: Témoignages "On vit dans les hôtels, on s'entraîne tout le temps à l'extérieur" : face au choc de la guerre, le quotidien à contretemps des sportifs en Israël
"C’est devenu routinier, le conflit s’installe dans la durée." C'est ainsi que Renaud Longuèvre résume le quotidien de ses athlètes. Depuis le 7 octobre et la guerre entre le Hamas et Israël, le directeur français de la haute performance de la Fédération israélienne d’athlétisme voit les séances de sport entrecoupées par des alertes à la roquette : "Lorsque ça arrive, ils se mettent dans les abris en plein milieu de l’entraînement."
Actuellement en France, rentré juste avant le début de la guerre, il n'est pas retourné sur place depuis. Renaud Longuèvre reste en contact permanent avec les sportifs et les entraîneurs : "Les deux premières semaines, il y a eu le choc traumatique des attaques qui était très important", confie-t-il.
"Il y a des athlètes qui sont décédés. Par exemple, une coureuse qui était connue de la communauté. Ça a été un moment assez chargé sur le plan émotionnel."
Renaud Longuèvreà franceinfo
Le comité olympique israélien a publié sur sa page Facebook les photos de plusieurs sportifs de haut niveau morts dans le conflit. Mais pourtant, la vie continue : "Juste après l'attaque, les athlètes ont assuré une continuité de l’entraînement de manière individuelle, un peu comme pendant le Covid, et puis au centre des sports à Netanya pour certains", détaille le directeur. Puis petit à petit, les stades et les infrastructures ont rouvert. "Il y a eu des listes par niveau, les meilleurs athlètes ont eu accès en priorité, plus tôt", ajoute le directeur.
Si le stade de Beer-Sheva, à une vingtaine de kilomètres de la bande de Gaza bombardée quotidiennement par l'armée israélienne, reste complètement fermé, ceux de Jérusalem et de Tel-Aviv sont aujourd'hui ouverts. Malgré le fait que ce ne soient pas "des conditions optimales", Renaud Longuèvre explique que le retour de ses sportifs à l'entraînement leur fait du bien, de "pouvoir faire du sport, s’entraîner et assurer la continuité. Ils reviennent à des repères quotidiens."
Se remettre mentalement dans la compétition
Le basketteur français Jaylen Hoard, qui évolue dans le club de Hapoël Tel-Aviv a le même ressenti : "On a eu un petit moment d'ajustement quand le conflit a commencé parce qu'on a dû annuler des matchs, on n'a pas joué pendant deux semaines. Il a fallu qu'on se remette en rythme, mais passé ce cap, on s'est bien mis dedans", explique le joueur professionnel.
"On a la chance de quand même pouvoir jouer au basket. Cela rend la situation un peu plus facile à vivre."
Jaylen Hoardà franceinfo
Pendant l'attaque menée par des membres du Hamas, le 7 octobre dernier, il était à Tel-Aviv. Il se souvient de ces sirènes qui le réveillent, mais c'est la montagne de messages qu'il reçoit le samedi matin qui l'alerte. Il détaille les jours qui ont suivi l'attaque : "Le lendemain, on est tous allés à la salle, toute l'équipe s'est réunie autour du rond central et on nous a expliqué la situation, savoir où on allait s'entraîner et pour nous rassurer...Ils nous ont dits que ce qui se passait était triste, mais qu'on ne pouvait pas forcément aider et qu'ils allaient tout faire pour qu'on puisse jouer dans de bonnes conditions." Après cette réunion, le club a mis en place des vols pour les joueurs étrangers à destination de la Grèce, en attendant le retour du club à la compétition.
Des voyages d'hôtels en hôtels
Pour autant, le quotidien commence à peser sur le jeune basketteur. La saison régulière n'a pas pu débuter, mais son club joue actuellement l'Eurocup. "Tous les matchs sont à l'extérieur, même ceux qui devaient être à domicile. La Ligue espère faire reprendre la compétition nationale avant la fin du mois de novembre, mais on est sûrs de rien pour l'instant."
Seule certitude : le changement de rythme imposé par le conflit : "Au lieu de s'entraîner toute la semaine à Tel-Aviv en Israël et ensuite voyager deux ou trois jours pour un match, au final, on fait à peu près une semaine, voire dix jours dans une ville à l'étranger pour préparer le match. On vit dans les hôtels, on s'entraîne tout le temps à l'extérieur", détaille Jaylen Hoard.
"Ça fait plus d'un mois que je ne peux pas retourner voir mes amis de Tel-Aviv. J'ai ma vie là-bas et elle commence à me manquer."
Jaylen Hoardà franceinfo
Une situation difficile pour ceux qui ont des familles, mais aussi pour les joueurs qui n'ont plus vraiment de point de chute fixe : "J'en parlais un peu avec mes parents récemment, je disais que ça commençait à faire long." Depuis début octobre, "des petites choses" manquent chaque jour au sportif, "l'appartement", "les copains", même "le soleil !", sourit le basketteur, arrivé en 2022 sur place.
