Guerre entre Israël et le Hamas : pourquoi les tunnels de Gaza représentent un problème insondable pour l'armée israélienne

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Près de 500 km de tunnels s'étendent sous Gaza, offrant un avantage non négligeable au Hamas face à l'armée israélienne. (ASTRID AMADIEU)
Le mouvement islamiste dispose d'un réseau de 500 km de souterrains sous l'enclave palestinienne. De quoi mettre les forces israéliennes en difficulté lors de leur offensive terrestre, tant ce dédale est méconnu.

Une ville sous la ville. Face à l'avancée de l'armée israélienne, le Hamas peut compter sur un réseau souterrain de plusieurs centaines de kilomètres. Le "métro de Gaza", comme le surnomment les forces de l'Etat hébreu, abrite salles de commandement, réserves d'armes et de carburant, caches pour les terroristes et les otages... Franceinfo vous explique pourquoi ces tunnels sophistiqués, créés il y a vingt ans, constituent un atout stratégique indéniable pour le Hamas et un défi majeur pour l'armée israélienne, qui a affirmé mardi 7 novembre avoir pénétré "au cœur" de la ville de Gaza.

"Détruire le Hamas signifie détruire ce réseau de tunnels", a déclaré Tsahal sur le réseau social X. Les forces armées de l'Etat hébreu, qui communiquent régulièrement sur la menace représentée par les tunnels du Hamas, ont montré sur la plateforme comment elles pouvaient les neutraliser grâce à des explosifs. Toutefois, ces opérations s'annoncent compliquées à cause de nombreux obstacles.

L'armée israélienne accuse le Hamas d'exploiter ces tunnels à des fins militaires, sous des infrastructures civiles telles que des hôpitaux, écoles et mosquées. Dimanche 5 novembre, Tsahal a annoncé, vidéo à l'appui, avoir découvert une entrée de tunnel devant l'hôpital Cheikh Hamad, dans le nord de la bande de Gaza.

L'armée a également communiqué au sujet d'un autre établissement, l'hôpital indonésien de Gaza, qui dissimulerait "un centre de commandement" du Hamas dans son sous-sol. Une rampe de lancement de roquettes aurait été découverte à seulement 75 m du bâtiment. "Ils savent pertinemment que si Israël lance une attaque aérienne sur cette base de lancement, l'hôpital sera endommagé", a déclaré Daniel Hagari, porte-parole de l'armée israélienne, dénonçant "l'utilisation cynique des hôpitaux" par le mouvement palestinien. Fin octobre, l'armée accusait déjà le Hamas d'abriter des tunnels sous l'hôpital Al-Shifa, plus important hôpital de l'enclave palestinienne. Des accusations démenties par le groupe islamiste.

Un réseau tortueux

Il est aussi probable qu'une grande partie des quelque 240 otages du Hamas, captifs depuis les attaques terroristes du 7 octobre, soient retenus sous terre. Yocheved Lifshitz, 85 ans, ex-otage israélienne libérée lundi 23 octobre, a ainsi été détenue dans ce réseau souterrain. "Ils les ont fait marcher plusieurs kilomètres dans les tunnels, sur un sol mouillé. C'était un immense réseau en sous-sol, comme une gigantesque toile d'araignée de tunnels", a décrit sa fille Sharone lors d'une conférence de presse. Quel intérêt pour le Hamas de garder les otages dans ces tunnels ? "C'est l'espace le plus sécurisé, et cela force l'armée israélienne à entrer pour essayer de leur porter secours. Le Hamas a créé une série d'horribles dilemmes", estime Scott Savitz, ingénieur à Rand Corporation, centre de recherche militaire pour le gouvernement américain. Car en détruisant les tunnels, l'armée israélienne met aussi les otages en danger.

Dans une publication du 17 octobre, le Modern War Institute de l'académie militaire américaine West Point évoque un "cauchemar souterrain" de 1 300 galeries de 500 km enfouies sous un territoire exigu de 41 km de long sur 6 à 12 km de large. A titre de comparaison, le métro parisien compte 226 km de tunnels. Dans ce labyrinthe de boyaux étroits tapissés de parois en béton, les postes de commandement côtoient les salles de stockage d'armement et de carburant, quand d'autres abritent des générateurs. "Il s'agit d'une base militaire, sous une population civile", résume Daphné Richemond-Barak, chercheuse à l'académie West Point et enseignante à l'université Reichman d'Herzliya en Israël, sur franceinfo.

Cette dernière a pu visiter un tunnel du Hamas après la guerre de 2014. "C'est claustrophobique ! Au bout de 20 minutes, vous voulez vraiment sortir. Maintenant, pour retrouver votre chemin, bon courage. C'est un endroit qui fait peur et c'est presque une peur existentielle en fait", décrit la chercheuse. "Le tunnel moyen du Hamas ne mesure que deux mètres de haut et un mètre de large, ce qui rend extrêmement difficile d'y pénétrer, de s'y déplacer et de combattre", explique John Spencer, l'auteur de la publication de l'académie West Point sur les tunnels du Hamas.

