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Israël: la question des détenus palestiniens

Quelque 5.000 Palestiniens sont actuellement emprisonnés en Israël , dont près de 200 en détention administrative. Contre ce mode de détention sans jugement, 250 détenus mènent une grève de la faim. Une situation explosive alors que tout processus de paix est bloqué et que la disparition de trois jeunes Israéliens mobilise l'armée.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
12 mai 2014 à Jérusalem: une fillette avec le portrait d'un proche lors d'une manifestation en faveur des détenus palestiniens en grève de la faim. (AHMAD GHARABLI / AFP)

La grève de la faim de détenus palestiniens dans les prisons israéliennes a débuté le 24 avril 2014. Une grève destinée à protester contre le système des détentions administratives qui permet aux Israéliens de détenir tout suspect sans motif pour une durée indéterminée.

Un exemple illustre cette question des prisonniers palestiniens. Ayman Tbeisheh, du village de Dura près d’Hébron en Cisjordanie occupée, a dépassé les cent jours grève de la faim pour protester contre sa détention sans cesse renouvelée depuis sa dernière arrestation en mai 2013, selon le journal al-Quds al-Arabi. Tbeisheh a passé un total de onze ans dans les prisons israéliennes, dont près de cinq ans en détention administrative.

Selon l'ONG palestinienne Addameer, Tbeisheh a commencé à refuser de s’alimenter le 22 mai 2013, immédiatement après que ses quatre mois de détention administrative ont été confirmés par un tribunal militaire. Il a suspendu sa grève après 105 jours, quand il a pensé avoir conclu un accord avec les Israéliens. Mais cet espoir a été brisé et l’ordre de détention a été renouvelé, bien que sa santé se soit gravement détériorée. «Peu après avoir repris un peu de sa force physique, il a relancé sa grève de la faim le 24 février 2014. Tbeisheh a depuis été placé dans le centre médical Assaf Harofe où il est enchaîné sur un lit d’hôpital qui peut devenir son lit de mort à tout moment», raconte un site de solidarité avec les Palestiniens.

Un jeune Palestinien jongle avec un ballon devant un barrage israélien lors d'une manifestation de soutien aux grévistes palestiniens de la faim, le 11 juin 2014 en Cisjordanie. (ABBAS MOMANI / AFP)

Grève de la faim depuis le 24 avril
Alors que le mouvement dure depuis plus d'un mois, «la vie des grévistes de la faim est désormais clairement en danger», estime l’organisation de défense des Palestiniens, l'Association France palestine Solidarité (AFPS).

Un comité de l’ONU estime qu'«au moins 290 Palestiniens en détention administrative sont actuellement en grève de la faim et de nombreux autres devraient se joindre au mouvement dans les semaines à venir. Parmi les Palestiniens détenus se trouvent 11 membres élus du Parlement palestinien, dont huit sont en détention administrative.»  

Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a appelé Israël à inculper ou libérer ces détenus retenus sans charge. La détention administrative est une pratique héritée de l'époque du mandat britannique sur la région, qui permet de détenir une personne sans inculpation ni jugement en vertu d'ordonnances militaires renouvelables indéfiniment. Elle est l'un des principaux moyens d'intimidation et de répression dans les territoires occupés. Et les critiques contre ce système ne sont pas nouvelles. Amnesty demandait déjà en 2012 «à Israël de cesser d'utiliser ces mesures pour réprimer les activités légitimes et pacifiques des militants dans les territoires palestiniens occupés». 

Un haut responsable palestinien a appelé la communauté internationale à presser Israël de supprimer ce système de détention sans inculpation ni jugement. «J'écris au nom de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du président Mahmoud Abbas pour demander votre intervention immédiate au sujet des Palestiniens actuellement en grève de la faim dans les prisons israéliennes», a écrit Saëb Erakat dans une lettre. «Nous vous appelons à demander à Israël d'abroger la politique de détention administrative et de conditionner l'approfondissement de vos liens bilatéraux avec Israël au respect par Israël de ces obligations», a-t-il ajouté. Un appel qui n'a guère été entendu jusqu'à présent.

Selon Addameer, «beaucoup de prisonniers, qui avaient déjà été libérés suite à des accords d’échanges de prisonniers, ont été de nouveau arrêtés en vertu de l'article 186 de l'ordonnance militaire 1651. Ceux-ci, de nouveau arrêtés, sont traduits devant un comité militaire israélien spécial qui est habilité à imposer de nouveau le reste de leur peine originale.»
 
Une loi pour les détenus en grève de la faim

Le gouvernement israélien cherche parallèlement à faire passer une législation qui autoriserait à alimenter de force les prisonniers palestiniens en grève de la faim. Le Parlement a approuvé le 16 juin ce texte en première lecture, mais une série de débats et de votes sont encore nécessaires pour qu'il ait force de loi. Le projet a été dénoncé par les députés de gauche, libéraux et arabes, mais aussi par l'Ordre des médecins israélien ou des organisations de défense des droits de l'Homme.
 
Dans un communiqué, la branche israélienne de l'association humanitaire Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits de l'Homme) a accusé le ministère israélien de la Santé de bloquer les visites de docteurs indépendants auprès des grévistes de la faim hospitalisés. Le ministère collabore avec le service pénitentiaire pour mettre en œuvre «une politique coordonnée qui consiste à empêcher l'accès d'équipes médicales indépendantes aux grévistes de la faim, en violation complète de la loi existante et de l'éthique médicale», a déploré l'ONG.
 
L’Ordre des médecins israélien a appelé dans une lettre la ministre de la Justice Tzipi Livni à bloquer le texte. L’Ordre estime que ce projet serait «en totale contradiction avec l’éthique médicale» au niveau international.
L’alimentation forcée représente un «danger» pour la santé des grévistes de la faim, souligne-t-il, ajoutant : «Nous ne pouvons accepter une loi qui place les médecins dans une bataille dont ils ne devraient pas faire partie, en violation complète de leurs devoirs professionnels et éthiques.»

6 juin 2014. A Ramallah, Cisjordanie, des secouristes viennent en aide à une manifestante et sa fille, lors d'une manifestation de soutien aux détenus palestiniens en grève de la faim dans les prisons israéliennes.  (ABDALKARIM MUSEITEF/AFP)

Situation bloquée
Ces nouvelles grèves de la faim (un conflit du même ordre avait déjà eu lieu en 2012) tombe dans un contexte de totale paralysie politique et de tension née de la disparition de trois jeunes Israéliens dans les territoires occupés. «A Gaza, là aussi, la tension monte et l’armée a déployé des batteries anti-missiles dans les localités du sud d’Israël en prévision d’une nouvelle escalade qui paraît inévitable, avec tous les dangers que cela comporte pour la région», écrit Charles Enderlin sur son blog. Dans ces circonstances où «le dossier palestinien a quasiment disparu de la place publique occidentale», selon le correspondant de Francetélévisions en Israël, «le décès de ces détenus embraserait les territoires palestiniens».

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