Retour de la police des mœurs en Iran : "Le régime a peur de déclencher à nouveau des manifestations", observe une professeure de sociologie franco-iranienne
Pour Azadeh Kian, professeure de sociologie franco-iranienne à l’Université Paris-Cité et invitée de franceinfo mardi 18 juillet, "le régime a peur de déclencher à nouveau des manifestations", dix mois après la mort de Mahsa Amini, tuée lors d'un contrôle de cette police des mœurs de Téhéran le 16 septembre 2022.
franceinfo : La police des mœurs en Iran affirme à nouveau contrôler les femmes dans le pays qui ne portent pas le voile. Comment cette annonce a été accueillie en Iran ?
Azadeh Kian : Il faut dire que le régime a peur de la réaction de la population, en particulier les femmes et celles qui ne portent pas le voile. Cette police ne s'appelle plus "police des mœurs" mais la "police pour faire respecter les préceptes vestimentaires". Leurs camionnettes n'ont plus de logo. Et pour l'instant, les policiers ont reçu l'ordre d'être plutôt pédagogique et de ne pas violenter les femmes. Tout ça parce que le régime a peur de déclencher à nouveau des manifestations comme on en a vu en septembre 2022.
Ce grand mouvement de contestation né après la mort de Mahsa Amini qui a été violemment réprimé, avec des centaines de morts. Quel bilan vous en faites ? Est-ce qu'aujourd'hui, on ne reviendra pas en arrière ?
On ne reviendra pas en arrière comme le disent toujours ces femmes qui résistent. Cette révolution en cours a déjà eu des acquis. Par exemple, le fait que sans égalité entre les hommes et les femmes, ou entre les minorités et la majorité ethnique et religieuse, on ne pourra pas penser à la démocratie. Pour la première fois aussi, les hommes ont pris la défense des femmes quand elles ont été violentées dans la rue par les polices ou les miliciens.
Même si le régime reste en place, il est très fragilisé et on voit tous les jours des dissensions de plus en plus grandes aussi au sein du pouvoir.
Azadeh Kian, professeure de sociologie franco-iranienne à l’Université Paris-Cité
Donc, tout ça montre une société qui a pris ses distances avec le régime en place. Elle a fait le bilan de l'islam politique au pouvoir pour justement le dépasser. Les revendications pour la séparation entre la religion et l'État ne sont plus seulement des revendications d'intellectuels. Il s'agit de pans entiers de la population qui, après avoir vécu 44 ans de l'islam politique, le rejettent et disent que la religion doit être séparée de l'État. Tout ça, ce sont déjà des acquis de cette révolution en cours. Même si le régime reste en place, il est très fragilisé et on voit tous les jours des dissensions de plus en plus grandes aussi au sein du pouvoir.
Pour vous, la révolution est toujours en cours ?
Absolument. Même si on en parle très peu dans les médias occidentaux. Mais il y a tous les jours ou presque des grèves d'ouvriers, de retraités, bien évidemment dans les universités. Les étudiants continuent à s'organiser et à protester, à se mobiliser.
Donc ça va bien au-delà du port du voile pour les femmes ?
Absolument. Si on voit que la population soutient des femmes qui ne portent pas le voile, c'est parce que le voile obligatoire est le symbole idéologique et politique de ce régime. Mais il y a énormément de mécontentements d'ordre économique, social, politique et même culturel. Vous avez une société qui est très contestataire et qui rejette ce pouvoir. Ce dernier ne se maintient en place que grâce à ses forces de coercition.
Et notamment avec cette police des mœurs, qui revient sans dire son nom. Est-ce qu'il n'y a pas quand même un début de tour de vis à l'approche de l'anniversaire de la mort de Mahsa Amini ?
Tout à fait. D'ailleurs, on voit que les arrestations n'ont jamais cessé. Tous les jours, il y a des gens qui sont arrêtés. Ceux qui ont eu un rôle ou qui ont continué à dénoncer le régime sur Twitter ou d'autres réseaux sociaux. Effectivement, le régime est très craintif. Raison pour laquelle il continue à intimider les femmes afin d'éviter de grandes manifestations le 16 septembre prochain.
>> L'Iran a exécuté 354 personnes au premier semestre, selon une ONG
Tout ça va avoir des résultats inverses parce qu'ils vont énerver davantage la population déjà contestataire. D'ailleurs, c'est intéressant parce qu'il y a un certain nombre de réformistes, dont l'ancien président de la république islamique d'Iran, Mohammad Khatami, qui a alerté en disant "Qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? Vous êtes en train de précipiter votre chute".
On a quand même le sentiment d'une révolution impossible. On se souvient qu'il y a quatre ans et demi déjà, un vaste mouvement contre la vie chère avait été réprimé.
Je n'ai pas ce sentiment. Cette fois-ci, ce sont des pans entiers de la population qui sont impliqués dans cette révolution en cours. En 2018-2019, il s'agissait des jeunes et des hommes issus des classes populaires qui avaient des revendications plutôt sociales et économiques. Ici, c'est l'Iran tout entier ou presque, ce n'est pas seulement Téhéran [la capitale du pays].
Les minorités, comme les Kurdes et les Baloutches, sont très impliquées dans ce mouvement et protestent dans d'autres grandes et moyennes villes d'Iran. L'Iran est un pays à 75% urbain, donc forcément ce sont des villes qui sont très impliquées dans ce mouvement et qui manifestent de temps en temps leur mécontentement. En tout cas, les sondages qui sont effectués par les services iraniens le montrent. La population est vraiment mécontente de ce régime.
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