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Libération d'otages : "En donnant de l'espoir aux Occidentaux, le Hamas les incite à faire pression sur Israël", analyse le chercheur Etienne Dignat

Article rédigé par Louis Dubar - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des Israéliens se tiennent devant des photographies de personnes prises en otage par le Hamas, le 20 octobre 2023 à Tel-Aviv (Israël). (GILI YAARI / NURPHOTO / AFP)
Depuis les attaques du 7 octobre, le Hamas a libéré quatre otages capturés lors de son attaque sur le sol israélien. Environ 200 personnes restent détenues par le mouvement palestinien.

Quatre otages libérées. Le Hamas a relâché deux Israéliennes, lundi 23 octobre, quelques jours après la libération de deux Américaines. Mais plus de 200 personnes sont toujours aux mains de l'organisation terroriste aux commandes dans la bande de Gaza. Ces otages font partie intégrante de la stratégie du mouvement islamiste face à Israël, depuis l'attaque du 7 octobre.

Boucliers humains pour retarder une opération terrestre de Tsahal, monnaie d'échange… Pour comprendre la stratégie du Hamas concernant ces otages, franceinfo a interrogé Etienne Dignat, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po et auteur de La Rançon de la terreur (PUF, 2023).

Franceinfo : Trois jours après la libération de deux otages américaines, le Hamas a relâché le 23 octobre deux octogénaires israéliennes. Comment interpréter ces libérations alors qu'Israël resserre son étau sur la bande de Gaza ?

Etienne Dignat : Ces deux séquences ont de nombreux points communs, mais on peut noter des spécificités intéressantes.

Partons de la libération des deux Américaines. Elle est tout à fait cohérente avec les récentes déclarations du porte-parole de la branche armée du Hamas, Abou Obeida, qui avait expliqué que les otages occidentaux [non israéliens] enlevés le 7 octobre, étaient des "invités" à Gaza et que des négociations seraient menées à leur sujet lorsque les conditions seraient réunies. Le mot "d'invité" est très malvenu, mais il traduit une réalité : le Hamas n'a pas l'habitude de cibler l'Occident.

"De nombreux Occidentaux sont passés par Gaza ces dernières années et ils n'ont pas été pris en otage. La priorité du Hamas reste la lutte contre Israël."

Etienne Dignat

à franceinfo

Bien sûr, cela ne signifie pas que le Hamas n'utilisera pas le chantage en menaçant tous les otages, si cela sert ses objectifs contre l'Etat hébreu, mais il n'a pas intérêt à braquer les Etats-Unis, l'Allemagne ou la France autour de ce dossier.

Le Hamas a officiellement évoqué des "raisons humanitaires" pour la libération des deux Américaines. Ce terme laisse en général entendre que la vie des otages est en danger, or ce n'était pas forcément le cas ici. Le Hamas laisse plutôt entendre qu'il attend une aide humanitaire à Gaza de la part des Etats-Unis et des autres pays occidentaux en contrepartie de cette libération.

Pour ce qui est de la libération des deux Israéliennes, le Hamas évoque également des "raisons humanitaires", mais dans ce cas-ci, cela semble plus cohérent à l'utilisation habituelle de cette expression. Elles ont probablement mal supporté les conditions de détention, ce qui n'empêche que d'autres raisons sont valables, comme le souhait du Hamas de changer son image fortement dégradée.

Ces libérations au "compte-gouttes" expliquent-elles selon vous le report de l'offensive terrestre prévue par l'armée israélienne ?

Quand vous manifestez un geste d'ouverture avec des libérations, les Etats occidentaux s'engouffrent dans la brèche. Les présidents Joe Biden et Emmanuel Macron l'ont répété : la libération des otages est une priorité absolue. En conséquence, le Hamas sait qu'en donnant de l'espoir aux dirigeants occidentaux, il les incitera à faire pression sur Israël pour que des négociations soient menées.

Il faut rester prudent, mais il est possible qu'Israël ne mène pas une offensive de grande ampleur [l'armée israélienne a lancé, dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26, des "opérations ciblées" dans le nord de Gaza] tant qu'il y a la possibilité de mener des discussions. Les libérations au "compte-gouttes" des otages permettent au Hamas de temporiser et de se préparer pendant qu'Israël continue ses frappes aériennes et ses opérations commando. Soyons clairs : pour le Hamas, les otages sont un "stock" d'atouts humains qu'il gère selon ses intérêts et contraintes. Il libère en priorité les personnes qui, pour des raisons de santé, sont trop compliquées à détenir, pour pouvoir ainsi concentrer ses forces et ses capacités sur les otages pour lesquels il veut vraiment exiger une rançon.

Les personnes retenues ont-elles toutes la même importance pour l'organisation palestinienne ?

Les otages sont libérés selon un principe d'opportunité, mais aussi selon une combinaison de critères. Tous les otages ne représentent pas la même chose pour le Hamas. Pour caricaturer, une femme âgée ou un enfant étranger ont a priori plus de chance d'être libéré qu'un soldat israélien de 30 ans.

Comment Israël et les Occidentaux négocient-ils avec le Hamas ?

Parce que le Hamas a été désigné comme une organisation terroriste, il est difficile pour les Etats occidentaux de négocier directement avec lui, au risque de se "salir les mains", comme on le dit couramment. C'est pourquoi s'opère un jeu de dupes, on passe par des intermédiaires comme le Qatar ou l'Egypte. Cela permet de maintenir un discours de fermeté, tout en obtenant des libérations.

"Si un Etat négocie, on l'accuse de compromission ou de complicité. Et s'il ne négocie pas, on l'accuse d'insensibilité vis-à-vis du sort de ses otages. Il s'agit d'un vrai dilemme."

Etienne Dignat

à franceinfo

Mais le recours aux intermédiaires ne relève pas uniquement de la posture politique. Ils ont une utilité beaucoup plus concrète, car ils disposent des canaux de discussion et peuvent négocier directement avec le Hamas. Ces négociations se basent sur l'humain, la confiance et les relations de long terme avec le Hamas. Ce sont des critères que possèdent le Qatar et l'Egypte. Ces derniers savent qu'ils sont indispensables et, dans le même temps, font en sorte que les Etats occidentaux leur soient redevables. Cela peut sembler cynique, mais c'est ainsi que fonctionne le monde des otages.

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