"Ces tunnels ne sont pas construits de façon linéaire. Ils sont en zigzag et sur plusieurs niveaux."

Daphné Richemond-Barak, chercheuse à l'académie West Point

sur franceinfo

L'enseignante estime ainsi que le "métro de Gaza" est "beaucoup plus sophistiqué" par exemple que le réseau de tunnels utilisé par Daech en Syrie et en Irak. Selon un responsable militaire israélien interrogé par l'AFP, le coût de construction de chaque kilomètre de galerie s'élèverait à 500 000 dollars (environ 460 000 euros). Comment le Hamas a-t-il pu financer ces tunnels ? En détournant des aides internationales, assure Harel Shorel, spécialiste des questions palestiniennes à l'université de Tel-Aviv (Israël), interrogé par France 2.

Un lacis difficile à détruire

Une partie du réseau a été affaiblie en 2013, lorsque l'Egypte avait inondé les tunnels de contrebande d'eau de mer et d'eaux usées. Selon l'armée égyptienne, près de 1 400 tunnels ont été bouchés entre 2013 et 2014. En 2014, lors de l'opération "Bordure Protectrice" menée dans la bande de Gaza, 34 tunnels, dont près de la moitié débouchait sur le territoire israélien, avaient été détruits, selon Tsahal. En 2021, l'armée a affirmé avoir détruit 100 km de tunnels lors de l'opération "Gardien des murs". Yahya Sinouar, leader du Hamas à Gaza, a rétorqué que cette opération n'avait endommagé que 5% du "métro de Gaza".

Les tunnels n'ont pas qu'une fonction défensive. Ils peuvent aussi servir à attaquer ou à faire passer des marchandises de contrebande. L'un d'eux avait permis au Hamas, en 2006, de pénétrer sur le territoire de l'Etat hébreu pour kidnapper le soldat franco-israélien Gilad Shalit. Dans le contexte actuel de la guerre à Gaza, ces tunnels permettent de surprendre l'adversaire en l'attaquant dans le dos, ou en plaçant des explosifs sous les soldats ennemis, explique Scott Savitz. Cette vidéo publiée par les brigades Al-Qassam, branche armée du Hamas, montrerait un assaut mené le 1er novembre sur des chars israéliens depuis des tunnels, dans le quartier de Zeitoun, au sud de la ville de Gaza.

Un labyrinthe piégeux

Les bombardements aériens de Tsahal sont-ils utiles contre ces tunnels ? Pas selon Scott Savitz. "C'est très dur de détruire ces tunnels depuis la surface. Vous avez besoin de savoir où ils se trouvent, ce qui n'est pas anodin. Il existe des 'bunker busters', des bombes conçues pour pénétrer des cibles en profondeur. Mais face à des tunnels très profonds, c'est inefficace", explique l'ingénieur américain. Tsahal dispose certes de la bombe anti-bunker GBU-28, pouvant atteindre des cibles jusqu'à 30 m sous terre, mais certains tunnels du Hamas se situent à 70 m de profondeur, note le chercheur John Spencer.

S'introduire dans un tunnel ennemi n'est pas aisé non plus.

"Les tunnels confèrent toujours des avantages formidables à leurs occupants par rapport aux forces extérieures, car les créateurs les ont modelés à leur façon."

Scott Savitz, ingénieur chez Rand Corporation

à franceinfo

Et de continuer : "Ils connaissent les conditions, ils ont la possibilité de placer toutes sortes de menaces : embuscades, mines terrestres, pièges." Yahya Sinouar, leader du Hamas à Gaza, a confirmé lors d'une allocution avoir placé "des centaines de milliers de pièges" dans ces tunnels.

Du point de vue de John Spencer, Tsahal est une des armées les mieux préparées au monde pour mener une guerre souterraine. Elle dispose d'unités spécialisées comme l'unité Yahalom, dédiée à la recherche, au dégagement et à la destruction de tunnels. Cette unité comprend notamment la sous-unité Samur ("belette" en hébreu) composée de soldats entraînés à entrer dans ces tunnels, pour les détruire de l'intérieur.

Parmi les équipements spéciaux dont ces unités disposent, des capteurs terrestres et aériens pour repérer les tunnels, des robots télécommandés pour les explorer sans risque, des radios et technologies de navigation fonctionnant sous terre et des lunettes de vision nocturne. Pour sceller ces tunnels après leur destruction, John Spencer cite aussi plusieurs types d'explosifs et des bulldozers.

"Personne ne gagne une guerre seulement avec des tunnels, mais cela donne un gros avantage", résume Scott Savitz, qui anticipe une stratégie israélienne "au cas par cas". Daphné Richemond-Barak est du même avis : "Pour pouvoir éradiquer complètement [ces tunnels], il faut tous les connaître", explique la chercheuse. "C'est quasiment insurmontable du point de vue militaire. C'est possible, mais ça ne sera jamais 100%." De l'avis de nombreux experts, cette "guerre des tunnels" est donc appelée à durer.

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