Guerre au Proche-Orient : pourquoi le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a intérêt à ce que le conflit dure
Bientôt un an de guerre au Proche-Orient, et un cessez-le-feu qui ne cesse de s'éloigner. Israël a mené de nouvelles frappes meurtrières au Liban, lundi 23 septembre, qui ont conduit l'ONU à s'alarmer d'une "véritable escalade" dans le conflit qui l'oppose au Hezbollah, le mouvement islamiste libanais allié du Hamas palestinien. Les frappes de lundi, qui ont fait des centaines de morts selon le ministère de la Santé libanais, ont aussi poussé de nombreux habitants du sud du pays à fuir.
"La politique d'Israël n'est pas d'attendre les menaces mais de les anticiper", a justifié le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, selon un communiqué. Mercredi, ce dernier est attendu aux Etats-Unis pour l'Assemblée générale de l'ONU, où il doit s'exprimer devant des dizaines de dirigeants mondiaux, dont le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, qui, lundi, l'a accusé de chercher à "élargir" à toute la région le conflit consécutif aux attaques du 7 octobre en Israël.
Les actions d'Israël au Liban depuis les attaques à l'aide de bipeurs et de talkies-walkies piégés qui ont visé des membres du Hezbollah interrogent sur les intentions de Benyamin Nétanyahou, après un an d'une intervention militaire meurtrière contre le Hamas dans la bande de Gaza. Malgré les mises en garde des alliés d'Israël appelant à éviter toute escalade et la pression d'une partie de l'opinion publique israélienne, Benyamin Nétanyahou ne semble pas avoir l'intention d'infléchir sa position. Explications.
Il a fixé des objectifs de guerre difficiles à atteindre
Au lendemain des attaques du Hamas le 7 octobre en Israël, Benyamin Nétanyahou avait juré qu'Israël détruirait "les capacités" du groupe islamiste palestinien. Depuis, le Premier ministre israélien a présenté à de nombreuses reprises l'opération menée à Gaza comme une "guerre existentielle" pour Israël.
Mais dans la rhétorique du gouvernement israélien, les objectifs de la guerre ont évolué. Le 18 septembre, l'exécutif a déclaré se concentrer désormais sur la lutte contre le Hezbollah au Liban, à la frontière nord d'Israël. Le "centre de gravité" de la guerre "se déplace vers le nord", a notamment déclaré le ministre de la Défense, Yoav Gallant, évoquant une "nouvelle phase" qui doit permettre le retour des Israéliens qui ont quitté les régions frontalières depuis le 7 octobre du fait des frappes du Hezbollah. Israël est en train d'inverser le "rapport de forces" avec le mouvement libanais, s'est félicité Benyamin Nétanyahou lundi, selon un communiqué de ses services.
"Les objectifs de guerre étaient trop ambitieux. Le gouvernement a dit qu'il allait renverser et détruire le Hamas, mais cela n'a pas été atteint", explique à franceinfo Ahron Bregman, professeur d'études de la guerre au King's College de Londres et spécialiste du conflit israélo-palestinien.
L'autre objectif du gouvernement était de libérer les otages détenus par le Hamas, mais sur les 251 personnes enlevées, 97 sont toujours retenues à Gaza, dont 33 ont été déclarées mortes par l'armée. "Pour ces raisons, il ne peut pas arrêter la guerre. Ce serait admettre sa défaite", poursuit Ahron Bregman. Or, pour Benyamin Nétanyahou, "tout est question de politique et de survie politique."
Il est poussé par ses alliés d'extrême droite au gouvernement
Depuis 2022, Benyamin Nétanyahou dirige une coalition dans laquelle deux ministres d'extrême droite, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, ont pris un poids conséquent. Sionistes religieux, suprémacistes juifs, ces deux dirigeants sont partisans d'une guerre totale contre le Hamas. Ils militent pour l'annexion des territoires palestiniens, le retour des colons juifs à Gaza et "l'émigration" des Palestiniens.
