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Récit "Les gens criaient : 'Reculez ! Le pont va tomber !'" : 11h30, mardi 14 août, le viaduc Morandi s'effondre à Gênes

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le pont Morandi, après l'effondrement de sa section centrale, le 14 août 2018, à Gênes (Italie). (VALERY HACHE / AFP)

L'effondrement du pont autoroutier à Gênes, en Italie, a coûté la vie à au moins 38 personnes, dont trois Français. 

Il n'oubliera jamais ce retour de vacances en famille en Italie. Mardi 14 août, comme de nombreux vacanciers français, Nicolas emprunte l'A10, l'"autoroute des fleurs", qui relie Gênes à Vintimille, pour rentrer en France. Il est un peu plus de 11h, quand, sous une pluie torrentielle, sa voiture s'engage sur le pont Morandi, qui surplombe la capitale de la Ligurie, dans le Nord-Ouest de l'Italie. Il ne le sait pas encore, mais il va être témoin de l'effondrement de pont le plus meurtrier en Europe depuis 2001.

Soudain, "les voitures se sont arrêtées et les gens affolés nous ont fait signe de reculer", raconte le jeune homme à franceinfo. "Les gens criaient : 'Reculez ! Le pont va tomber !'" La voiture de Nicolas fait elle aussi marche arrière. Et se retrouve bien vite bloquée entre les camions. Nicolas sort du véhicule. "Là, j'ai parlé à un autre Français qui m'a montré un des haubans du pont, allongé sur la chaussée." Selon le jeune homme, c'est cette chute qui a provoqué la panique chez les automobilistes.

Entre la pluie qui tombait très fort et les gens qui paniquaient, il y avait vraiment une ambiance apocalyptique.

Nicolas

à franceinfo

À ce moment-là, Nicolas "n'a pas l'impression" que le viaduc s'est déjà effondré. Il n'a entendu aucun bruit particulier. La famille parvient à faire demi-tour, et à rejoindre l'A7, qui passe en perpendiculaire du pont. "C'est là qu'on a vu les dizaines de mètres manquants." Arrêtée sur une aire d'autoroute, la famille reprend doucement ses esprits. 

Le viaduc Morandi à Gênes, en Italie, après son effondrement, le 14 août 2018. (POLICE ITALIENNE / AFP)

"On court sans se retourner"

Maître Léonine - son pseudonyme sur Twitter - se trouve elle aussi sur le pont autoroutier génois. Son mari est au volant. Son fils de 3 ans est installé à l'arrière. Leurs vacances en Italie débutent tout juste. L'avocate relate son cauchemar éveillé dans une série de tweets. "La visibilité était affreuse et mon mari a senti la voiture partir. Devant nous, on a vu un pylône bouger. Ça a continué et on a vu le pylône partir complètement sur la droite, là on a réalisé ce qu'il se passait", confie-t-elle à franceinfo.

Le viaduc est en train de s'écrouler. "Trois secondes plus tard, premier réflexe stupide, on enclenche la marche arrière. Évidemment, ça bloque immédiatement. Alors on fait la seule chose à faire. On sort de la voiture sous la pluie battante, on détache notre fils de 3 ans aussi vite que possible, mon mari le prend dans ses bras, et on court sans se retourner."

On a vu d’autres gens courir, hurler, en laissant comme nous leur voiture sur le pont.

"Maître Léonine"

sur Twitter

L'avocate atteint le tunnel par lequel elle est arrivée sur le pont. "Dans le tunnel, tout le monde a gardé son sang-froid. Des gens que je remercie nous ont prêté des serviettes pour essuyer notre fils trempé", relate-t-elle. "Les gens ont commencé à se montrer des photos du pont." Entre hébétude et sidération, personne ne semble vraiment réaliser ce qui vient de se produire. "Après avoir entendu trois énormes grondements qui venaient du pont", Maître Léonine reprend sa course. Elle redoute un séisme. "À la sortie du tunnel, on est tombés sur les pompiers qui arrivaient, qui semblaient penser peut-être que tout le pont était tombé, car ils étaient étonnés de nous voir à pied, expliquant que notre voiture y était toujours."

