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Mort de Colin Powell : "Il a été le premier chef d'état-major d'origine afro-américaine", retient l'historien Thomas Snégaroff

Alors que l'ancien chef de la diplomatie américaine sous George W. Bush, Colin Powell, est mort lundi à l'âge de 84 ans, l'historien Thomas Snégaroff est revenu sur le parcours de cette "figure politique".

Article rédigé par franceinfo
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Colin Powell lors d'une interview devant le département d'Etat à Washington, le 8 février 2003 (illustration). (TIM SLOAN / AFP)

Colin Powell, général américain, chef de la diplomatie américaine sous George W. Bush, est mort lundi 18 octobre à 84 ans de complications liées au Covid-19. Sur franceinfo, l'historien Thomas Snégaroff est revenu sur son parcours paradoxal et exceptionnel. En effet, selon lui Colin Powell "a été à la fois l'incarnation de l'amoralité absolue et a fini sa carrière comme étant l'exemple même de la morale en politique".

franceinfo : Colin Powell est-il resté dans les mémoires comme l'homme de la guerre en Irak et du mensonge ?

Thomas Snégaroff : Oui, à son corps défendant. Il l'a souvent expliqué et a même demandé une enquête en 2011, pour savoir d'où venait ce mensonge. Colin Powell a été l'agent d'un mensonge d'Etat concocté par les Etats-Unis, ses services secrets et ses alliés. Celui-ci visait à prouver au monde entier, le 5 février 2003 à l'Organisation des nations unies (ONU), que le régime irakien de Saddam Hussein était en train de se doter d'armes de destruction massive et que, par conséquent, il fallait entamer une guerre préventive. Colin Powell était alors celui qui portait la voix des États-Unis en tant que secrétaire d'État américain. Il restera cette photo de lui avec une fiole d'anthrax dans les mains, montrant de quoi était capable le régime irakien. La petite histoire raconte qu'il n'était pas du tout content du discours qu'il devait prononcer quand il l'a découvert peu de temps avant de le prononcer. Ce n'est pas lui mais ses services qui l'avaient écrit. Mais Colin Powell était un homme de devoir, un soldat. Quand le président américain a donné un ordre, le soldat qu'il était a dû tenir ce discours. (...) Il a été le transmetteur d'un message mensonger. Cela ne fait pas de lui le menteur en chef, qui était un peu au-dessus. C'est Tony Blair et les autres.

Colin Powell avait d'ailleurs admis que cette allocution était une tache sur sa réputation, sur une carrière militaire et politique assez incroyable par ailleurs...

Il a effectivement été, très jeune, envoyé au Vietnam par le président Kennedy. Il a été le premier chef d'état-major américain d'origine afro-américaine. Sa famille était de Jamaïque, mais il était Noir aux yeux des Américains. Il a été aux commandes, à ce poste-là, de la première guerre en Irak. Il a été le premier Noir nommé secrétaire d'État avant Condoleezza Rice, qui lui a succédé. (...) Colin Powell a d'ailleurs été, à un moment donné, pressenti pour être le candidat du Parti républicain à la présidentielle, notamment en 1996, où finalement c'est Bob Dole qui a pris cette place. On a aussi songé à Powell en tant que vice-président à plusieurs reprises, parce qu'il incarnait quelque chose de l'autorité, quelque chose de racial - au sens américain du terme - qui était très fort aux États-Unis. Il a donc été effectivement une figure politique. Puis, il a rompu les amarres avec le Parti républicain, d'abord en appelant à voter Obama en 2008 et en 2012, puis plus encore, quand il a vu Donald Trump au pouvoir, en disant que celui-ci était un menteur. Lorsqu'il a assisté le 6 janvier dernier à l'insurrection au Capitole de la part de militants pro-Trump très violents, il a dit : "Je ne me considère plus comme Républicain." C'était peut être l'une de ses dernières déclarations vraiment politiques. Il incarne, pour beaucoup de Républicains et beaucoup d'Américains, une espèce de vieux Parti républicain, qui a encore une boussole morale. Ce qui est paradoxal, puisqu'il a été à la fois l'incarnation de l'amoralité absolue en mentant au monde entier, en tout cas en étant messager de ce mensonge, et par la suite, il a fini sa carrière comme étant l'exemple même de la morale en politique, quitte à se fâcher avec ses amis du Parti républicain.

C'est cette image-là qu'il laisse auprès des Américains ?

Oui, c'est quelqu'un qui avait une très bonne image. Les Américains sont assez touchés, il y a une forte émotion aux Etats-Unis parce qu'il est devenu l'incarnation, d'une part, de la réussite de quelqu'un qui n'avait pas fait l'académie militaire de Westpoint, ce qui était extraordinaire pour devenir chef d'état-major. Il avait beaucoup de talent et de courage. Il a été blessé deux fois au Vietnam, et on sait qu'aux États-Unis, le patriotisme passe largement par les drapeaux et par l'armée. Il avait donc cette figure-là, mais aussi celle d'un homme qui avait réussi à gravir tous les échelons politiques, et à dire quand il le fallait que des choses étaient moralement répréhensibles. Il a eu un parcours politique impressionnant.

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