Mort du général Soleimani : on vous explique l'influence politique, sécuritaire et économique des Iraniens en Irak
La mort du puissant général iranien à Bagdad, vendredi, remet en lumière l'ingérence de Téhéran dans les affaires irakiennes.
"Vous devez savoir que moi, Qassem Soleimani, je contrôle la politique iranienne en Irak, au Liban, à Gaza et en Afghanistan." Ce message, envoyé en 2007 à David Petraeus, alors général en Irak, résume le rôle et l'importance du puissant général iranien tué dans un raid américain à Bagdad, vendredi 3 janvier. Sa mort remet en lumière l'immense influence de Téhéran dans les affaires irakiennes, qu'elles soient politiques, économiques ou sécuritaires. Franceinfo vous aide à comprendre cette présence iranienne en Irak.
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L'Iran présent en Irak depuis plusieurs années
Il faut remonter à 2003, après le renversement de Saddam Hussein, pour observer l'influence iranienne chez son voisin. L'invasion américaine de l'Irak a été une "bénédiction des dieux" pour Téhéran, explique Alain Rodier dans les colonnes d'Atlantico. "Quand toute l'infrastructure sunnite a été décapitée par les vainqueurs, Téhéran a organisé les mouvements irakiens chiites, qui lui étaient naturellement favorables, pour qu'ils deviennent de véritables cellules combattantes", continue le directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement. De nombreux responsables chiites irakiens en exil sont rentrés au pays à ce moment-là.
La présence iranienne s'est ensuite renforcée en 2011, après le retrait américain. Téhéran s'est alors empressé de remplir le vide, autant pour étendre son influence que pour se renseigner sur la présence américaine. A tel point que "rien ne se fait en Irak sans l'aval de l'Iran, aujourd'hui", assure Thierry Coville, chercheur à l'Iris, joint par franceinfo. "C'est une ingérence au quotidien sur beaucoup de plans, mais cette forte influence ne passe plus, selon le chercheur. Elle est dénoncée par des manifestants depuis quelques semaines, à la fois dans Bagdad et dans les villes du sud du pays."
Des "liens étroits" avec les politiques irakiens
Mi-décembre, des centaines de documents des renseignements iraniens ont atterri sur le bureau des journalistes du site d'investigation The Intercept (lien en anglais). Quelque "700 pages de rapports secrets", datés de 2014 et 2015, transmis par un informateur anonyme. Ce dernier voulait que "le monde sache ce que l'Iran fait à son pays, l'Irak". Cette fuite montre comment le pouvoir iranien a fait des responsables politiques irakiens sa première cible.
On y apprend que les renseignements iraniens ont noué une "relation spéciale" avec Adel Abdel-Mahdi, lorsqu'il était ministre du Pétrole en 2014, puis Premier ministre, jusqu'à sa démission, le 1er décembre dernier. Ces "liens étroits" s'appliquent aussi au ministre des Affaires étrangères de l'époque, Ibrahim al-Jaafari, et à d'autres membres éminents du cabinet du Premier ministre. On lit enfin que les espions iraniens disposaient aussi d'un agent dans l'entourage proche du chef du Parlement.
Ces fuites sans précédent révèlent donc "la vaste influence de l'Iran en Irak, en détaillant des années de travail méticuleux par les espions iraniens pour coopter les leaders du pays, payer des agents irakiens (...) et infiltrer tous les aspects de la vie politique, économique et religieuse de l'Irak", selon le New York Times (lien en anglais).
L'Iran réussit à placer ses hommes à tous les étages du système politique irakien qui, il faut le dire, est extrêmement fragile.
Thierry Coville, chercheur à l'Irisà franceinfo
Les renseignements iraniens ont recruté "tous azimuts parmi les anciens informateurs de la CIA. Ils ont aussi visé les forces de sécurité irakiennes, comme ce responsable du renseignement militaire, approché fin 2014 à Kerbala. Celui-ci proposera aux Iraniens de profiter du matériel de surveillance fourni à Bagdad par les Américains", continue Libération.
Ces liens privilégiés permettent à l'Iran de défendre au mieux ses intérêts. En témoigne un épisode de l'automne 2014. "La guerre de la coalition internationale contre l'Etat islamique vient de commencer sur le territoire irakien, écrit le journal français. L'Iran dépêche alors un très haut responsable pour négocier le libre accès à l'espace aérien, et ce, afin de continuer à envoyer des chargements d'armes au régime syrien. Téhéran obtient gain de cause auprès du ministre des Transports, malgré l'opposition des Etats-Unis qui voulaient enrayer cette assistance directe à Damas."
Des milices irakiennes qui obéissent à Téhéran
Pour Thierry Coville, pas de doute, "les forces de sécurité irakiennes sont directement liées à l'Iran". Le chercheur à l'Iris revient aussi sur cet épisode "pas si ancien que cela" de l'été 2014, lorsque l'Etat islamique a envahi le nord de l'Irak. "Quand les dirigeants irakiens ont appelé à la rescousse, personne n'a répondu, même pas les Etats-Unis. Personne, sauf un pays : l'Iran !"
C'est l'Iran qui a stoppé net l'avancée jihadiste dans le nord de l'Irak.
Thierry Coville, chercheur à l'Irisà franceinfo
Cette collaboration est aussi visible depuis quelques semaines, dans la violente répression du mouvement de révolte qui secoue l'Irak depuis le 1er octobre dernier et qui a déjà fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. Les milliers d'Irakiens sont spontanément descendus dans la rue, mais ont essuyé des tirs de snipers. "Les Gardiens de la Révolution iraniens forment les milices chiites irakiennes, auxquelles Téhéran fait davantage confiance qu'aux forces régulières irakiennes. Les snipers qui, depuis les toits, ont abattu des manifestants, appartiennent aux milices qui obéissent à l'Iran", décrypte l'historien Pierre-Jean Luizard, spécialiste de l'Irak, dans les colonnes de Ouest-France.
Un "partenaire commercial majeur" pour l'Irak
Après une décennie de domination des Etats-Unis, qui ont envahi le pays en 2003, Téhéran est devenu un allié de poids pour l'Irak. C'est d'autant plus vrai ces derniers mois, depuis le retrait des Etats-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien et la recrudescence des sanctions économiques. L'Iran, qui cherche à tout prix à relancer son économie, "est devenu un partenaire commercial majeur, vendant de l'électricité et du gaz naturel à l'Irak", développe Thierry Coville. "Téhéran souhaite aussi que l'Irak favorise les entreprises iraniennes pour la reconstruction du pays." Des accords dans les domaines des transports et de l'énergie ont déjà été signés.
En mars dernier, c'est donc entouré d'une délégation politique et économique que le président iranien a débarqué en Irak, pour sa première visite dans le pays depuis son accession au pouvoir en 2013. Alors que les échanges commerciaux entre l'Iran et l'Irak s'élèvent déjà à 12 milliards de dollars par an, Hassan Rohani entend les porter à 20 milliards.
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