"Le pont n’était plus là..."

Certains riverains du "pont de Brooklyn", comme beaucoup le surnommaient avec une pointe d'ironie, croient eux aussi à un tremblement de terre en entendant l'énorme grondement provoqué par la chute du pont. D'autres, interrogés par Le Parisien, n'ont rien remarqué. "Il y a bien eu un bruit qui a attiré mon attention, mais c’est tout", indique Asto, une mère de famille originaire du Sénégal. "C’est mon mari qui m’a appelé depuis son travail pour m’avertir, et je m’en suis alors rendu compte." 

Des badauds regardent le viaduc Morandi, à Gênes (Italie), après son effondrement, le 14 août 2018. (ANDREA LEONI / AFP)

"Il y avait un tel orage que le bruit de la pluie et le grondement du tonnerre ont tout couvert", abonde Christina, 43 ans. "Mais à un moment, j’ai vu un hélicoptère de la protection civile tourner autour. Je me suis dit que, par cette météo, il y avait quelque chose. Et j’ai constaté que le pont n’était plus là..." "Ce pont, il faisait partie de notre paysage, ajoute Asto. Moi aussi je passais régulièrement dessous, avec mes enfants, pour me rendre au marché par exemple."

"Oh mon dieu... Oh mon dieu..."

À plusieurs centaines de mètres de là, un homme assiste médusé à la catastrophe. Il est environ 11h30. Et il a le réflexe de filmer la scène. Au loin, des éclairs zèbrent le ciel. Le déluge qui s'abat sur Gênes nappe la ville d'une brume d'orage. Subitement, le viaduc s'écroule. Sous les yeux de ce témoin impuissant, une pile du pont Morandi s'effondre, emportant dans sa chute un pan entier du tablier. "Oh mon dieu... Oh mon dieu...", crie-t-il, impuissant.

L'orage aurait-il fragilisé la structure ? Des témoins assurent avoir vu la foudre s'abattre sur le pont autoroutier avant la tragédie. "À 10h35, la foudre a frappé la base d'un pilier. Immédiatement après, le ciment a commencé à s'effriter et c'est après que tout s'est effondré, c'était comme la fin du monde. Nous avons vu la structure céder puis un premier camion voler en bas", témoigne dans La Repubblica, repris par Le Figaro, une famille encore sous le choc.

Coincé dans un embouteillage sur une route passant sous le pont, Alessandro Megna, un automobiliste, est lui aussi spectateur du drame. "Soudain, le pont s'est effondré avec tout ce qu'il y avait dessus. C'était une scène d'apocalypse, je n'en croyais pas mes yeux", raconte-t-il à la Rai. Une section d'environ 200 mètres du tronçon central du viaduc vient pourtant de tomber. Selon le chef de l'agence génoise de protection civile, entre 30 et 35 véhicules - des voitures et des camions - ont basculé dans le vide, s'écrasant quelque 45 mètres plus bas, sur la rivière, la voie ferrée et les bâtiments, dans un enchevêtrement de colossaux blocs de béton. Des décombres survolés par les pompiers italiens en hélicoptère.

Les pompiers italiens ont diffusé ces images vues du ciel du site de l'accident qui a fait au moins 22 morts.
Effondrement du viaduc de Gênes : les décombres survolés en hélicoptère Les pompiers italiens ont diffusé ces images vues du ciel du site de l'accident qui a fait au moins 22 morts. (FRANCEINFO)

"Je suis tombé avec le pont"

Quelque 200 pompiers sont immédiatement envoyés sur place. Très vite, des dizaines de secouristes, accompagnés de chiens, s'activent autour des débris du pont et des carcasses de camions et de voitures écrasées, enchevêtrées dans la structure. À l'aide de nacelles et de cordes, des sauveteurs grimpent dans les décombres, à la recherche de survivants. Ils en extraient des corps sur des civières. Les hélicoptères enchaînent les rotations, évacuant les blessés vers les hôpitaux.

