Incident diplomatique à Jérusalem : qu'est-ce que l'Eléona, ce domaine français où des gendarmes ont été brièvement arrêtés par la police israélienne ?
Un déplacement qui vire à l'incident diplomatique entre la France et Israël. La police israélienne est entrée "armée" et "sans autorisation" dans l'Eléona, un site de pèlerinage géré par la France à Jérusalem-Est, jeudi 7 novembre, dans le cadre d'un déplacement du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Le chef de la diplomatie française a dénoncé une "situation inacceptable" et refusé de pénétrer dans ce lieu, tandis que la police israélienne y a ensuite arrêté brièvement deux gendarmes français en civil. "L'entrée en force de la sécurité israélienne constitue une décision sans précédent, ce qui fait toute sa gravité", ont réagi des sources diplomatiques auprès de Radio France.
Cette visite officielle en Israël devait être de nature à cultiver les liens entre les deux pays. Dans ce cadre, la venue du ministre dans ce "domaine placé sous la responsabilité de la France", "évoqué à de nombreuses reprises en amont", selon ces mêmes sources, devait se faire sans "aucune sécurité armée israélienne (...) sur le site". "Le domaine de l'Eléona (...) est un domaine qui non seulement appartient à la France depuis plus de 150 ans, mais dont la France assure la sécurité, l'entretien et avec énormément de soins", a affirmé le ministre.
Pas l'équivalent d'une ambassade
L'Eléona ("l'oliveraie" en grec) est construit sur les hauteurs du mont des Oliviers, à Jérusalem-Est, partie palestinienne de la ville occupée par Israël depuis 1967. Il abrite un haut-lieu de la religion catholique, "la grotte dite du Pater", refuge du Christ à Jérusalem et lieu d'enseignement de la prière du "Notre Père" aux disciples, en sous-sol, "et au-dessus un cloître inachevé datant du XIXe siècle", décrit le Consulat général de France à Jérusalem.
Sur le fronton de la grotte est gravée l'inscription latine "Spelunga in qua docebat Dominus apostolos in Monte Oliveti", qui signifie "Grotte dans laquelle le Seigneur a enseigné à ses apôtres sur le mont des Oliviers", précise La Croix. Sur les murs de la propriété, on peut lire des "Notre Père" dans toutes les langues. L'Eléona "est un lieu saint", résume à l'AFP le père Laurent, recteur de la basilique Sainte-Anne.
"Ici, en Israël, les lieux saints sont des lieux particulièrement protégés. On n'entre pas avec des armes."
Père Laurent, recteur de la basilique Sainte-Anneà l'AFP
Le site était "interdit d'accès aux chrétiens sous Saladin", puis a été "racheté à la fin du XIXe siècle par la princesse de la Tour d'Auvergne qui y fit élever un cloître, réalisé par Viollet-le-Duc, pour encadrer la grotte", retrace le Consulat général. La princesse a donné une partie "de son terrain à la France en 1868", ajoute La Croix. Depuis 1873, le site de l'Eléona abrite aussi un monastère et 12 sœurs de l'ordre religieux des Carmélites.
D'un point de vue diplomatique, l'Eléona fait partie des quatre domaines nationaux français près de Jérusalem, avec le Tombeau des rois, la basilique Sainte-Anne et l'ancienne commanderie croisée d'Abou Gosh avec leurs églises romanes. Selon l'ancien ambassadeur de France en Israël, Gérard Araud, cité par Le Figaro, ce domaine national n'est pas une emprise diplomatique au même titre qu'une ambassade, c'est-à-dire un espace protégé et interdit aux autorités du pays où il se trouve. "Donc le droit du pays hôte [Israël] s'applique, assure-t-il au quotidien. L'objection que nous pourrions formuler est que nous ne reconnaissons pas la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est. Mais, dans les faits, nous l'avons respectée."
Des précédents avec Macron et Chirac
Concernant les autres domaines, le Tombeau de rois est en fait le tombeau de la princesse Hélène d'Adiabene (Kurdistan), assure le Consulat général de France à Jérusalem. Le site a été fouillé dès 1863 par des archéologues français et acquis par les frères Péreire, célèbres banquiers du Second Empire, qui le donnèrent à la France en 1886.
Abou Gosh, située à Jerusalem-Ouest, est une ancienne commanderie construite au XIIe siècle par les chevaliers de Saint-Jean l'Hospitalier et abandonnée aux musulmans en 1187, relate le Consulat général. Elle a ensuite été donnée à la France par l'Empire ottoman et abrite une communauté de moniales, depuis 1976. Enfin, la basilique Sainte-Anne, construite au XIIe siècle également et située à l'intérieur des murs de Jérusalem, est considérée comme le site "de la maison des parents de la Vierge Marie et de la piscine de Béthesda où, selon les évangiles, le Christ guérit un paralytique", détaille la même source. Elle a été offerte à Napoléon III en 1856 et restaurée par le gouvernement français, après les dommages survenus pendant la guerre des Six Jours, en 1967.
C'est dans cette basilique, le 22 janvier 2022, que la visite d'Emmanuel Macron avait été marquée par une bousculade. Le président avait lancé en anglais à un policier israélien "I don't like what you did in front of me" ("Je n'aime pas ce que vous avez fait devant moi"). Mais l'incident le plus connu reste celui de 1996. Jacques Chirac, alors président de la République, s'était emporté contre des soldats israéliens qui l'encadraient de trop près en lançant le fameux "Do you want me to go back to my plane ?" ("Voulez-vous que je remonte dans mon avion ?"), avant d'exiger que les militaires sortent du domaine de Sainte-Anne.
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