Guerre dans la bande de Gaza : pourquoi la jetée flottante américaine, hors service, est qualifiée de "fiasco humanitaire"
Moins de quinze jours après sa mise en fonction, la jetée flottante américaine pour acheminer l'aide humanitaire depuis Chypre dans la bande de Gaza est hors de service. Elle a été endommagée en raison des conditions météorologiques, a annoncé mardi 28 mai le ministère de la Défense américain. Depuis son installation, ce pont artificiel, qui vise à contourner les sévères restrictions imposées par Israël à l'acheminement terrestre de l'aide vers le territoire palestinien, fait l'objet de nombreuses critiques.
Dans une déclaration conjointe publiée mardi, une vingtaine d'ONG dénoncent des "changements cosmétiques" à propos de cette jetée et des différents points de passage censés permettre l'approvisionnement de l'aide humanitaire à Gaza. Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde (MDM), qualifie même ce pont flottant de "fiasco humanitaire" auprès de Libération. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce que cette infrastructure flottante n'a pas résisté aux conditions météo
Elle n'a donc pas résisté aux aléas météorologiques. Quatre embarcations de l'armée américaine se sont échouées samedi 25 mai à cause d'une "mer agitée", selon le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom). La météo marine a également provoqué mardi la rupture d'une section de la jetée. Elle doit être retirée et envoyée dans la ville israélienne d'Ashdod pour être réparée, a expliqué lors d'un point-presse Sabrina Singh, porte-parole adjointe du Pentagone. "La reconstruction et la réparation de la jetée prendront au moins plus d'une semaine. "Une fois terminées, le but est d'ancrer à nouveau la jetée temporaire sur la côte de Gaza et de reprendre la livraison d'aide humanitaire", a-t-elle précisé.
Ce projet de jetée avait été annoncé initialement en mars par Joe Biden, lors de son discours sur l'état de l'Union. Déclarant que la guerre lancée par Israël après l'attaque du Hamas le 7 octobre avait "fait plus de victimes parmi les civils innocents que l'ensemble de toutes les guerres précédentes à Gaza", le président américain avait "donné l'ordre à l'armée américaine de mener une mission d'urgence pour construire un embarcadère temporaire en Méditerranée". Objectif : "Réceptionner d'importantes cargaisons de nourriture, d'eau, de médicaments et d'abris temporaires", alors que les deux principaux points de passage terrestres de l'aide humanitaire vers Gaza – Kerem Shalom depuis Israël et Rafah depuis l'Egypte – étaient déjà largement entravés par l'Etat hébreu.
Ce pont flottant a coûté au moins 320 millions de dollars (296 millions d'euros), selon les autorités américaines. Le New York Times rapporte d'ailleurs que cette annonce de Joe Biden a surpris le Pentagone, dont des responsables ont aussitôt prédit des problèmes de logistique et de sécurité. Comme le rappelle le quotidien américain, les Etats-Unis ont déjà utilisé ce type d'installation, baptisée "JLOTS" (Joint Logistics Over the Shore), pour l'aide humanitaire en Somalie, au Koweït et en Haïti. Mais dans le cas de Gaza, la jetée a été construite dans la précipitation, en à peine deux mois, sur la côte palestinienne, précise le journal.
Parce que l'acheminement de l'aide n'est pas sécurisé sur la suite du parcours
La complexité de cette infrastructure d'aide humanitaire, contrairement aux précédents dispositifs flottants américains, tient aussi au fait que les troupes américaines, dont la présence sur le terrain à Gaza est proscrite par la Maison Blanche, ne peuvent assurer la sécurité des camions une fois ceux-ci débarqués sur la terre ferme. Dans les jours qui ont suivi la mise en service de la jetée, le 17 mai, des véhicules ont ainsi été pillés alors qu'ils se dirigeaient vers un entrepôt.
Dans ces zones où "il n'y a eu aucune aide" et où la famine menace, la population a "pris ce qu'elle pouvait", de peur de ne pas revoir les précieuses marchandises, a expliqué vendredi 24 mai Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétariat général de l'ONU. A tel point que le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a dû suspendre ses activités pendant deux jours.
Comme le rapporte le New York Times, les ONG et les Nations unies ont également mis en cause des groupes criminels qui se sont emparés des fournitures pour les vendre à des prix exorbitants. "Mettre en place un quai et acheminer les fournitures sur le quai et sur le rivage est une chose. Mettre en place la logistique nécessaire pour acheminer l'aide aux endroits qui en ont le plus besoin est une tout autre affaire, et c'est là que le manque de planification et de coordination entre en jeu", a fait valoir auprès du quotidien américain Rabih Torbay, président de l'organisation humanitaire Project Hope.
Désormais, "l'opération est stabilisée, le PAM a trouvé divers chemins pour arriver à son entrepôt de Deir al-Balah", avait toutefois assuré Stéphane Dujarric, avant que le pont ne soit mis hors service.
Parce que l'aide humanitaire apportée est insuffisante
Les organisations humanitaires avaient prévenu dès le début de l'initiative américaine que cette alternative ne pourrait se substituer à un afflux d'aide par voie terrestre. L'ONU a annoncé vendredi 24 mai que l'installation avait permis le débarquement en une semaine de 97 camions. Le Centcom a précisé de son côté que plus de 1 000 tonnes d'aide avaient été débarquées, dont plus de 900 acheminées vers l'entrepôt des Nations unies.
A terme, Washington espère l'arrivée de l'équivalent de "150 camions par jour". Mais même cet objectif resterait loin des besoins d'une population ravagée par la guerre. L'ONU avait estimé à 500 camions par jour le nombre nécessaire d'acheminements pour venir en aide à la quasi-totalité des 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza, déplacés par les combats et les bombardements. Or, entre le 7 et le 23 mai, "seuls 906 camions transportant de l'aide humanitaire sont entrés à Gaza par l'ensemble des points d'entrée opérationnels", précise le bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires (Ocha).
Mi-mai, Farhan Haq, un autre porte-parole du secrétariat général de l'ONU, avait souligné que l'aide humanitaire "ne peut pas et ne devrait pas dépendre d'une jetée flottante, loin de là où les besoins sont les plus aigus". D'autant qu'une grave pénurie de carburant complique la donne. Que l'aide arrive "par la mer ou par la route, sans carburant, elle n'arrivera pas aux gens qui en ont besoin", avait ajouté Farhan Haq.
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