Cet article date de plus d'un an.

Comment le Hamas a-t-il préparé et déployé son attaque massive contre Israël ?

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La frontière qui sépare la bande de Gaza et Israël, ouverte après une attaque du Hamas, le 7 octobre 2023. (ABED RAHIM KHATIB / ANADOLU AGENCY / AFP)
Le mouvement islamiste a pris le monde de court en lançant une opération terroriste sur Israël le 7 octobre. Des milliers de roquettes ont été tirées tandis que des assaillants ont pénétré le territoire, attaqué des positions militaires et enlevé plus d'une centaine de civils.

Le calme, puis la terreur. Le Hamas a lancé samedi 7 octobre à l'aube une attaque terroriste de grande envergure contre Israël. Le mouvement islamiste, au pouvoir depuis 2007 à Gaza, a tiré des milliers de roquettes sur le territoire israélien pendant que ses hommes franchissaient la frontière, pourtant réputée inviolable. Ils se sont ensuite emparés de positions militaires israéliennes et ont tué et enlevé des civils en pleine rue.

>> Retrouvez les dernières infos sur la guerre entre Israël et le Hamas dans notre direct

"Ce qui s'est passé est sans précédent en Israël", a reconnu le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. D'après le porte-parole de l'armée israélienne, au 11 octobre, plus de 1 200 personnes ont été tuées et 2 700 blessées. Côté palestinien, le ministère de la Santé gazaoui a fait état de 922 morts et "environ 4 650 blessés". Pour de nombreux experts, l'ampleur de l'opération, nommée "Déluge d'Al-Aqsa", est le résultat d'une préparation minutieuse commencée il y a plusieurs mois.

La défense israélienne saturée de roquettes

A 6h30 samedi, en plein shabbat, de premières roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza vers Israël. Selon le Hamas, 5 000 roquettes ont été envoyées, tandis que l'armée israélienne en a dénombré 3 000. Le but de cette manœuvre était de saturer le "Dôme de fer", le système de défense antiaérienne israélien, qui permet d'abattre en plein vol des missiles ou des roquettes tirés dans un rayon de 4 à 70 km.

"En raison du grand nombre de roquettes tirées en peu de temps, le système a fonctionné, mais a été vite saturé", résume Amélie Ferey, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Certaines roquettes ont été interceptées, mais d'autres ont atteint le sol israélien."

Images de propagande du Hamas diffusées sur Telegram montrant des hommes du groupe terroriste traversant la frontière entre Gaza et Israël, le 7 octobre 2023. (HAMAS)

Pendant que les roquettes tombaient sur Israël et que les premières sirènes d'alerte retentissaient à Tel-Aviv, à 60 km de Gaza, les terroristes ont rejoint plusieurs points de la frontière entre Gaza et Israël. En quelques heures, ils ont franchi plusieurs passages : les postes-frontières d'Erez, de Kerem-Shalom et de Kissufim, décompte BBC News. Un compte Telegram du Hamas a publié des images de propagande montrant des assaillants traversant le grillage à moto.

Des infiltrations terrestres et maritimes

Selon une source proche du Hamas auprès de l'agence Reuters, une force d'élite de 400 hommes a mené ces infiltrations terrestres. Elle a utilisé des explosifs pour ouvrir des brèches, que des bulldozers ont élargies afin de laisser passer les hommes. A un autre endroit de la frontière, des images du Hamas montrent une explosion sur un pan de mur en béton. Un homme fait alors un signe et des militants équipés de gilets pare-balles et d'armes courent vers la base militaire où se trouvent des soldats israéliens, avant de les abattre.

Pour sécuriser ces attaques terrestres, des assaillants en deltaplane et en parapente ont survolé la frontière. Avant l'opération, une vidéo publiée par une chaîne Telegram du Hamas montrait une unité semblant s'exercer pour l'assaut. Ses membres utilisaient des parapentes pour une ou deux personnes et s'entraînaient à atterrir sur des cibles, poursuit l'agence de presse britannique.

Images de propagande d'un compte Telegram du Hamas montrant des hommes s'entraînant avec des drones kamikazes Zouari, le 8 octobre 2023. (HAMAS)

Selon le Hamas, le groupe a également utilisé des drones kamikazes Zouari. Ces armes portent le nom de l'ancien ingénieur en aéronautique tunisien Mohamed Zouari. Selon Libération, il s'était rendu plusieurs fois à Gaza pour aider le Hamas à développer ses drones. Moins puissants que ceux de l'armée israélienne, les drones Zouari ont toutefois déjà permis au Hamas de pénétrer dans l'espace aérien de l'Etat hébreu. Les terroristes ont également mené leur opération par la mer. Israël a déclaré avoir repoussé deux tentatives d'assaillants sur des bateaux.

