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Doha Film Institute: «Nous cherchons des voix qui incarnent le cinéma de demain»

Le Qatar investit tous les secteurs, y compris le cinéma grâce au Doha Film Institute. Créée en 2010, la structure a contribué au financement de la production de sept œuvres, originaires du monde entier, présentées aussi bien dans les sections parallèles du Festival de Cannes que dans sa sélection 2016. Entretien avec Khalil Benkirane, directeur du fonds de soutien du Doha Film Institute.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Photos de films, soutenus par le Doha Film Institute, présentés à Cannes en 2016 (DR)

Pourquoi le Qatar a-t-il ressenti le besoin de se doter d'une structure, le Doha Film Institute, dont l'un des objectifs est de contribuer au financement de projets cinématographiques à travers le monde?
Nous avons avant tout l’ambition de créer une nouvelle génération de réalisateurs qataris. L'objectif du Doha Film Institute est de mettre en place un cadre qui permette de soutenir des projets – de l'écriture à la production et à la post-production – grâce à ses différents départements (formation, production et financement) et une plateforme pour montrer des films, entre autres, via les différents festivals que nous organisons.

En créant notre département de financement, nous voulions également donner corps à une famille de réalisateurs à travers le monde, créer un espace où ils peuvent échanger et idéalement collaborer à un moment donné. Avec notre évènement Qumra, lancé il y a deux ans, nous ramenons également des talents à Doha. Les réalisateurs qataris peuvent ainsi présenter leur projet et surtout rencontrer de grands noms de l’Industrie. L'une des priorités du Doha Film Institute est la formation parce que le Qatar ne dispose pas vraiment d’une industrie cinématographique.
 
Que peut-on en dire?
Quelques petits films ont été faits mais ils se comptent sur les doigts d'une main. La première salle de cinéma au Qatar date des années 70. Cependant, il y a une industrie locale qui produit beaucoup pour la télévision et travaille sur des films institutionnels. Aujourd’hui, les sociétés de production envisagent de travailler pour le cinéma parce qu’il y a cette ouverture depuis 2010.

Nous avons créé en 2015 un fonds exlusivement dédié au cinéma qatari. Les projets sont sélectionnés sur deux sessions. Une somme de 50.000 dollars, contrôlée par l’Institut qui met son matériel et son savoir-faire à disposition, est allouée par projet. Cette somme est consacrée à la production pour les courts métrages et à l'écriture scénaristique pour les longs métrages. Neuf courts métrages et 4 longs métrages ont été retenus.

Depuis la création de l'institut, nous disposons de la création d’un programme de soutien ouvert à tous, aussi bien aux réalisateurs qataris qu'à ceux venus du monde entier et travaillant sur leur premier ou deuxième film.

Dans ce dernier cas, les critères d’éligibilité diffèrent selon les régions. Le programme octroie des bourses de 5.000 à 100.000 dollars, selon l’étape à laquelle se trouve le projet, le type de film et sa durée.
 
Six ans après le lancement de l’institut, quel bilan peut-on faire de sa contribution au développement du cinéma au Qatar?
Entre 2010 et 2016, beaucoup de jeunes réalisateurs ont commencé à donner corps à leur envie de faire du cinéma parce qu’il y a un institut qui peut les aider. Avec nos dispositifs de formation et d'aide à la production, nous avons lancé beaucoup d’initiatives qui ont permis à de nombreux jeunes Qataris de tourner des films, parfois d'une durée d’une minute… Nous avons ainsi pu contribuer à la production de nombreux courts métrages.
 


«Lamb», le premier film éthiopien à Cannes, et «Mustang», qui a représenté la France aux Oscars 2016, ont été soutenus par le Doha Film Institute et présentés à Cannes en 2015. Cette année, vous avez participé au financement de 7 films dont «Le Client (Forushande)» du cinéaste iranien Asghar Farhadi en lice pour la Palme d’or. Vous devez être satisfaits de cette présence plus accrue dans l'un des festivals les plus prestigieux du monde...
Nous en sommes heureux. Cependant, nous ne soutenons pas des projets en pensant qu'ils seront sélectionnés à Cannes. Mais c'est vrai que si nos films commencent ici, à Venise ou dans un grand festival, leurs chances d'avoir plus de visibilité sont multipliées.

