Aide insuffisante, facture élevée, dégâts à répétition... Le terne bilan de la jetée américaine au large de Gaza, à laquelle les Etats-Unis renoncent
Le projet soulevait de nombreux doutes ; il aura finalement duré à peine deux mois. Le port flottant construit par les Etats-Unis au large de la bande de Gaza pour acheminer l'aide humanitaire n'a pas pu être de nouveau réinstallé après des réparations, et va être abandonné, a annoncé Washington jeudi 11 juillet. "A relativement court terme, nous allons cesser les opérations liées à cette jetée", a déclaré Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche. Elle a "toujours été considérée comme une solution temporaire", a rappelé le Pentagone.
Le président Joe Biden, qui avait souhaité installer ce ponton pour "augmenter massivement le volume de l'aide humanitaire" acheminée vers Gaza, ravagée par neuf mois de guerre, s'est dit "déçu". Lors d'une conférence de presse, jeudi soir, il a confié qu'il aurait aimé voir cette infrastructure flottante réussir sa mission. Mais depuis son installation par l'armée américaine, la plateforme portuaire préfabriquée a surtout fait parler d'elle par son accumulation d'échecs, étant même qualifiée de "fiasco humanitaire" par Médecins du monde. Franceinfo dresse le bilan de ce projet.
La facture est élevée pour une courte utilisation
La construction de cette infrastructure éphémère a coûté aux Etats-Unis 230 millions de dollars, soit plus de 210 millions d'euros, selon le ministère de la Défense américain. "La jetée à Gaza, malheureusement, ne représente rien de plus qu'une diversion extrêmement onéreuse de ce qui est véritablement nécessaire, mais aussi légalement requis", commentait en juin Michelle Strucke, directrice des affaires humanitaires au cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies (CSIS), auprès de l'AFP.
Selon elle, en se concentrant sur cette jetée et sur les largages aériens, les Etats-Unis "ont fait perdre du temps et de l'énergie pour les décisionnaires, et plus de 200 millions de dollars des contribuables américains". Par ailleurs, la construction a été particulièrement longue au regard de l'urgence humanitaire. Plus de deux mois se sont écoulés entre l'annonce du projet, le 8 mars, et le premier déchargement, le 17 mai.
L'aide acheminée est faible par rapport aux besoins
Le président américain avait annoncé, en mars, l'envoi "d'importantes cargaisons de nourriture, d'eau, de médicaments et d'abris temporaires". Selon le ministère de la Défense américain, la jetée a permis l'acheminement de plus de 8 100 tonnes d'aide humanitaire sur le littoral. Une source anonyme de l'agence Reuters à Chypre, d'où partaient les cargaisons déchargées sur la jetée, évoque plutôt 8 500 tonnes, "l'équivalent de 425 camions d'aide". Et ce alors que l'ONU estimait en avril qu'un minimum de 500 camions quotidiens étaient nécessaires pour répondre aux besoins de base des habitants de la bande de Gaza. En deux mois, la jetée a donc acheminé l'équivalent d'une petite journée de besoins – loin de "l'augmentation massive" de livraisons promise initialement par Joe Biden.
Washington devrait "faire attention à ne pas soutenir des mesures qui ont belle allure sur le papier", mais qui au bout du compte "n'aboutissent pas à ce qu'une aide d'ampleur arrive aux Palestiniens", plaide Michelle Strucke du CSIS.
L'armée israélienne a été soupçonnée de s'en être servi pour une opération
Des doutes ont par ailleurs été exprimés sur la sécurité des activités liées à la jetée. Le 10 juin, l'ONU a ainsi annoncé que le Programme alimentaire mondial (PAM), en charge de l'acheminement de l'aide arrivant dans la bande de Gaza via la jetée temporaire américaine, y avait suspendu ses opérations. Une décision temporaire, "jusqu'à ce que soit menée une évaluation des conditions de sécurité pour assurer la sécurité de notre personnel et de nos partenaires", avait justifié Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU.
Interrogé sur les raisons de cette interruption, il a évoqué l'opération israélienne du 8 juin pour libérer quatre otages à Nousseirat, qui selon le ministère de la Santé du Hamas, a fait 274 morts et 698 blessés. Une opération lors de laquelle les troupes israélienne auraient "utilisé (...) un camion d'aide humanitaire" pour s'infiltrer, avait accusé le Croissant-Rouge palestinien. Ce que l'armée israélienne a démenti.
"Nous avons vu ce qui s'est passé à Gaza ce week-end, nous avons vu certaines informations des médias et nous avons pris note de la déclaration publique du commandement américain Centcom disant que la jetée n'a pas été utilisée dans l'opération des forces israéliennes liées aux otages", avait alors justifié Stéphane Dujarric. "Je pense qu'il est normal qu'après une telle opération qui a fait autant de victimes, nos collègues humanitaires fassent une pause pour examiner la situation." Les opérations du PAM ont finalement repris le 28 juin, rapporte NBC.
La jetée s'est avérée vulnérable aux conditions météo
Une semaine seulement après son installation initiale à la mi-mai, les vagues ont provoqué le désamarrage de quatre vaisseaux américains participant à l'opération. Trois jours plus tard, la jetée a été endommagée par d'exécrables conditions météo et a dû être transportée dans le port israélien d'Ashdod pour être réparée. Remise en opération le 7 juin, elle a de nouveau été transportée à Ashdod le 14 à cause de la houle, avant d'être rattachée le 19 juin. Dans son premier mois d'utilisation, la jetée flottante "n'aura donc été active qu'une dizaine de jours", déplorait alors Jean-Pierre Filiu, professeur en histoire du Moyen-Orient à Sciences Po Paris, dans Le Monde.
Le 28 juin, la jetée avait été, pour la troisième fois, retirée en raison de la houle et acheminée en Israël pour des réparations. La tentative de l'ancrer à nouveau au large de Gaza, mercredi, s'est soldée par un échec "en raison de problèmes techniques et liés à la météo", a rapporté le porte-parole du ministère américain de la Défense, jeudi. Le ponton a repris la direction du port d'Ashdod, où il restera "jusqu'à nouvel ordre".
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