Guerre entre Israël et le Hamas : comment les Etats-Unis ont fini par infléchir leur position sur un cessez-le-feu à Gaza

Article rédigé par franceinfo
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Les membres du Conseil de sécurité de l'ONU réunis à New York, le 20 février 2020. (MICHAEL M. SANTIAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Les Etats-Unis ont soumis une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU afin d'aboutir à une trêve, une option que Washington avait écarté jusqu'alors.

Revirement. Les Etats-Unis ont soumis, vendredi 22 mars, un projet de résolution à l'ONU pour un "cessez-le-feu immédiat" dans la bande de Gaza. Le texte a été rejeté par le Conseil de sécurité des Nations unies, mais il marquait un tournant pour Washington depuis qu'Israël a lancé une opération militaire intensive contre le Hamas dans ce petit territoire peuplé de 2 millions d'habitants, après l'attaque terroriste du 7 octobre. La première puissance mondiale, alliée historique de l'Etat hébreu, s'était jusqu'à présent systématiquement opposée à tout "cessez-le-feu immédiat" dans les résolutions de l'ONU.

Depuis le début du conflit, les Etats-Unis se sont opposés à trois reprises aux résolutions appelant à un arrêt des combats. Washington a ainsi posé son veto pour la dernière fois le 20 février. Ce jour-là, le projet de résolution de l'Algérie exigeait "un cessez-le-feu humanitaire immédiat". "Je comprends le désir d'agir de manière urgente (...) mais ce désir ne peut pas nous aveugler face à la réalité sur le terrain", avait justifié Linda Thomas-Greenfield, l'ambassadrice américaine à l'ONU, estimant qu'il aurait fallu conditionner la trêve à la libération des otages israéliens.

Critiqués pour leur soutien aveugle

Un mois plus tard, les Etats-Unis ont donc déposé leur propre texte devant le Conseil de sécurité de l'ONU. La résolution américaine, consultée par l'AFP, souligne "la nécessité d'un cessez-le-feu immédiat et durable pour protéger les civils de tous côtés, permettre la fourniture de l'aide humanitaire essentielle (...) et dans cette optique, soutient sans équivoque les efforts diplomatiques internationaux pour parvenir à un tel cessez-le-feu en lien avec la libération des otages encore détenus". Mais elle a notamment été rejetée par la Russie et la Chine.

L'ambassadeur russe à l'ONU a dénoncé une résolution "hypocrite" qui n'appelait pas directement à faire taire les armes. Alors que les Etats-Unis sont critiqués pour leur soutien aveugle à Israël, Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, avait qualifié cette initiative de "signal fort". "Les Etats-Unis veulent montrer qu'ils ont deux priorités : l'amélioration de la situation humanitaire sur place et la libération des otages. C'est assez habile, parce que ça met la pression sur toutes les parties", observe David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

"Cela fait un moment qu'il y a des éléments de langage qui sont explicitement moins favorables à Israël. Le soutien demeure, mais il n'est pas inconditionnel."

David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Iris

à franceinfo

Une ligne de crête difficile à tenir pour Washington. "Les Etats-Unis se sentent virtuellement piégés parce qu'ils ne peuvent pas ne pas soutenir Israël, mais ce soutien les contraint à cause de l'intransigeance de Benyamin Nétanyahou, explique David Rigoulet-Roze. C'est lui et son gouvernement, notamment ses deux ministres d'extrême droite, Bezalel Smotrich, le ministre de l'Economie, et Itamar Ben Gvir, le ministre de la Sécurité intérieure, qui sont visés." 

Un changement de ton pour Joe Biden

Ces dernières semaines, Joe Biden s'est permis de critiquer ouvertement le Premier ministre israélien, souligne CNN. En décembre, le président américain sortant avait dénoncé des "bombardements indiscriminés". En mars, l'élu démocrate jugeait sur la chaîne MSNBC que Benyamin Nétanyahou "faisait plus de mal que de bien à Israël" par sa conduite de la guerre à Gaza.

"Il a le droit de défendre Israël, le droit de continuer à attaquer le Hamas. Mais il faut qu'il fasse plus attention aux vies innocentes perdues."

Joe Biden, président des Etats-Unis

sur MSNBC

Le bilan humain à Gaza (plus de 30 000 morts, selon le ministère de la Santé du Hamas) a participé à faire évoluer la position des Etats-Unis. D'autant que l'armée israélienne se prépare à une offensive sur la ville de Rafah, où s'entassent environ 1,5 million de Palestiniens, d'après l'ONU. Une nécessité pour "vaincre" militairement le Hamas à Gaza, justifie Benyamin Nétanyahou. Une "erreur" et une opération "inutile", répond Antony Blinken.

Le risque de famine dans la bande de Gaza a aussi poussé la Maison Blanche à accroître la pression sur Tel Aviv. Début mars, la vice-présidente américaine Kamala Harris avait exhorté Israël à "faire davantage pour augmenter de manière significative le flux d'aide" humanitaire à Gaza. "Il n'y a pas d'excuses", avait-elle martelé. Antony Blinken a de son côté rappelé que "100% de la population de Gaza est dans une situation d'insécurité alimentaire grave".

Face à la dégradation de la situation dans l'enclave palestinienne, Joe Biden a annoncé début mars l'ouverture d'un corridor maritime entre Chypre et Gaza et a ordonné "une mission d'urgence pour établir un port temporaire sur la côte de Gaza". Selon le professeur de sciences politiques Denis Charbit, interrogé sur franceinfo, "la concertation au niveau humanitaire n'existe plus" entre les Etats-Unis et Israël et Joe Biden "n'attend plus la coopération d'Israël".

L'opinion moins favorable à la guerre

Si le président des Etats-Unis a infléchi son discours, c'est aussi pour composer avec une opinion américaine soutenant un cessez-le-feu. Selon un sondage du Pew Research Center, 46% des Américains âgés de 18 à 29 ans estiment que la manière dont Israël répond aux attaques du Hamas est "inacceptable"A huit mois d'une élection présidentielle qui s'annonce tendue face à Donald Trump, "Joe Biden ne peut pas se permettre" de perdre les voix, observe David Rigoulet-Roze.

Problème : "la jeune base démocrate est nettement moins pro-israélienne", remarque le chercheur à l'Iris. L'électorat musulman, qui avait très largement soutenu Joe Biden en 2020, pourrait aussi lui tourner le dos. Lors des primaires démocrates, certains ont d'ailleurs appelé au vote blanc pour protester contre sa politique étrangère. Dans le Minnesota, l'un des Etats avec la plus grande communauté musulmane du pays, près de 20% des électeurs démocrates ont fait ce choix, selon la radio publique NPR.

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