Cet article date de plus d'un an.

Israël-Palestine : comment expliquer la recrudescence de violences en Cisjordanie occupée ?

Depuis le début de l'année, au moins 74 Palestiniens et 13 Israéliens sont morts lors d'attaques civiles et militaires. Malgré de récentes négociations, Tel Aviv et Ramallah ne semblent pas vouloir apaiser la situation.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une habitante de la ville palestinienne d'Huwara regarde dehors, après que la commune a été attaquée par des colons israéliens, le 3 mars 2023. (ZUMA-REA)

Se dirige-t-on vers une nouvelle intifada ? Depuis le début de l'année, des affrontements meurtriers se succèdent en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967.  Au moins 74 Palestiniens et 13 Israéliens ont été tués lors d'attaques menées par des civils ou des militaires. Dernier épisode en date : la mort de trois Palestiniens, jeudi 9 mars, abattus par les forces israéliennes à Jaba, petite ville au sud de Jénine.

Cette nouvelle vague de violences a débuté le 26 février lorsque deux jeunes colons ont été tués par balle dans la ville d'Huwara, dans le nord de la Cisjordanie. En représailles, une centaine de colons ont mené une expédition punitive dans la localité, tuant un Palestinien et faisant des centaines de blessés. Face à cette situation, l'ONU a exhorté Israël et Palestine à mettre un terme à ces violences "immédiatement". Malgré de récentes négociations, aucune des deux parties ne semble toutefois prête à calmer la situation.

Des suprémacistes juifs au gouvernement

Depuis le retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en décembre, les violences se sont exacerbées dans les territoires occupés. Pour la première fois, l'exécutif israélien est mené par une coalition regroupant la droite et l'extrême droite. Parmi eux figurent des suprémacistes juifs, comme le ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich. "Ces nationalistes religieux ne sont pas des démocrates, ils rêvent d'une théocratie, d'un Etat régi par la loi religieuse où les Palestiniens n'auraient aucun droit", décrit Amélie Ferey, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri), interrogée par franceinfo.

Figure centrale de ce nouveau gouvernement, Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux, a été nommé responsable de l'administration civile des colonies de Cisjordanie occupée par Benyamin Nétanyahou à la fin du mois de février. Cette responsabilité était jusqu'ici exercée par l'armée. Or, Bezalel Smotrich est un fervent partisan de l'annexion de la Cisjordanie. "Il milite pour l'établissement du 'Grand Israël'", remarque Amélie Ferey. Cette idéologie s'inspire de la Bible et vise à regrouper sous des frontières communes l'Etat actuel d'Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza.

Des provocations incendiaires

Bezalel Smotrich, père de 7 enfants, se définit lui-même comme un "fasciste homophobe", relève Le Monde (article payant). Avant son entrée au gouvernement, il s'était fait connaître pour ses déclarations racistes : il avait soutenu que les hôpitaux devaient séparer les patients juifs et arabes et avait lancé aux députés arabes de la Knesset qu'ils siégeaient "par erreur".

"Bezalel Smotrich a proposé que les Palestiniens voulant rester en Israël n'aient plus de droit de vote ou qu'ils partent en échange d'une rémunération."

Amélie Ferey, chercheuse à l'Ifri

à franceinfo

Le 1er mars, à la suite du saccage d'Huwara, le ministre a de nouveau provoqué un tollé en déclarant que l'armée israélienne devrait "anéantir" la ville palestinienne, avant de se rétracter et de préciser qu'il "ne voulait pas anéantir Huwara, mais seulement agir de manière ciblée contre les terroristes".

Son allié, Itamar Ben Gvir, est aussi un habitué des provocations. Chef de file du parti Puissance juive, il est opposé à un Etat palestinien et a été condamné à de nombreuses reprises pour incitation à la haine. Quelques jours seulement après sa nomination au poste de ministre de la Sécurité nationale, il s'est rendu sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem-Est, troisième lieu saint de l'islam. Un déplacement légal, mais qualifié de "provocation sans précédent" par le ministère des Affaires étrangères palestinien.

