif de lutter contre ce qu'elle appelle "la machine médiatique du Kremlin". "Les médias d'Etat Russia Today et Sputnik ainsi que leurs filiales (...) ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre Union. Nous développons donc des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe", a déclaré Ursula von der Leyen le 27 février, trois jours après le début du conflit.
Un constat partagé par Pieyre-Alexandre Anglade. "Nous avons été, nous Européens, trop naïfs, trop indulgents avec ces organes de propagande et de désinformation massive", a jugé le porte-parole des députés La République en marche, mardi 1er mars.
#Sputnik, #RT et tous les outils de la propagande de guerre russe n’ont plus leur place en Europe.
— Pieyre-Alexandre Anglade (@PA_Anglade) March 2, 2022
Ils sapent depuis trop longtemps l’information et débat public européen. pic.twitter.com/m1aN2CuVkr
3Où en est-on de l'entrée en vigueur de l'interdiction ?
L'interdiction de RT et Sputnik est officiellement entrée en vigueur dans l'UE mercredi 2 mars, à la mi-journée. Ursula von der Leyen avait annoncé le bannissement des chaînes RT dans toute l'UE trois jours plus tôt, sans préciser les contours d'une telle décision.
Chaque Etat membre, via son autorité de régulation des médias et ses opérateurs télécoms, est chargé de faire respecter cette interdiction. En avance sur le reste des Européens, l'Allemagne avait annoncé début février l'interdiction de la chaîne RT, dans un contexte de tensions avec le Kremlin.
En France comme dans le reste de l'Europe, le bannissement est intervenu progressivement après une réunion avec le secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O, lundi 28 février. Dans la foulée, TikTok et Facebook ont annoncé suspendre l'accès à ces comptes en Europe. Mardi, c'était au tour de YouTube de bloquer ces chaînes sur le continent "avec effet immédiat", "compte tenu de la guerre en cours en Ukraine". Twitter a bloqué les comptes des deux chaînes jeudi, après avoir apposé la mention "Média affilié à un Etat, Russie" aux comptes de leurs journalistes et anciens journalistes. La diffusion à la télévision de RT France a cessé mercredi après-midi chez les différents opérateurs qui proposaient cette chaîne.
4Comment cette mesure est-elle justifiée juridiquement ?
Selon le texte publié au Journal officiel de l'UE, "toute licence ou autorisation de diffusion, tout accord de transmission et de distribution conclu avec les personnes morales, entités ou organismes énumérés (...) sont suspendus". Cela concerne tous les moyens de diffusion, que ce soit "le câble, le satellite, la télévision sur IP, les fournisseurs de services internet, les plateformes ou applications, nouvelles ou préexistantes, de partage de vidéos sur l'internet". Le texte précise que "ces mesures n'empêchent pas ces médias et leur personnel d'exercer dans l'Union d'autres activités que la diffusion, telles que des enquêtes et des entretiens".
En France, l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) assure que ces décisions ont "pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France". Elles sont "d'application directe et immédiate par tous les opérateurs concernés", dès le 2 mars.
Cette décision devrait toutefois faire l'objet de recours devant la justice. Mardi, le régulateur russe des médias, Roskomnadzor, a protesté contre ces mesures, estimant qu'elles "violent les principes fondamentaux de la libre circulation de l'information et son accès sans entrave". RT France a de son côté lancé une pétition sur la plateforme Change.org pour dénoncer cette interdiction, réunissant 10 500 signatures en trois heures.
L'UE réfute toutefois ces accusations. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a estimé que ces médias ne produisaient pas une information libre mais "une désinformation massive". "Nous nous appuyons sur de solides bases juridiques (...) et nous défendrons notre décision devant les tribunaux" européens, a également assuré une source européenne anonyme à l'AFP, tout en admettant que des représailles contre des médias européens en Russie étaient "une possibilité". "Vladimir Poutine va frapper nos médias", a ainsi prévenu Fabrice D'Almeida, historien et vice-président de l'Université Panthéon-Assas.
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