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La finance islamique: une réelle différence ?
Christine Lagarde lui a rendu hommage. Elle a servi à financer un emprunt d’Etat en Côte d’Ivoire… Elle, c’est la «finance islamique». Mais que se cache-t-il derrière ces mots et ce concept? En quoi consiste-t-elle? Quelles différences avec la finance classique? Quel développement connaît-elle dans le monde et en France? Tentative de réponse.
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La «finance islamique» a même droit de cité sur le site du ministère de l’Economie français qui tente une définition : «Le terme finance islamique recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la Charia, qui supposent l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites (alcool, tabac, paris sur les jeux, etc.), ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits.»
Cette finance a le vent en poupe. Plusieurs Etats européens tentent de lui faire une place. Londres a émis des obligations «islamiques», des «sukuk», tout comme le Luxembourg, en euro. Il faut dire que les montants en jeu sont importants. Mme Lagarde, la patronne du FMI, a affirmé que les actifs de la finance islamique avaient dépassé la barre des 2.000 milliards de dollars et avaient un potentiel de croissance encore plus grand. Il faut dire que les pétro-monarchies débordent (débordaient ?) de dollars. Et que 40 millions des 1,6 milliard de musulmans à travers le monde sont des clients de la finance islamique, dont la popularité ne cesse d'augmenter.
Qu’est-ce que la finance islamique ?
Ce type de banques connaît une croissance à deux chiffres. «Elle est née à la fin des années 50 en Malaisie pour organiser l’épargne dans le but de faciliter le pèlerinage à La Mecque», explique Kader Merbouh, responsable de l’Executive Master de Finance Islamique à l’Université de Paris-Dauphine.
Cette finance repose sur quelques principes. L’interdiction de l’intérêt tout d'abord. «La rémunération du temps» est proscrite, explique Kader Merbouh. Dans ce système, les bénéfices des parties-prenantes d'un contrat financier doivent tenir compte du risque encouru par chacun. Cette condamnation de l’intérêt est une notion qui n'est pas propre à l'islam. Elle apparaît dans les religions monothéistes. Elle est notamment apparue, dans l'Islam, pour mettre fin à l’esclavage qui résultait de taux d’usures qui enchaînaient les débiteurs à leurs créanciers.
Deuxième règle, interdiction d’introduire dans les contrats toute opacité, tout élément hasardeux. «Ce qu’on appelle la spéculation», résume M.Merbouh. Enfin, troisième règle, pour garantir une prospérité réelle, les transactions doivent nécessairement s'appuyer sur des actifs tangibles. M.Merbouh voit dans cette règle «la condamnation des produits dérivés» qui sont des produits qui s’appuient sur d’autres produits.
Enfin, le financement des produits condamnés par la religion (les armes, le porc, l'alcool, l'industrie du jeu et la pornographie) est interdit. Une règle que M.Merbouh rapproche des investissements ISR (investissement socialement responsable) qui intègrent, dans la finance traditionnelle, des valeurs environnementales ou sociales dans le choix des projets à financer.
Comment cela fonctionne ?
Le prêt avec intérêt étant interdit, la finance islamique procède différemment. Ainsi, «si vous voulez acquérir un appartement, c’est la banque dite islamique qui l’achète d’abord puis vous le revend à un prix nécessairement plus élevé avec un crédit échelonné selon un échéancier déterminé. Cette opération est censée être commerciale, alors que si vous empruntez à une banque normale et remboursez le prêt avec un taux d’intérêt, vous commettez un acte illicite», explique Abdelmajid Charfi dans un excellent article de la Revue.
Une solution pratique qui ressemble beaucoup au leasing, la location-vente.
Quelle différence avec la finance traditionnelle
Au-delà des aspects techniques, la finance islamique est-elle différente de la finance normale ? Pour M.Merbouh, l’idée est de «faire de la finance et de l’économie, sans que la finance s’impose à l’économie». La finance islamique serait moins sensible à la folle créativité de la finance classique responsable de la spéculation. La nécessité d'adosser les titres à des actifs tangibles aurait empêché la crise de 2008 qui, grâce à la titrisation des subprimes, avait vu la spéculation américaine se répandre dans le monde entier. De plus, les subprimes auraient été aussi impossibles, en raison de leur manque de clarté.
La Banque islamique serait donc mieux ancrée dans l'économie réelle. Cela n'empêche pas les critiques. «Sur ce qui est de la pratique usurière (taux d'intérêt), la pratique est la même. Les taux d'intérêt pratiqués par les banques islamiques sont même parfois bien supérieurs à ceux des banques commerciales», note l’économiste tunisien Walid Hasni. Une position partagée par le philosophe et islamologue Tariq Ramadan pour qui les promoteurs de cette finance religieusement correcte «ne font en réalité que remplacer le langage financier classique par une terminologie spécifique, on change les noms, mais on fait la même chose». «L’approche, dit Tariq Ramadan, est trop utilitariste, et sa dimension éthique reste marginale.»
Pour Kader Merbouh, il n'en reste pas moins que «la finalité n'est pas la même». Et de rappeler la création de «bulles et de valeurs dissociées de la réalité», dans la finance traditionnelle «où des millions d'Américains se sont endettés à des taux variables». Le débat autour de la finance islamique, explique le responsable de la formation de Dauphine, «s'inscrit dans les débats sur les excès de la financiarisation, sur la finance participative ou l'importance à accorder à l'économie réelle».
Il n’est pas étonnant de voir les pays occidentaux se lancer dans l’adaptation de leurs règles à ce type de finance. «Proposer des obligations respectant ces principes religieux permettrait d'attirer l'excès de liquidité des pays musulmans, au premier rang desquels les pays du Golfe. Voilà pour la France une opportunité économique précieuse pour stimuler l'investissement et diversifier nos sources de financement», notait Les Echos.
La France entend d'ailleurs bien s'inscrire sur ce marché. Outre des filières d'excellence dans la formation de spécialistes (Paris Dauphine ou Strasbourg), Paris a adapté certaines de ses règles fiscales pour mieux s'adapter à ce nouveau marché dont certains produits sont déjà accessibles, que ce soit dans la banque ou l'assurance (Salam épargne et placements de Swisslife).
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