"On n'avait jamais vu une pénétration aussi profonde du territoire israélien par le Hamas avec un matériel aussi peu sophistiqué. Il s'agit de gens avec des fusils d'assaut dans des pick-up, sur des motos ou des bateaux amphibies", observe la chercheuse Amélie Ferey. Il ne s'agit pas "du registre d'un matériel de guerre de dernière technologie. Ce qui change, c'est la complexité de l'opération, à la fois terrestre, maritime et dans les airs", renchérit David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Des armes artisanales fabriquées à Gaza

Comment le Hamas a-t-il pu préparer une telle opération ? La bande de Gaza est soumise à un blocus depuis 2007 et ses deux millions d'habitants n'ont aucune possibilité d'en sortir. Les entrées et sorties sont contrôlées par l'armée israélienne, et empêchent en principe toute circulation d'armes. Sauf que "les Gazaouis ont appris avec le temps à fabriquer des armes, et avec peu de matériel", rappelle Amélie Ferey. "Ils bricolent des petits drones, des explosifs... Si vous avez la volonté de combattre, vous faites feu de tout bois", souligne-t-elle. En 2018, les Gazaouis avaient par exemple utilisé des "cerfs-volants incendiaires" pour attaquer Israël lors de la "Grande marche du retour". De simples cerfs-volants sous lesquels étaient attachés des vêtements en feu.

"Sur YouTube, vous pouvez facilement avoir accès à des tutoriels qui vous expliquent comment fabriquer des drones."

Amélie Ferey, chercheuse à l'Ifri

à franceinfo

En 2020, Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas, a déclaré dans une émission sur Al-Jazeera que les armes étaient fabriquées à partir des restes de missiles israéliens de la guerre de 2014 contre Gaza, cite Al-Monitor, site d'actualité sur le Moyen-Orient.

"Il y a de nombreux ateliers de fabrication d'armes dissimulés dans toute la bande de Gaza. C'est la raison pour laquelle la surveillance des matières premières utilisées dans ce cadre a toujours été déterminante", précise David Rigoulet-Roze. Le Hamas récupère par exemple des matériaux mis au jour après des bombardements menés par Israël sur des immeubles. Il recycle ainsi les fils électriques, les tuyaux métalliques ou encore le béton en miettes, selon un rapport de 2021 du Washington Institute for Near Est Policy, un think tank sur la politique américaine au Proche-Orient, proche d'Israël.

Du matériel acheminé depuis l'étranger

Ces matériaux trouvés sur place à Gaza ont pu servir à construire le "métro du Hamas", ce réseau de tunnels creusés sous la bande de Gaza et près de ses frontières. "C'est probablement par ces tunnels que du matériel est acheminé de l'étranger", ajoute Amélie Ferey. Depuis 2005, et le retrait d'Israël de la bande de Gaza, le Hamas importe secrètement des armes de ses alliés, l'Iran et la Syrie, pointait le Times of Israel en 2021, citant l'armée israélienne. Des roquettes, des explosifs, du métal sont expédiés depuis le Soudan par camion puis acheminés par la frontière sud de Gaza avec l'Egypte.

Selon Fabien Hinz, analyste indépendant spécialisé dans les missiles au Moyen-Orient, le Hamas a notamment acquis à l'étranger des roquettes Fajr-3 et Fajr-5 d'Iran et des roquettes M302 de Syrie, rapporte le Washington Post. Sur Al-Jazeera, le groupe a déclaré avoir reçu des missiles antichars russes Kornet par voie terrestre et maritime.

"On savait que le Hamas disposait d'armes, mais c'est leur quantité qui a été sous-estimée", poursuit Amélie Ferey. Selon l'ambassadeur d'Israël aux Etats-Unis, Michael Herzog, retraité des Forces de défense israéliennes, le groupe islamiste pourrait disposer de 8 000 à 10 000 projectiles, cite le Washington Post. "Le paysage tactique dans lequel évolue désormais le Hamas, [c'est] une professionnalisation de ses forces, une artillerie digne d'une armée conventionnelle", estime auprès de Libération David Khalfa, spécialiste du Proche-Orient à la Fondation Jean-Jaurès.

Le rôle incertain de l'Iran

Outre le matériel, le Hamas s'entraîne depuis longtemps à ce type d'opération. "Gaza est en guerre depuis 2007. C'est un groupe qui utilise la force pour parvenir à ses moyens. Il s'entraîne chaque jour", rappelle Amélie Ferey. L'enrôlement se fait très tôt. En 2021, un documentaire de Vice montrait de jeunes garçons apprenant à manier des armes à feu, à se battre, sur des terrains de Gaza, au vu et au su de tous. "Le Hamas a pu profiter de la baisse de la garde de Benyamin Nétanyahou ces derniers mois sur Gaza pour préparer l'opération", observe la chercheuse.

Surtout, le Hamas n'aurait pas été seul dans ces préparations. Selon le Wall Street Journal, citant des cadres du Hamas et du Hezbollah libanais, l'Iran a aidé à planifier l'attaque. Les détails de l'opération ont été peaufinés cet été lors de plusieurs réunions à Beyrouth (Liban). En avril déjà, l'Iran avait annoncé mobiliser ses partenaires, dont le Hamas, pour préparer des frappes sur Israël, rapportait le Wall Street Journal.

Mais le 10 octobre, l'ayatollah Ali Khamenei, la plus haute autorité d'Iran, a nié toute implication de son pays tout en réaffirmant le soutien iranien "à la Palestine". Selon Ali Barakeh, membre de la direction en exil du Hamas, rencontré à Beyrouth par l'agence Associated Press, l'attaque a été planifiée sans informer ses alliés. Seule une "poignée" de commandants était au courant de l'"heure zéro", a-t-il affirmé. Il a prévenu que près de 2 000 membres du Hamas avaient participé aux combats, sur une armée de 40 000 hommes rien qu'à Gaza.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.