Cet article date de plus de dix ans.
Kurdes de Syrie, d'Irak, de Turquie, d'Iran: qui sont-ils?
Les Kurdes de Syrie ont proclamé le 17 mars 2016 une région fédérale dans le nord du pays. Au-delà de la Syrie, on trouve des représentants de ce peuple sur une zone de près de 500.000 km entre Turquie, Irak et Iran. Retour sur cette «nation sans Etat», sa langue, sa culture, ses religions, son histoire.
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Mis à jour
Temps de lecture : 7min
(Article mis en ligne une première fois le 1er septembre 2014)
Comment se répartissent aujourd’hui les Kurdes ?
Le Kurdistan se trouve aujourd’hui divisé entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Un territoire morcelé où les révoltes sont fréquentes. On compte aussi des minorités kurdes dans des républiques de l’ex-URSS : Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan…
Les Kurdes n’ont jamais été réunis sous un pouvoir central. De plus, «c’est un peuple des montagnes et un peuple anciennement nomade, ce qui ne prédispose pas à l’unification. (…) L’organisation, encore très tribale, oppose souvent les chefs de tribus», observe un (excellent) article de Slate.
Combien y a-t-il de Kurdes aujourd’hui ?
Selon Slate, les estimations varient entre 20 et 40 millions. Il y en aurait entre 13 et 15 millions en Turquie, 7-9 millions en Iran, 4-5,3 millions en Irak, 1-2 millions en Syrie, 300.000 dans les pays de l’ex-URSS. Sans compter 1 million de personnes réparties dans la diaspora à l’étranger, en Europe (notamment en Allemagne et en France), en Israël, au Liban…
Quelle est leur religion ?
Entre 70 % et 95% des Kurdes, selon les sources, sont de confession musulmane sunnite. Mais l’on compte aussi parmi eux des chiites (notamment en Irak, où ils ont été massacrés du temps de Saddam Hussein, et en Iran). Ainsi que des adeptes de cultes pré-islamiques (?) mêlant soufisme et chiisme, comme les alévis (en Turquie) et les yézidis en Irak du nord.
On trouve aussi des chrétiens, catholiques et membres des églises orientales : chaldéens, assyriens et syriaques, rapporte Slate. Comme une minorité juive, dont la totalité des membres semblent avoir émigré (notamment en Israël).
Quelle langue parlent-ils ?
«Le kurde, langue indo-européenne, appartient au groupe nord-occidental des langues iraniennes», selon le site de la représentation du Gouvernement régional du Kurdistan-Irak en France. Cet idiome se répartit en deux groupes, qui se comprennent l’un l’autre: le kurmandji (parlé en Syrie, en Turquie, dans le nord du Kurdistan irakien, en Iran et en Asie centrale); le sorani (parlé au sud du Kurdistan iranien et irakien). On trouve aussi différents dialectes.
Le sorani s’écrit au moyen de l’alphabet arabe, le kurmandji avec l’alphabet latin. L’alphabet cyrillique est utilisé en Asie centrale.
Les Kurdes dans l’Histoire
«Les historiens s’accordent généralement pour les considérer comme appartenant au rameau iranien de la grande famille des peuples indo-européens», explique Kenzal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, dans un article très complet mis en ligne sur le site de cette fondation reconnue d’utilité publique. Au cours de la Préhistoire, les lointains ancêtres des Kurdes se seraient installés dans les montagnes situées entre le plateau iranien et le cours supérieur de l’Euphrate.
Au VIIe avant J.-C., les Mèdes («qui sont aux Kurdes ce que les Gaulois sont aux Français») ont apparemment fondé un vaste empire englobant l’Assyrie, l’actuelle Iran et l’Anatolie centrale. Par la suite, leur sort restera lié à l’histoire perse jusqu’à l’arrivée des Arabes musulmans, au VIIe siècle.
Au Xe siècle, ce qui va devenir le Kurdistan est partagé entre quatre grandes principautés, peu à peu annexés par les Turcs seldjoukides. Vers 1150, le sultan Ahmad Sandjar créé une province du Kurdistan («pays des Kurdes»). Quelques années plus tard, le guerrier d’origine kurde Saladin, qui mena la vie dure aux croisés, fonde la dynastie ayyoubide qui va dominer le monde islamique pendant près d’un siècle. Jusqu’aux invasions mongoles de sinistre mémoire.
Au XVe, le pays kurde commence à devenir «une entité autonome, unie par sa langue, sa culture et sa civilisation mais politiquement morcelée en une série de principautés». Une entité qui va devenir l’objet de rivalités entre les empires ottoman et perse.
