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Affaire Khashoggi : "Il ne paraît pas envisageable que le prince Mohammed ben Salman n'ait pas été au courant" de l'opération

Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient, livre son analyse sur franceinfo à propos de la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salman le 23 octobre 2018. (FAYEZ NURELDINE / AFP)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a promis de "tout faire" pour "élucider" le "meurtre sauvage" du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, alors que 18 personnes sont suspectées d'en être les auteurs et que la responsabilité de Riyad n'a pas encore été établie. Mais "il ne paraît pas envisageable que le prince héritier Mohammed ben Salman n'ait pas été au courant des détails de l'opération", explique Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient et vice-présidente de l'Iremmo, mardi 23 octobre sur franceinfo.

franceinfo : Les autorités saoudiennes sont-elles acculées désormais ?

Agnès Levallois : Il est évident que tous les éléments qui sont en train de sortir mettent le royaume en mauvaise position. Mais on voit bien qu'il y a une volonté de la part des Américains et peut-être même des Turcs d'essayer de trouver une sortie de crise honorable pour les uns et les autres, même si les éléments à charge contre le royaume sont absolument évidents aujourd'hui.

Est-il imaginable qu'un tel projet s'organise sans l'assentiment des dirigeants saoudiens et notamment du prince héritier ?

Une opération de cette nature, de cette importance, il me paraît effectivement impensable que ce soit pris sans des ordres donnés au plus haut niveau, peut-être même par le prince héritier, mais ça, je pense qu'on n'aura probablement jamais l'information précise. (…) Alors est-ce qu'elles ont été au courant dans le détail, après peut-être pas, mais ça ne change rien finalement à ce qui s'est passé et aux responsabilités au plus haut niveau du système politique de ce royaume. On voit bien que depuis l'arrivée aux affaires du prince héritier, Mohammed ben Salman (MBS), celui-ci concentre l'ensemble des pouvoirs entre ses mains, et ça c'est une différence notoire majeure avec le mode de fonctionnement du royaume saoudien avant l'arrivée de MBS où vous aviez un système collégial, reposant sur un consensus entre les princes de la famille royale. Or, depuis l'arrivée de Mohammed ben Salman, on voit bien que c'est lui et lui seul qui prend l'ensemble des décisions, et d'ailleurs il a entre ses mains plusieurs porte-feuilles puisqu'il est ministre de la Défense, il est prince héritier, et il a aussi la haute main sur toutes les affaires économiques. Dans ce nouveau système tel qu'il l'a mis en place au sein du royaume, il ne paraît pas envisageable qu'il n'ait pas été au courant des détails de cette opération.

L'affaire Khashoggi fait-elle réagir en Arabie saoudite ?

Oui, ça fait réagir en Arabie saoudite parce que cette affaire a un retentissement international et qu'en Arabie saoudite, le taux d'utilisation des réseaux sociaux, de l'information est extrêmement élevé. Donc tout le monde regarde, suit, avec des réactions très contrastées évidemment sur les réseaux sociaux, en particulier où une partie des Saoudiens soutiennent le prince héritier parce qu'il a mené un certain nombre de réformes sur la scène politique intérieure qui satisfont une grande partie de la population, en particulier jeune, avec l'autorisation d'ouverture des salles de cinéma, les femmes qui ont le droit de conduire, et certains qui voient dans cette opération finalement la conséquence de la façon qu'a Mohammed ben Salman de gérer les affaires du royaume, à savoir un système avant tout autoritaire et avec une volonté de contrôler l'ensemble des réformes qu'il veut mettre en place dans le royaume. [Mais] les critiques sont prudentes parce qu'il y a une peur très forte aujourd'hui au sein du royaume parce que tous les opposants savent qu'ils sont visés, que les opposants peuvent le payer de leur vie, avec l'affaire Khashoggi. (…) Donc il y a beaucoup de choses qui se disent sur les réseaux sociaux, mais on voit depuis quelques temps quand même une évolution, à savoir une crainte qui s'exprime aussi sur ces réseaux sociaux où des choses se disent de façon moins directe, de peur des réactions des services de renseignement qui regardent évidemment de très près ce qui s'y joue. Parce que c'est là finalement la scène politique en Arabie saoudite, puisqu'il n'y a pas de contestation, il n'y a pas de partis politiques.

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