Kurdistan irakien : rencontre avec des ex-esclaves de Daech
La scène à valeur de thérapie. Elle se joue sous une tente brune plantée dans un parc de la région de Duhok, au nord du Kurdistan irakien. Entourée par une tante et d’autres refugiés yézidis, une fillette de 10 ans fait rire son public en racontant comment elle a faussé compagnie à ses geôliers.
C’est une petite fille pleine de ressort. Elle s’appelle Bassima. D’après son témoignage, elle est restée enfermée plus de deux mois dans une maison gardée par l’organisation Etat islamique à Khocho, avec 20 autres gamines yézidies. Elle fait partie du butin de guerre des fondamentalistes. Elle raconte que les djihadistes imposaient des cours de coran aux petites filles sous la menace des coups de bâtons.
"Ils disaient : vous devez lire le coran. Mais ceux qui ne pouvaient le lire, ils les battaient."
Cette conversion est l’obsession première des membres de l’organisation Etat islamique, mais ça n’est pas le but de l'enlèvement massif des femmes yézidis. Les témoignages de dix de ces jeunes femmes rencontrées par France info entre septembre et novembre convergent sur l’âge des victimes, la façon dont elles sont triées, reparties et utilisées par les combattants fondamentalistes.
D'abord le tri
Les mères et les jeunes femmes sont conduites en bus à Mossoul. Parfois de nuit. Plusieurs jeunes femmes parlent de la prison de Badouch comme centre de tri. D’autres disent avoir été confinées dans de grands bâtiments dans lesquels elles estiment qu’il y avait plusieurs milliers de femmes.
Les femmes âgées et les femmes mariées partent d’après tous ces témoignages vers la ville de Tel Afar, au nord de Mossoul. Les plus jeunes, âgées de 10 à 30 ans, sont conduites en groupes dans différents lieux pour la répartition. Elles sont le cœur de ce système d’exploitation.
La répartition
Rochen à 20 ans. Elle est revenue il y a onze jours au Kurdistan. Elle dit qu’elle a été vendue à un responsable de l’organisation islamique. C’était dans une maison chrétienne de Mossoul. D’après elle, les jeunes femmes étaient assises par terre dans une pièce.
"Les jeunes filles et les femmes, sont séparées. Ils nous ont conduites dans la maison et ils nous ont vendues. Moi et une autre pour Mossoul. Une pour la Syrie, une autre pour Tel Afar."
Eveline à de grands yeux bleus effrayés. Elle a 15 ans. Elle a été déportée en Syrie, a Raqqa avec dit-elle un groupe de 200 jeunes filles. D’après son témoignage, elle a été achetée avec huit autres Yézidis par un membre de l’organisation Etat islamique qui a ensuite revendu une partie de son butin.
"Il a dit : on va vous vendre. Un premier homme a pris Inas, le deuxième a pris Samia et Khalia. Il voulait qu’on oublie notre famille. On devait travailler pour eux."
Objets sexuels
Aishé à 18 ans. La famille s’est réduite à elle et son frère. Les autres sont toujours entre les mains de l’organisation Etat islamique. Elle décrit le cœur de ce système d’exploitation. Avec cinq autres filles elle a été conduite dans le village de Rambusi à quelques kilomètres du mont Sinjar. D’après son témoignage et celui d’une autre victime, elles étaient six dans une maison vide. Il y avait une femme pour un combattant fondamentaliste. Ils avaient de 25 à 40 ans. Elles étaient utilisées comme objets sexuels.
"Il m’a mis dans la chambre et tout ce qu’il pouvait faire il me l’a fait. J’ai été battue. Il ne voulait pas se marier, tout ce qu’il voulait c’était m’avoir pour lui et faire ce qu’il voulait avec moi."
Marchandisation
Dans l’échelle de la souffrance, les femmes yazidis grimpent un échelon à chaque étape de leur histoire. Elles sont aujourd’hui plus de 140 à s’être évadée d’après un membre du Centre contre le génocide créé à Dohuk pour essayer de documenter cette situation. Mais dans ces évasions les femmes sont en fait souvent l’objet d’un sous marché. Certains arabes sunnites les aident à sortir de cet enfer, avec parfois un prix. Plus de 4000 dollars pour Tammer.
"Ma sœur s’est échappée. Elle s’est réfugiée dans une famille. La famille m’a appelé et elle m’a demandé de l’argent pour la libérer. J’ai dû emprunter 4.000 dollars. Mais j’ai une autre sœur à Mossoul. Là ils ont demandé 5.000 dollars."
La société yazidie est à la fois traditionnaliste, compartimentée et hermétique. L’exploitation de ces femmes est un traumatisme profond pour une communauté qui fait de la virginité le fondement du mariage.
Les Yezidis apparaissent démunis pour prendre correctement en charge les rescapées. Elles sont souvent abandonnées à elles-mêmes après avoir été les victimes de ce que Human Rights Watch a qualifié dans un récent rapport de crime contre l’humanité. L’ONU estime à 2.500 le nombre de personnes kidnappées par l’organisation Etat islamique. Les responsables yazidis évoquent presque le double.
** Tous les noms ont été changés pour protéger les parents de ces victimes toujours aux mains de l’organisation Etat islamique. *
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