Les athlètes israéliens, comme les basketteurs, "tiennent le coup", affirme Renaud Longuèvre, "Ce sont des personnes qui sont déjà résilientes. Elles ont grandi là-bas avec des parents qui ont fait la guerre du Liban, ou autre", précise le directeur.
"Les sportifs locaux n’ont pas du tout le même rapport à ce type de situation, à la guerre, que nous."
Renaud Longuèvreà franceinfo
En football, le championnat national n'a pas repris. Les équipes organisent des matches amicaux, tous précédés de minutes de silence et la plupart joués à huis clos. En revanche, certaines équipes disputent la Ligue Europa Conférence. C'est le cas par exemple du Maccabi Tel-Aviv, dans laquelle joue Yvann Maçon, joueur prêté par l'AS Saint-Étienne. Le club indique que "le joueur a été mis en sécurité en Grèce juste après les attaques. Il est ensuite allé à Paris, puis en Guadeloupe, dont il est originaire." Une pause pour se remettre du traumatisme, avant de revenir à la compétition. "Le club s'entraîne actuellement en Pologne. Le pays leur permet de rester le temps de la compétition", indique l'ASSE.
De son côté, la fédération israélienne d'athlétisme dit avoir organisé des réunions avec des psychologues pour "faire face aux situations de pression et d'incertitude, surtout pendant cette période". L’Association européenne d'athlétisme a envoyé une lettre à la fédération israélienne pour apporter son soutien et proposer son aide.
Équilibre délicat entre sport et revendications
Les journées sont également rythmées par des activités en lien avec le conflit. Certains clubs de football organisent des rencontres avec des réfugiés du sud et du nord d'Israël, des banderoles "Bring them home", en référence aux otages israéliens enlevés par le Hamas et retenus à Gaza sont affichées pendant les matches. Le Maccabi Tel-Aviv, justement, a publié avant de partir en Pologne : "Les joueurs de Maccabi sont arrivés au stade Bloomfield habillés de maillots avec l'inscription 'Ramenez-les à la maison'." Sur la plupart des comptes Facebook des clubs de sport israéliens, les publications politiques ont pris le pas sur les photos des matchs ou les informations strictement sportives.
Sur les terrains, aussi, les revendications politiques et religieuses se font une place. Le basketteur Jaylen Hoard explique que plusieurs membres du staff viennent aux entraînements ou aux matchs avec des tee-shirts floqués de messages. "Lors d'un match (contre le club italien Venezia), on pouvait marquer sur nos chaussures ou nos serres poignets le nom de jeunes israéliens qui ont été tués. Beaucoup de coéquipiers l'ont fait. Ça leur tient à cœur", explique le joueur, avant de préciser que le club a laissé le choix à chaque joueur de participer ou non à l'opération. Comme souvent, le conflit s'est imposé de lui-même au cœur du club : "L'un de mes coéquipiers a beaucoup d'amis qui sont partis à la guerre. On a notre community manager qui est allé au front. Des jeunes de l'académie sont morts après avoir été attaqués", détaille Jaylen Hoard.
La sécurité des sportifs en jeu
Alors qu'en est-il de la sécurité des sportifs professionnels israéliens ? Souvent amenés à voyager à l'étranger dans le cadre des compétitions, le gouvernement de Benyamin Néthanyahou estime qu'ils sont plus que jamais les cibles de potentielles attaques. De plus, en Israël, le service militaire est obligatoire entre 18 et 21 ans : tous les sportifs dont s'occupe Renaud Longuèvre sont donc des militaires. La préparation des athlètes pour les Jeux olympiques de Paris pourrait ainsi être compliquée par les nouvelles directives gouvernementales.
"Le haut commandement ne souhaite pas qu’ils sortent du pays pour faire des stages ou des compétitions car ils peuvent être des cibles, vu le contexte."
Renaud Longuèvreà franceinfo
Le peu de sorties qui pourraient être faites est également plus cher à organiser. Le gouvernement a fait passer un texte demandant plus de garanties de sécurité pour tous les stages, alors qu'avant seules les compétitions internationales étaient concernées. Il faut donc faire accompagner les équipes par des agents de sécurité. Des contraintes en plus : "Ils nous demandent beaucoup plus de personnel de sécurité pour le moindre déplacement. Or, ils paient les salaires, mais pas les hôtels ou les billets d’avion. Et ça risque de gêner la préparation."
Pour autant, Renaud Longuèvre n'est pas inquiet des performances sportives de ses athlètes : "On n’est pas non plus dans une période cruciale avant les JO, on a encore du temps. En octobre, c’est ce qu’on appelle la phase de reprise puis le cycle de développement en novembre, mais il n’y a rien de rédhibitoire. En athlétisme, on peut construire un très bon niveau de performance avec six mois de préparation", conclut le directeur de la haute performance de la Fédération israélienne d’athlétisme.
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