Ces surenchères "ont sans nul doute créé un climat favorable aux violences des jeunes colons [en Cisjordanie occupée]", suggère David Khalfa, codirecteur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean Jaurès, dans Le Figaro. "Ces colons – qui sont de plus en plus violents – agissent avec le blanc-seing du gouvernement. Ils pensent bénéficier d'une impunité", ajoute Amélie Ferey.

Une colonisation qui s'intensifie

En plus de ce virage politique, la colonisation illégale de la Cisjordanie continue de s'intensifier. En 2020, environ 630 000 colons israéliens résidaient en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), pour 2,9 millions de Palestiniens, selon l'ONU. Entre 2021 et 2022, le nombre de nouvelles colonies israéliennes à Jérusalem-Est a plus que doublé, passant de 6 288 logements à 14 894, selon des chiffres de l'Union européenne (PDF).

Le nouveau gouvernement israélien entend aller plus loin. Lors de son investiture en décembre, les premières lignes de son programme affirmaient que "le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d'Israël", d'après Libération. Début février, le cabinet de sécurité israélien a annoncé qu'il allait légaliser neuf nouvelles colonies juives en Cisjordanie occupée et qu'il allait en construire de nouvelles. Ces colonies étaient jusque-là illégales, car établies sans l'aval du gouvernement (à noter que pour l'ONU toute colonisation juive en Cisjordanie est illégale au regard du droit international).

Or, les colonies représentent le "lien de frictions physiques entre la population palestinienne et les colons, le lieu où se cristallisent les violences. Leur défense sert de prétexte aux interventions multiples de l'armée israélienne, explique Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques, sur le site de l'Iris. Tant que cette colonisation se maintiendra, les violences perdureront." D'autant que la colonisation provoque d'importantes difficultés d'accès aux ressources agricoles pour les Palestiniens. Israël contrôle en effet 85% des ressources palestiniennes en eau et 600 000 Palestiniens sont en situation d'insécurité alimentaire en Cisjordanie, selon l'ONU.

"La terre est surpeuplée, les ressources limitées. La situation est très dangereuse et on peut craindre qu'elle ne s'arrange pas avec ce gouvernement."

Amélie Ferey, chercheuse à l'Ifri

à franceinfo

Une Autorité palestinienne impuissante

Dans le camp adverse, l'Autorité palestinienne reste atone et se limite à des condamnations. Mahmoud Abbas, 87 ans, est président depuis 2005 d'une entité accusée de corruption et de népotisme "qui n'a plus de souveraineté dans les faits", rappelle Amélie Ferey. Ces dernières semaines, l'armée israélienne a mené des opérations meurtrières à Naplouse et Jénine, des villes pourtant censées être sous le contrôle militaire de l'Autorité palestinienne. "Désavoué, Mahmoud Abbas est accusé de contrôler sa population plutôt que de la protéger", rappelle Amélie Ferey.

Cette inertie a permis l'émergence d'une nouvelle génération de combattants palestiniens bien décidés à se battre sans l'aval d'aucun groupe politique. Ils ne se revendiquent ni du Fatah, du Hamas ou du Jihad islamique, ni même de leurs branches militaires, analyse Mediapart (article payant). "La génération entre 20 et 30 ans se cherche, elle est perdue, aucune faction ne peut la contenir", expliquait le député du Fatah Jamal Tirawi en 2022 dans Le Monde

"Après la seconde intifada [2000-2005], il y a eu une pacification et on s'est éloigné de la lutte armée. Depuis un an, un an et demi, la nouvelle génération renoue avec cette culture."

Jamal Tirawi, député du Fatah

dans "Le Monde"

Pourtant, à l'issue d'une rare rencontre à Aqaba (en Jordanie) le 26 février, des responsables israéliens et palestiniens s'étaient engagés à œuvrer en vue d'une "désescalade". Mais aucune prise de décision ne semble pour le moment aller en ce sens. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.