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Irak: le photographe Ali Arkady révèle en images les crimes commis par l’armée
Exfiltré d’Irak, le photographe Ali Arkady publie des documents accablants pour l’armée d’un régime appuyé par l’Iran et les Etats-Unis. Embarqué avec la Division de réaction rapide lors de la reconquête de Mossoul, il a photographié et filmé des interrogatoires de civils accusés d’être de Daech. Des exactions qu’il n’hésite pas à qualifier de «crimes de guerre» dans un entretien avec «Télérama».
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Avant-goût de ce qui attend la population de Mossoul, capitale de l’organisation de l’Etat islamique en Irak, lorsqu’elle sera complètement tombée aux mains de l’armée irakienne, le témoignage d’Ali Arkady ne laisse planer aucun doute.
En reportage pour montrer un travail remarquable, il découvre l'horreur des exactions
A 34 ans, ce photojournaliste irakien a réussi à se faire exfiltrer du pays avec sa femme et sa fille, mais surtout avec des photos et vidéos attestant du comportement des militaires participant à la reconquête de la ville.
Embarqué plusieurs semaines avec la division baptisée ERD, (Emergency Response Division ou Division de réaction rapide), pour couvrir ce qu’il pensait être «un courageux et remarquable travail dans la lutte contre Daech», Ali a découvert l’horreur des exactions et de ce qu’il estime être des «crimes de guerre».
Dans un entretien exclusif accordé à l’hebdomadaire Télérama depuis un lieu tenu caché, Ali raconte comment, caméra en main, il suit les soldats à la recherche de complices de Daech.
Cette semaine dans Télérama pic.twitter.com/Pfanpq80aL
— Télérama (@Telerama) May 31, 2017
Au cours de ces ratissages, la violence augmente chaque jour. Intimidations, coups, interrogatoires nocturnes de jeunes gens réveillés brutalement et tremblant de peur. «Ces missions étaient en réalité des prétextes à une sorte d’épuration, de punition systématique des civils, presque tous sunnites et soupçonnés d’avoir accueilli Daech avec sympathie», explique le photographe.
Sunnite lui-même mais portant un nom typiquement chiite et travaillant sous la protection des militaires qu’il accompagne, il effectuait depuis la mi-octobre 2016 un reportage sur le début de l’offensive à Mossoul. Une commande de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
Ali Arkady a pu photographier et filmer des scènes de torture
Les photos qu’il en a rapportées publiées par Der Spiegel et Télérama montrent des personnes bâillonnées ou les yeux bandés, les bras ligotés à l’arrière et suspendus au plafond. Certains sont interrogés un couteau appuyé à l’arrière du crâne. Une vidéo montre même un jeune homme tué par balles comme s’il s’agissait d’un vulgaire lapin.
Ali Arkady a ainsi été témoin de tortures, d’exécutions sommaires, d’abus sexuels, des violences exercées à l’encontre de civils. Des humiliations, des coups auxquels il assiste et auquels il a été par deux fois amené à participer, comme il le raconte, pour ne pas éveiller les soupçons et se faire tuer par la même occasion.
«Si j’avais refusé, un jour ou l’autre, ils m’auraient mis une balle dans la tête et fait passer pour une victime de Daech», dit-il, sans doute pour atténuer sa culpabilité.
Sorti d’Irak le 4 janvier 2017, il s’est décidé à tout raconter à Télérama, y compris ses propres dérapages, pour que rien ne soit caché. «Au début de mon exil, je n’ai pas pu dire ce que j’avais fait. Je ne l’ai jamais oublié, mais il m’était impossible d’en parler. Les mots restaient bloqués. Aujourd’hui j’assume. J’ai préservé ma vie et je suis allé au bout de ce reportage pour faire connaître la vérité dont j’ai été témoin», plaide-t-il.
Haine et vengeance, ingrédients du prolongement de l'état de guerre intercommunautaire
Son témoignage et ses documents, qui circulent désormais sur CNN, ABC et les réseaux sociaux, sur l’attitude des soldats irakiens est essentiel pour maîtriser la suite des événements. «Les soldats, très majoritairement chiites, sont fiers de porter la revanche de leur communauté, longtemps dominée par les sunnites, puis massacrée par Daech», raconte-il.
«L’un de ceux que j’ai suivis a perdu plusieurs proches à Tikrit en juin 2014, lorsque Daech y a assassiné des centaines de chiites… Leur violence se nourrit de haine et de vengeance», explique-t-il encore.
Deux ingrédients qui risquent fort de prolonger indéfiniment l’état de guerre intercommunautaire en Irak et de retarder d’autant le retour de la population à une vie civile normale.
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