Parmi les productions présentées durant le Festival, six films (Dogs, Tramontane, Apprentice, DivinesMimosas et Diamond Island, NDLR) ont bénéficié d’une bourse dans le cadre de notre programme de soutien. Pour le film d’Asghar Farhadi, Le Client,  le processus de financement relève d’un autre département de l’institut dédié au co-financement, une démarche réservée à des cinéastes plus établis.

Le Doha Film Institute a un tropisme: le développement du cinéma arabe. Pourquoi?
Au départ, notre fonds de soutien était exclusivement destiné au cinéma arabe (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Depuis six sessions, en raison de deux sessions par an, nous avons décidé de l’ouvrir à l’international. C'est ce qui nous a permis de participer à la production de films comme Dogs et Apprentice (présentés à Un Certain Regard, NDLR), Mimosas (qui a obtenu le Grand Prix Nespresso, premier prix de la Semaine de la critique) et Diamond Island (qui a obtenu le prix SACD de la Semaine de la critique, NDLR).

Il est important que les réalisateurs arabes soient exposés à un cinéma au-delà de leurs frontières. A partir du moment où on se compare à toute la planète, il y a beaucoup plus de chances de générer un cinéma plus intéressant, plus avant-gardiste, plus frais et donc plus célébré. Depuis 2010, nous avons aidé environ 300 films, dont 48 en dehors du monde arabe suite à l'élargissement du fonds.


Khalil Benkirane, le directeur du fonds de soutien du Doha Film Institute, en 2013 (JEROD HARRIS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)


Quelles sont les régions qui font le plus appel à vous?
Le monde arabe bien évidement, l’Amérique latine... Nous commençons à soutenir des projets originaires d'Asie. Nous n’avons malheureusement pas assez de projets africains et le cinéma européen est plutôt absent, ce que nous regrettons.

De quoi votre institut est-il le plus fier aujourd'hui?
Nous sommes en train de soutenir des projets qui ont vraiment besoin de l'être. Le but du cinéma indépendant n'est pas de faire des profits et si bénéfices il y a, ils sont marginaux. Notre raison d'être est d'aider à raconter des histoires qui ne pourraient pas l'être autrement. 

Cette année, par exemple, nous avons soutenu la Bolivie, un pays qui n'a pas de cinéma parce que le secteur n'est pas aidé. Pour nous, il est très important de donner naissance à un film parce qu'il incarne un talent, raconte une histoire qui peut être célèbrée au-delà de ses frontières nationales.
 
On ne peut que prêter des ambitions géopolitiques à cette présence de plus en plus forte dans le septième art qui est un élément de soft power...
Nous ne sommes pas dans la politique mais dans la culture. En ce qui concerne le soft power, tout le monde l'utilise. On devrait plutôt célébrer ce pays qui investit dans la culture. Le Qatar a énormément contribué à la production cinématographique mondiale ces dernières années.

Nous nous limitons à célébrer le cinéma de demain, à sélectionner des projets qui l'incarnent et surtout à promouvoir un cinéma indépendant face à un autre plus commercial, qui propose du divertissement pur et dur. 

Nous cherchons des voix qui se distinguent, qui amènent quelque chose de nouveau et qui repoussent les limites quand il s'agit de raconter une histoire. En Occident, d'une certaine manière, tout a été raconté. Les jeunes revisitent donc des histoires déjà contées et trouvent un moyen, avec la forme, de leur donner une certaine fraîcheur.

A contrario, dans le cinéma arabe, par exemple, on en est encore à devoir raconter parce que tout n'a pas été dit. Pour ce faire, la plupart des réalisateurs restent assez conventionnels. Ils ne s'attardent pas sur la forme. C'est pourquoi, nous avons ouvert le fonds a l'international afin de démontrer qu'il y a d'autres manières de faire du cinéma. Il s'agit pour nous de faire travailler nos cinéastes sur la forme et le contenu. 
 
Quels sont vos projets? 
Nous avons déjà réalisé beaucoup de choses en cinq ans. Notre rêve est de voir des jeunes Qataris faire leur premier long métrage. Nous sommes en train d'y travailler. Cela devient une réalité et, dans les 2-3 années à venir, nous espérons montrer au monde un ou plusieurs longs-métrages. 

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