Pris entre le marteau et l’enclume, cette entité finit par entrer dans la sphère d’influence ottomane. Ce qui va lui assurer «près de trois siècles de paix», raconte Kenzal Nezan. Jusqu’au début du XIXe siècle. Les Kurdes sont alors «pratiquement indépendants dans la gestion de leurs affaires». Petit détail : parmi les titres que portaient le sultan ottoman, on trouvait notamment celui «de “Padişah-i Kurdistan” (padishah ou empereur du Kurdistan, NDLR) comme en attestent les archives administratives ottomanes. Mais les autorités turques ne semblent pas s’en souvenir», rappelle Slate.
Au XIXe siècle, tout change. L’Empire ottoman, qui va devenir «l’homme malade de l’Europe» (selon une formule prêtée au tsar russe Nicolas Ier en 1855), entend désormais s’immiscer dans les affaires kurdes et mettre fin à cette autonomie de fait. L’époque est travaillée par les idées d’Etat-nation insufflées par la Révolution française. On assiste alors à une série d’insurrections, souvent conduites par des chefs traditionnels, durement réprimées. Dans le même temps, le pouvoir turc s’efforce d’intégrer l’aristocratie kurde.
Survient la Première guerre mondiale. Une période que la société kurde aborde divisée, entre partisans d’une autonomie au sein de l’Empire ottoman et tenants de l’indépendance. En 1920, le traité de Sèvres, signé entre les vainqueurs du conflit et la Turquie, envisage la création d’un Kurdistan indépendant dans l’est de l’Anatolie et dans la province de Mossoul.
Mais pendant ce temps, «l’aile traditionnelle du mouvement kurde» (dixit Kenzal Nezan) s’allie avec le chef nationaliste turc Mustafa Kemal qui entend récupérer les territoires acquis en 1920 par les Grecs en Anatolie. Ce dernier promet la création d’un Etat regroupant Turcs et Kurdes. Après la victoire de Kemal, le traité de Lausanne (1923) rend caduc celui de Sèvres. Et proclame la domination de la Turquie sur la majeure partie des territoires kurdes.
Le Kurdistan se trouve un peu plus démembré. La France se voit reconnaître la souveraineté de la Syrie, donc des provinces kurdes de la Djezireh et du Kurt-Dagh. En 1926, la Grande-Bretagne exige et obtient que soit attribuée à l’Irak (qu’elle domine) la région de Mossoul, riche en pétrole. En Iran, la révolte du leader kurde Simko Shikak contre le pouvoir central est réprimée en 1922.
Le Kurdistan, nouvel Etat au Moyen-Orient?
Emission Le Dessous des Cartes; vidéo mise en ligne le 13 avril 2013
Comment se répartissent aujourd’hui les Kurdes ?
Le Kurdistan se trouve aujourd’hui divisé entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Un territoire morcelé où les révoltes sont fréquentes. On compte aussi des minorités kurdes dans des républiques de l’ex-URSS : Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan…
Les Kurdes n’ont jamais été réunis sous un pouvoir central. De plus, «c’est un peuple des montagnes et un peuple anciennement nomade, ce qui ne prédispose pas à l’unification. (…) L’organisation, encore très tribale, oppose souvent les chefs de tribus», observe un (excellent) article de Slate.
Combien y a-t-il de Kurdes aujourd’hui ?
Selon Slate, les estimations varient entre 20 et 40 millions. Il y en aurait entre 13 et 15 millions en Turquie, 7-9 millions en Iran, 4-5,3 millions en Irak, 1-2 millions en Syrie, 300.000 dans les pays de l’ex-URSS. Sans compter 1 million de personnes réparties dans la diaspora à l’étranger, en Europe (notamment en Allemagne et en France), en Israël, au Liban…
Quelle est leur religion ?
Entre 70 % et 95% des Kurdes, selon les sources, sont de confession musulmane sunnite. Mais l’on compte aussi parmi eux des chiites (notamment en Irak, où ils ont été massacrés du temps de Saddam Hussein, et en Iran). Ainsi que des adeptes de cultes pré-islamiques (?) mêlant soufisme et chiisme, comme les alévis (en Turquie) et les yézidis en Irak du nord.
On trouve aussi des chrétiens, catholiques et membres des églises orientales : chaldéens, assyriens et syriaques, rapporte Slate. Comme une minorité juive, dont la totalité des membres semblent avoir émigré (notamment en Israël).
Quelle langue parlent-ils ?
«Le kurde, langue indo-européenne, appartient au groupe nord-occidental des langues iraniennes», selon le site de la représentation du Gouvernement régional du Kurdistan-Irak en France. Cet idiome se répartit en deux groupes, qui se comprennent l’un l’autre: le kurmandji (parlé en Syrie, en Turquie, dans le nord du Kurdistan irakien, en Iran et en Asie centrale); le sorani (parlé au sud du Kurdistan iranien et irakien). On trouve aussi différents dialectes.