De l'une des voitures accidentées émerge Davide Capello, 36 ans. L'ancien gardien de but de l'équipe de foot de Cagliari, désormais pompier volontaire, est indemne. "Je suis un miraculé", raconte-t-il à La Stampa, encore sous le choc. "Je suis tombé avec le pont, je ne sais pas ce qui m'a sauvé." "J'allais à Gênes, j'étais sur le pont, j'ai d'abord entendu un bruit, puis tout s'est effondré. La voiture s'est coincée entre les piliers et les décombres. C'est incroyable, je n'ai pas de blessure."

Des secouristes italiens recherchent des victimes dans les décombres du pont autoroutier de Gênes, en Italie, après son effondrement, le 14 août 2018. (VALERY HACHE / AFP)

Au milieu des véhicules de secours garés à quelques mètres de lieux du drame, un homme marche. Il a le bras en écharpe, soutenu par une attelle. Sa chemise bleue, nouée autour de son cou, pend sur ses épaules. Le Corriere della Sera l'a surnommé "le chauffeur de camion miraculé". Il se trouvait sur le viaduc quand le pont s'est effondré. Il est sorti de la cabine de son camion juste avant, mais a été emporté dans la chute. "Je ne me souviens pas de grand-chose. Je sais juste que c'est un miracle. Je n'ai qu'une épaule foulée et des contusions", confie-t-il encore sonné. 

J’ai entendu un grondement fort, et je me suis envolé, c’est tout. J’ai volé sur au moins 10 mètres. Je me suis cogné contre un mur et c’est tout, je ne me souviens de rien d’autre.

Un rescapé

au "Corriere della Sera"

Les sauveteurs ont également retrouvé un routier tchèque de 47 ans, blessé. "Il a le nez et quatre côtes cassés, et un poumon perforé. Son état est stable, mon collègue lui a parlé. Il est heureux d'avoir survécu", déclare à l'AFP un responsable de son entreprise à Prague.

La carcasse d'un poids-lourd au milieu des décombres du pont autoroutier à Gênes, en Italie, après son effondrement, le 14 août 2018. (ANDREA LEONI / AFP)

"Je me suis arrêté, j'ai fermé le camion et je suis parti en courant"

Sur ce qu'il reste du viaduc, un camion vert des supermarchés italiens Basko s'est arrêté à quelques mètres seulement du précipice qui vient de se former. Le chauffeur a réussi à freiner à temps, évitant de justesse la chute. Le conducteur est "sous le choc", mais il "va bien", assure au Parisien le responsable communication de l'entreprise. Le livreur de 37 ans "a pu être évacué du pont". Il a été transporté à l’hôpital, où "il a passé des examens qui ont rassuré sur son état de santé". "Mais il est marqué par ce qui lui est arrivé." 

Un camion arrêté à quelques mètres du vide, après l'effondrement d'un viaduc à Gênes, en Italie, le 14 août 2018. (VALERY HACHE / AFP)

Afifi Idriss lui aussi a eu de la chance. Le chauffeur routier marocain de 39 ans a imité son collègue, dit-il à l'AFP : "J'ai vu le camion vert devant moi s'arrêter et faire marche arrière, je me suis arrêté, j'ai fermé le camion et je suis parti en courant." D'autres n'ont pas eu cette chance. Au fil de la journée, le bilan du drame, toujours provisoire et incertain, ne cesse de s'alourdir. 

Arrivé sur place en début de soirée, le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, annonce 25 morts et 16 blessés dont neuf graves. Mercredi au matin, le ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini, avance un nouveau décompte macabre d'au moins 38 morts et plusieurs disparus. Trois enfants, âgés de 8, 12 et 13 ans, ainsi que trois Français figurent notamment parmi les victimes. Dans l'impressionnant amas de tôles et de béton, les opérations de sauvetage se sont poursuivies sans relâche toute la nuit. Selon la protection civile italienne, en comptant tout le personnel impliqué (pompiers, policiers, Croix-Rouge...), les secours ont mobilisé un millier de personnes.

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