Pourquoi la France va rester plus longtemps que prévu au Mali
La France s'apprête à renforcer sa présence militaire dans le nord du pays, après l'assassinat de deux journalistes français. Explications de ce revirement.
"Il va sans doute falloir renforcer encore" la présence militaire française au Mali "pour pouvoir faire reculer le terrorisme". Alors que le retrait des troupes devait continuer, la déclaration de Najat Vallaud-Belkacem, la porte-parole du gouvernement, lundi 4 novembre, officialise la volte-face de la France, deux jours après l'enlèvement et l'assassinat de deux journalistes français dans le nord-est du pays, et à l'approche des élections législatives, dont le premier tour est fixé au 24 novembre.
Un peu moins de 3 000 soldats français sont déployés au Mali. Ils sont surtout présents à Bamako et dans la région de Gao, à un millier de kilomètres au nord-est de la capitale. Enfin, environ 200 militaires sont stationnés à l'aéroport de Kidal, à l'extrême nord du pays. Leur effectif devait être maintenu à 2 500 hommes jusqu'à fin 2013 et la fin du cycle des législatives maliennes, avant d'être ramené à un millier fin janvier. Mais ce plan de désengagement est chamboulé.
"La France est piégée au Mali pour de nombreux mois, sinon de nombreuses années", juge Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique contacté par francetv info. Voici pourquoi.
Parce que la guerre contre le terrorisme n'est pas gagnée
"Nous avons gagné cette guerre, nous avons chassé les terroristes, nous avons sécurisé le Nord", se félicitait François Hollande le 19 septembre. Ce jour-là, le chef de l'Etat était accueilli en héros à Bamako, sous les applaudissements de milliers de Maliens réunis pour la fête d'investiture du nouveau président, Ibrahim Boubacar Keïta. La menace terroriste n'a pourtant pas disparu. Les attaques et les accrochages se sont même multipliés depuis début octobre, relève Le Nouvel Observateur.
"La sécurité est loin d’être rétablie dans le nord du Mali et en particulier autour de Kidal et Gao", expliquait l'islamologue et spécialiste de géopolitique Mathieu Guidère. Les Touareg laïques du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), qui militent pour l’autonomie du Nord-Mali, se sont accrochés à plusieurs reprises avec l’armée malienne à Kidal, leur fief historique, qu'ils souhaitent administrer directement.
Leur rivaux, les Touareg islamistes d'Ansar Dine, sont, eux aussi, les ennemis des soldats maliens. Quant aux jihadistes d'Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et du Mujao (le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), ils combattent à coup d'attentats suicides et d'enlèvements d’étrangers.
Dimanche 20 octobre, la France a donc lancé l'opération Hydre. Une vaste offensive qui mobilise 1 500 hommes : des militaires maliens, des casques bleus, mais surtout 500 à 700 soldats français. Les troupes ratissent les régions désertiques, au nord et au sud de la boucle du Niger, à la recherche de groupes d'insurgés et de caches d'armes. Un "mouvement permanent", "destiné à empêcher les groupes terroristes de se réorganiser", explique Le Figaro. Du "contre-terrorisme", déclarait le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, vendredi 25 octobre à l'Assemblée. Une action à long terme.
Parce que personne ne va prendre le relais
L'armée française restera "longtemps au Mali", prévient Le Figaro, "pour servir de force de réaction rapide et appuyer les forces maliennes et onusiennes". Car "les Nations unies (...) ne sont pas à même de prendre le relais", glisse une source diplomatique à Libération (article payant). "Les effectifs de la Minusma, la force des Nations unies au Mali, doivent passer de 6 000 à 12 000 hommes à terme. Mais les casques bleus déjà mobilisés sont sous-équipés en moyens lourds, véhicules blindés, hélicoptères", souligne Antoine Glaser.
Le salut ne viendra pas non plus de l'armée malienne, mal équipée, désorganisée et divisée. Elle est "totalement déstabilisée depuis le coup d'Etat de mars 2012", décrit l'expert. "Il y a ceux qui ont soutenu la junte militaire d'un côté et ceux restés loyaux au président déchu Amadou Toumani Touré, de l'autre. A cela s'ajoutent des rivalités entre des officiers soupçonnés de corruption et des sous-officiers qui s'estiment lésés."
La France est en outre "isolée", ajoute Antoine Glaser, "compte tenu de la frilosité de la communauté internationale et, en premier lieu, de ses partenaires européens". De plus, "il n'y a pas de soutien réel des pays de la région à l'armée française". "A l'exception du Niger et surtout du Tchad, le pays le plus aguerri de la région et le principal appui de la France, ses partenaires africains n'ont pas les moyens militaires suffisants pour agir." Enfin, "l'Algérie et la Mauritanie ne sont pas parties prenantes, alors qu'elles font face à la menace terroriste islamiste. L'absence de coordination avec les pays du Maghreb rend l'action de l'armée française encore plus difficile".
Parce que des intérêts économiques sont en jeu
L'opération Serval, lancée en janvier, a permis d'éliminer une partie des combattants islamistes présents au Mali. Mais selon RFI, un tiers des jihadistes seraient parvenus à fuir les combats, trouvant refuge dans les pays voisins : Algérie, Niger, Libye, Burkina Faso, Mauritanie ou Tchad. Ces groupes mobiles font ainsi peser une menace sur le Sahel.
Et si Paris a peu d'intérêts économiques stratégiques au Mali, il en a en revanche dans les pays voisins. Au Niger, Areva exploite des gisements d'uranium qui représentent un tiers de sa production et sont donc vitaux, aussi bien pour l'alimentation des centrales nucléaires françaises que pour la vente de cette matière première aux clients étrangers. Depuis février, le COS, le commandement des opérations spéciales, est stationné dans le nord du Niger pour protéger les sites d'Imouraren et d'Arlit, où des Français avaient été pris en otage par Aqmi en 2010. Le détachement est fort d'une soixantaine d'hommes, indique Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret défense, alors hébergé par Marianne. Or "jusqu'à présent, les forces spéciales françaises ne participaient pas directement à la sécurité d'intérêts privés", rappelle Le Point.
Le Sahel, "région extrêmement pauvre", "n'est pas amené à le rester", prédit Antoine Glaser. Elle pourrait devenir "une des grandes régions d'exploitation d'hydrocarbures de demain." Le Tchad exporte du pétrole depuis 2003, la Mauritanie depuis 2006 et le Niger depuis 2011. Cette "perspective intéresse les géants du secteur", y compris français. Total et GDF Suez sont déjà présents en Algérie et actifs en Mauritanie où ils explorent le sous-sol à la recherche de pétrole et de gaz, note Challenges. La France a des bases militaires dans toute la zone : en Mauritanie, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, liste Libération. Son action au Mali s'inscrit donc, dans la durée, dans le cadre de cette présence régionale.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.