Le sorani s’écrit au moyen de l’alphabet arabe, le kurmandji avec l’alphabet latin. L’alphabet cyrillique est utilisé en Asie centrale.
Les Kurdes dans l’Histoire
«Les historiens s’accordent généralement pour les considérer comme appartenant au rameau iranien de la grande famille des peuples indo-européens», explique Kenzal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, dans un article très complet mis en ligne sur le site de cette fondation reconnue d’utilité publique. Au cours de la Préhistoire, les lointains ancêtres des Kurdes se seraient installés dans les montagnes situées entre le plateau iranien et le cours supérieur de l’Euphrate.
Au VIIe avant J.-C., les Mèdes («qui sont aux Kurdes ce que les Gaulois sont aux Français») ont apparemment fondé un vaste empire englobant l’Assyrie, l’actuelle Iran et l’Anatolie centrale. Par la suite, leur sort restera lié à l’histoire perse jusqu’à l’arrivée des Arabes musulmans, au VIIe siècle.
Au Xe siècle, ce qui va devenir le Kurdistan est partagé entre quatre grandes principautés, peu à peu annexés par les Turcs seldjoukides. Vers 1150, le sultan Ahmad Sandjar créé une province du Kurdistan («pays des Kurdes»). Quelques années plus tard, le guerrier d’origine kurde Saladin, qui mena la vie dure aux croisés, fonde la dynastie ayyoubide qui va dominer le monde islamique pendant près d’un siècle. Jusqu’aux invasions mongoles de sinistre mémoire.
Au XVe, le pays kurde commence à devenir «une entité autonome, unie par sa langue, sa culture et sa civilisation mais politiquement morcelée en une série de principautés». Une entité qui va devenir l’objet de rivalités entre les empires ottoman et perse.
Pris entre le marteau et l’enclume, cette entité finit par entrer dans la sphère d’influence ottomane. Ce qui va lui assurer «près de trois siècles de paix», raconte Kenzal Nezan. Jusqu’au début du XIXe siècle. Les Kurdes sont alors «pratiquement indépendants dans la gestion de leurs affaires». Petit détail : parmi les titres que portaient le sultan ottoman, on trouvait notamment celui «de “Padişah-i Kurdistan” (padishah ou empereur du Kurdistan, NDLR) comme en attestent les archives administratives ottomanes. Mais les autorités turques ne semblent pas s’en souvenir», rappelle Slate.
Au XIXe siècle, tout change. L’Empire ottoman, qui va devenir «l’homme malade de l’Europe» (selon une formule prêtée au tsar russe Nicolas Ier en 1855), entend désormais s’immiscer dans les affaires kurdes et mettre fin à cette autonomie de fait. L’époque est travaillée par les idées d’Etat-nation insufflées par la Révolution française. On assiste alors à une série d’insurrections, souvent conduites par des chefs traditionnels, durement réprimées. Dans le même temps, le pouvoir turc s’efforce d’intégrer l’aristocratie kurde.
Survient la Première guerre mondiale. Une période que la société kurde aborde divisée, entre partisans d’une autonomie au sein de l’Empire ottoman et tenants de l’indépendance. En 1920, le traité de Sèvres, signé entre les vainqueurs du conflit et la Turquie, envisage la création d’un Kurdistan indépendant dans l’est de l’Anatolie et dans la province de Mossoul.
Mais pendant ce temps, «l’aile traditionnelle du mouvement kurde» (dixit Kenzal Nezan) s’allie avec le chef nationaliste turc Mustafa Kemal qui entend récupérer les territoires acquis en 1920 par les Grecs en Anatolie. Ce dernier promet la création d’un Etat regroupant Turcs et Kurdes. Après la victoire de Kemal, le traité de Lausanne (1923) rend caduc celui de Sèvres. Et proclame la domination de la Turquie sur la majeure partie des territoires kurdes.
Le Kurdistan se trouve un peu plus démembré. La France se voit reconnaître la souveraineté de la Syrie, donc des provinces kurdes de la Djezireh et du Kurt-Dagh. En 1926, la Grande-Bretagne exige et obtient que soit attribuée à l’Irak (qu’elle domine) la région de Mossoul, riche en pétrole. En Iran, la révolte du leader kurde Simko Shikak contre le pouvoir central est réprimée en 1922.
Le Kurdistan, nouvel Etat au Moyen-Orient?
Emission Le Dessous des Cartes; vidéo mise en ligne le 13 avril 2013
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