PRIX BAYEUX. Patrick Chauvel: «Ils ont leur Capa au Nord-Vietnam»
Patrick Chauvel a couvert la guerre du Vietnam. De 1967 à 1974. Ce n'est qu'en 2013 que ce grand photographe, lors d'un voyage à Hanoï, a rencontré des photographes qui ont fait le même travail que lui, mais dans les rangs de l'armée d'en face. «J'ai demandé à en rencontrer et on m'en a présenté trois», nous raconte-t-il aujourd'hui.
De cette rencontre, Chauvel a fait un livre Ceux du Nord. Un ouvrage magnifique dans lequel il montre les photos inconnues (ou presque) de ces journalistes du Nord-Vietnam et dresse le portrait de quelques uns de ses confrères. «Ca a été assez extraordinaire, en comparant les photos, on s'est même aperçu qu' à un certain moment, pendant les combats, on avait du se retrouver, chacun dans son camp, à 300 mètres l'un de l'autre.»
«J'ai souvent pensé à ces confrères fantômes dont les photos manquaient au puzzle de notre mémoire», écrit-il joliment dans son livre.
«Tout le temps, je pensais qu'il y avait des photographes dans l'autre camp. On se demandait comment des types comme nous pouvaient survivre sous de tels bombardements.» L'époque n'était pas aux bombardements chirurgicaux mais aux tapis de bombes déversés par les B-52. Dans son livre, il témoigne de la violence d'un bombardement au napalm sur une unité nord-vietnamienne alors qu'il était lui même au sol avec des soldats américains: «Comment peut on survivre à ça ?»
La guerre enfin vue du côté des gagnants
En voyant les photos qu'ils ont prises, Patrick Chauvel (qui a découvert la guerre du Vietnam à 18 ans en grimpant dans des hélicoptères américains et en risquant plusieurs fois sa vie) est fasciné par les clichés de ses «confrères» du Nord : «Ce qui est impressionnant, c'est le rôle des femmes. Elles sont partout et font tout, soldates, canonnières... La couverture du livre montre d'ailleurs une de ces combattantes. Je l'ai rencontrée. Elle a subi 883 raids et à cause des bombardements a été enterrée vivante plusieurs fois.»
Pour Patrick Chauvel, la mise à l'honneur de ces photos venues de l'autre camp permettent enfin d'avoir des images de la guerre vue du côté des gagnants. «D'habitude, les guerres sont plutôt racontées par les vainqueurs or, pour ce conflit, ce que nous avions c'était plutôt des récits et des images venues du camp des perdants.»
Avec l'œil du spécialiste, il rend un hommage appuyé à leur travail. «On découvre le talent de très grands photographes, comme nos Gilles Caron ou Larry Burrows (tous les deux morts pendant la guerre). Ils ont leur Capa au Nord.» Et pourtant leurs conditions de travail et de survie «étaient hallucinantes. Ils développaient leurs photos en faisant des trous dans le sol ou dans leurs bottes pour mettre les produits, attendaient qu'un nuage masque la lune pour avoir le noir, tout en traversant des régions sous les bombes au napalm ou l'agent orange. Après, pour remonter leurs photos, ils devaient reprendre la piste Ho Chi Minh vers le nord. Souvent, ils confiaient une partie de leurs photos à d'autres, avec un testament.»
Cette guerre ne pouvait être gagnée par les Américains
Pas étonnant dans de telles conditions que ces photographes aient payé un très lourd tribut : quelque 400 journalistes nord-vietnamiens ont été tués pendant la guerre.
«Si on avait vu ces photos plus tôt, on aurait sans doute compris que cette guerre ne pouvait être gagnée par les Américains », ajoute Patrick Chauvel, tant les photos présentées dans le livre montrent tout un peuple en arme.
Il fallait continuer la guerre pour la gagner
Ces photographes du Nord étaient en général armés. Mais ceux du sud pouvaient l'être aussi. Etaient-ils journalistes ou faisaient-ils de la propagande ? Patrick Chauvel : «Pour nous, ils faisaient peut être de la propagande, mais pour eux, ils montraient ce qu'était la guerre. Ils faisaient des images pour montrer qu'il fallait continuer la guerre pour la gagner. Alors que nous on faisait le contraire. On montrait la souffrance des soldats, eux mettaient à l'honneur ceux qui partaient à l'assaut. Finalement, eux et nous, on essayait de raccourcir la guerre.» Dans son livre, il écrit : «Il est vrai qu'on entendait rarement le mot "victoire" chez les soldats, même sur nos images dénonçant cette guerre qui faisait du sur place.»
Avec la sortie de ce livre, c'est un nouveau regard que l'on porte sur la guerre du Vietnam. Patrick Chauvel va présenter le livre à Hanoï. «Les Vietnamiens sont contents du projet. On reconnaît leur lutte.» Les images des photographes du Nord vont s'ajouter aux «images mémorables, iconiques, comme celle de cette petite fille, courant nue le corps brûlé au napalm, ou celle du général Loan exécutant un Viêt-cong à Cholon, le quartier chinois de Saïgon, pendant l'offensive du Têt en 1968.»
Des héros du livre, les photographes nord-vietnamiens, sont venus à Perpignan, au festival de l'image. «Ils ont reçu un accueil extraordinaire. Il y a eu une standing ovation de 10 minutes pour eux. Certains de ces photographes ont pleuré. En pensant à leurs amis morts ».
«Ceux du Nord»
(Les photos inédites de photoreporters du Nord-Vienam entre 1955 et 1975)
Patrick Chauvel
Editions les Arênes
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