Depuis la démission de l'ancien chef d'état-major Benny Gantz, en juin, leur influence a encore grandi au sein du gouvernement. "Sans l'extrême droite, il n'a pas de majorité et avec elle, il [Benyamin Nétanyahou] est obligé de composer", résume pour de France 24 David Khalfa, codirecteur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au sein de la Fondation Jean-Jaurès.
"Benyamin Nétanyahou est prisonnier de ses partenaires de coalition. Pour survivre politiquement, il est prêt à poursuivre la guerre."
Ahron Bregman, professeur d'étude de la guerre au King's College de Londresà franceinfo
Toutefois, Benyamin Nétanyahou dispose du soutien des autres partis de sa coalition, qui ont "affirmé qu'ils le soutiendraient lors d'un accord de cessez-le-feu", nuance auprès de franceinfo Nimrod Goren, spécialiste d'Israël au Middle East Institute. "Il est parfois confortable de rejeter la faute sur ses partenaires. Mais c'est lui le Premier ministre, c'est lui qui prend les décisions", souligne-t-il.
Il espère que la guerre retarde son procès pour corruption
Depuis 2019, Benyamin Nétanyahou fait face à des poursuites criminelles en Israël. Il est accusé de corruption, de fraude et d'abus de confiance dans trois affaires. Dans l'une d'entre elles, lui et des membres de sa famille sont soupçonnés d'avoir reçu des cadeaux de deux milliardaires, dont du champagne, des cigares et des bijoux d'une valeur équivalant à environ 185 000 euros, en échange de services personnels.
Cette affaire fait l'objet d'un procès, qui a été interrompu durant deux mois après le 7 octobre, mais a repris en décembre. Le Premier ministre israélien, qui y joue une partie de son avenir politique, n'a pas encore été appelé à la barre. "Certains observateurs estiment qu'il profite de la guerre pour détourner l'attention et retarder son procès", explique Ahron Bregman. "D'autant plus si la guerre s'étend au Liban. Le conflit va durer et l'audience sera retardée." Selon le Times of Israel, Benyamin Nétanyahou doit commencer à témoigner le 2 décembre prochain. Ses déclarations sont d'autant plus attendues que la projection du documentaire Bibi Files au festival de Toronto, le 9 septembre, a engendré de vives réactions en Israël. Le film souligne le lien entre les affaires judiciaires du Premier ministre et la poursuite de la guerre dans la bande de Gaza, développe Courrier international.
L'opinion publique israélienne presse également Benyamin Nétanyahou de mettre en place une commission d'enquête sur les manquements qui ont pu conduire aux massacres du 7 octobre, mais il s'est toujours refusé à le faire avant la fin des combats, rappelle le Times of Israel. Une fois créée, cette commission "sera très sévère et n'épargnera personne", déclarait en janvier auprès de franceinfo Denis Charbit, professeur de science politique à l'Université libre d'Israël.
Il sait que l'issue de l'élection présidentielle américaine pèsera sur l'évolution du conflit
"Tout le monde, y compris Israël, attend de voir ce qui va se passer aux États-Unis en novembre. Le futur président américain influencera la politique dans la région", assure Nimrod Goren. Depuis le début de la guerre, le président américain démocrate Joe Biden a fermement affiché son soutien à l'Etat hébreu, mais il a ajusté sa position en raison, entre autres, de la pression exercée par les manifestations de soutien aux Palestiniens dans son pays. Si la candidate démocrate Kamala Harris remporte la présidentielle du 5 novembre, "l'administration Biden pourrait prendre jusqu'à janvier [et l'investiture du futur président] des mesures plus tranchées" envers Israël pour aboutir à un cessez-le-feu, estime Nimrod Goren.
En revanche, si Donald Trump remportait l'élection, Benyamin Nétanyahou pourrait avoir "davantage les coudées franches" pour poursuivre sa guerre, a estimé sur franceinfo Jean-Paul Chagnollaud, président de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient. Le candidat républicain est un fervent défenseur d'Israël. En mai, il a notamment assuré que s'il revenait à la Maison Blanche, il "exigerait la paix via la force". Benyamin Nétanyahou espère ainsi que Donald Trump gagne, "parce qu'il pense qu'il le soutiendra encore plus", poursuit Ahron Bregman.
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