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Témoignage Sumo : un ancien lutteur japonais brise l’omerta sur les maltraitances dans ce sport

D'essence quasi divine, le sumo est le sport le plus respecté au Japon. Mais c'est aussi un monde fermé. Derrière les murs des dortoirs et des salles d'entraînement, dans les écuries de lutteurs, les violences ne sont pas absentes.
Article rédigé par franceinfo - Karyn Nishimura
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les larmes de  Daisuke Yanagihara, un ex-lutteur de sumo qui fait état de maltraitance devant la presse, le 31 juillet 2023. (RICHARD A. BROOKS / AFP)

Il combattait sous le nom de Kotomiyakura, puis Kotokantetsu. Les larmes de Daisuke Yanagihara, 25 ans, versées lors d’un entretien avec franceinfo, ne sont pas feintes. Ancien lutteur de sumo, il reste tiraillé entre l'admiration pour son ex-maître et le traumatisme des sévices qu’il affirme avoir subis durant son apprentissage. "Même aujourd’hui, je n’arrive pas à le détester", dit-il à propos du maître Sadogatake.

Daisuke Yanagihara est entré dans l'écurie du maître Sadogatake en 2013, à l'âge de 15 ans. Il a tenu près de huit ans avant de jeter l’éponge en 2021. Son maître et l'Association japonaise de sumo, l'instance dirigeante de ce sport, voulaient le contraindre à participer à des tournois en pleine pandémie de Covid, malgré ses comorbidités. Lui a estimé que sa santé l’emportait sur tout et a préféré abandonner.

"Dès la deuxième année, j’ai dû travailler comme assistant pour les massages. Mon temps de sommeil était réduit chaque jour à deux ou trois heures. Comme je dormais mal, à l’entraînement mon maître me reprochait de ne pas avoir de force. J’ai enduré quotidiennement ce qu’on appelle kawaïgari, un mot qui, dans le langage du sumo, correspond à un entraînement excessif qui vaut punition. Au bout du compte, ma santé s’est dégradée, mon cœur était fatigué et j’ai dû subir une opération cardiaque. Mais face à mes problèmes, même avec un certificat médical, mon maître m’a dit, 'mets des chaussettes la nuit et ça passera'. Je n’ai pas su répondre", raconte-t-il. 

"Au bout du compte, ma santé s'est dégradée et j'ai dû subir une opération du cœur."

Daisuke Yanagihara, ex-sumo

à franceinfo

Le surpoids fait, en outre, partie des facteurs de risque de la maladie. Or les lutteurs dépassent allègrement les 100 kilos. Les avocats de Daisuke Yanagihara rappellent qu’un lutteur est décédé du Covid en mai 2020. Au sein des écuries ou confréries, "heya" en japonais, les lutteurs sont logés et nourris, mais aussi coupés de leurs proches pour les plus jeunes. "La première année, je ne pouvais pas contacter ma mère", avoue Daisuke Yanagihara.

Des pratiques d'un autre âge

Daisuke Yanagihara affirme aussi avoir dû manger de la terre ou de la viande congelée périmée depuis des années. Il dénonce aussi les pénalités financières multiples infligées aux lutteurs par leur maître (pour une bouteille de jus de fruit trouvée dans le réfrigérateur par exemple), ou les violences physiques et les brimades reçues à l'entraînement de ses aînés. "Faire manger de la viande ou du riz avariés à des mineurs, leur faire ingurgiter de la terre et du sel à l'entraînement (...) sont des actes inhumains", juge l'ancien lutteur.

Un ancien sumo sort du silence et dénonce les maltraitances de ce sport - Reportage de Karyn Nishimura

Il a déposé une plainte en mars contre l'Association japonaise de sumo et son ex-écurie. Même si selon ses avocats les violences endurées relèvent davantage du pénal, il est difficile d’apporter les preuves plusieurs années après, d’où des poursuites devant un tribunal civil. Il réclame à son ancien maître quelque 4,1 millions de yens (26 000 euros) de dommages-intérêts pour le préjudice subi. L'un de ses avocats, Ryo Shimada, en appelle aux autres lutteurs. "Il serait bien que d'autres apportent aussi leur témoignage pour appuyer les propos de Yanagihara, confirmer que c'est exact", lance-t-il.

Se battre "à visage découvert"

Le sujet de la violence dans le sumo est venu début août aux oreilles d'experts mandatés par les Nations Unies pour enquêter sur les violations des droits humains au Japon. L’une des membres de la mission, Pichamon Yeophantong, a déclaré à franceinfo souhaiter davantage d’informations sur ces pratiques. Mais selon l’avocat Shimada, les ex-lutteurs rechignent à parler. "C’est un passé qu’ils préfèrent oublier, des souvenirs détestables qu’ils ne veulent pas se remémorer."

Daisuke Yanagihara, lui, est décidé à mener ce combat.

"Les maîtres disent qu’il ne faut pas employer la violence, mais le fait est qu’elle l’est. C’est parce que je veux que cette situation s’améliore que je me bats aujourd’hui à visage découvert."

Daisuke Yanagihara

à franceinfo

De multiples scandales de violence ont déjà un peu terni l’image du monde du sumo. En 2009, un ancien maître a été condamné à six ans de prison pour avoir encouragé trois de ses recrues à tabasser un jeune apprenti de 17 ans, décédé de ses blessures. Malgré tout, il faudra convaincre les médias japonais de cesser l'omerta sur ces pratiques d'un autre âge.

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