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Au Liban, la déchirure entre sunnites et chiites

Un double attentat suicide, revendiqué par un groupe lié à al-Qaïda, a visé le 19 novembre 2013 l’ambassade d’Iran dans le sud de Beyrouth, tuant 23 personnes. Il s’agit de la première attaque contre Téhéran, allié du régime Assad, depuis le début du conflit en Syrie en 2011. Une attaque qui fait craindre à certains une extension de la guerre civile syrienne au pays du Cèdre.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Un religieux chiite marche près du site de l'attaque contre l'ambassade iranienne à Beyrouth (20-11-2013). (Reuters - Sharif Kharim)

Les assaillants n’ont pas réussi à pénétrer dans le cœur de l’ambassade. A part le poste du gardien qui a été dévasté, le bâtiment de la chancellerie n'a pas été endommagé. A l’extérieur, les façades d'immeubles voisins ont été pulvérisées et des dizaines de motos et de voitures calcinées. Parmi les victimes se trouve le conseiller culturel iranien qui a succombé à ses blessures, selon l’AFP.

Un groupe jihadiste, considéré comme lié au réseau sunnite al-Qaïda, a revendiqué l'attentat sur Twitter. «Il s'agit d'une double attaque pour laquelle deux de nos héros, des sunnites du Liban, sont tombés en martyrs», écrit Sirajeddine Zreikat, un responsable des Brigades Abdallah Azzam, du nom du fondateur d'al-Qaïda. Le groupe a prévenu que les attentats se poursuivraient au Liban tant que le Hezbollah, puissant mouvement armé chiite libanais, continuerait de combattre en Syrie aux côtés du régime. Il avait déjà revendiqué des attaques à la bombe contre des convois de cette organisation dans la plaine de la Békaa ainsi que des tirs de roquettes sur Israël.

De leur côté, l'Iran et le Hezbollah, allié de la République islamique, ont accusé Israël de la double attaque-suicide, la première du genre au Liban depuis l'assassinat en 2005 de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri à Beyrouth. Le chef du mouvement chiite, Hassan Nasrallah, a désigné des «extrémistes» comme auteurs de l’attaque. Tout en affirmant qu'il poursuivrait le combat en Syrie. Quant au régime de Damas, il a pointé du doigt les monarchies pétrolières du Golfe, qu'il accuse de financer et d'armer les rebelles qui veulent sa chute.

Valeur symbolique
L’attentat a peut-être une valeur symbolique. Selon Libération, l’ambassade iranienne dans la capitale libanaise n’est pas qu’une représentation diplomatique : «Elle accueille le centre nerveux pour cette région de la force Al-Qods, l’unité des pasdarans (gardiens de la révolution, armée parallèle du régime islamique en Iran, NDLR) chargée des opérations extérieures». Lesquels pasdarans se battraient en Syrie aux côtés des partisans de Bachar al Assad.

Un sauveteur libanais se tient (le 20-11-2013) devant un immeuble ravagé par l'attaque contre l'ambassade d'Iran à Beyrouth. (AFP - ANWAR)

Dans le même temps, l’attaque risque de faire éclater un tabou : «celui de l’invincibilité» du mouvement chiite (Libération) à Bir-Hassan, son fief du sud de la capitale libanaise. En raison de la présence dans le quartier de nombreuses ambassades et des bâtiments de l’ONU, le Hezbollah y a instauré des mesures de sécurité draconiennes qui se sont révélées impuissantes lors de l’attentat.
 
A contrario, celui-ci peut aussi témoigner d’une montée en puissance des groupes sunnites les plus radicaux, jusque-là peu organisés et armés. On peut supposer qu’en attaquant l’ambassade de Téhéran à Beyrouth, ces groupes entendaient directement provoquer l’Iran chiite, qui soutient le régime syrien, d’obédience alaouite, branche du chiisme.
 
Polarisation confessionnelle
Une chose est sûre : depuis quelques mois, les incidents se multiplient au Liban, déjà divisé entre pro-et anti Bachar. Et l’on y constate «une plus grande polarisation de la population, notamment au sein des communautés chiite et sunnite», rapporte Slate. L’entrée en jeu du Hezbollah dans la guerre civile chez le grand voisin, ainsi que l’expansion des groupes salafistes sur place en Syrie aux côtés des rebelles, n’a fait qu’exacerber les tensions.
 
«Comment voulez-vous que les sunnites restent les bras croisés face à un Hezbollah qui se considère seul maître du jeu et veut soumettre manu militari l’ensemble de la population à son diktat et à ses décisions unilatérales de guerre et de paix ?», demande un député sunnite, cité par Slate.
 
Des extrémistes tentent d’exploiter un tel sentiment. En juin 2013, des affrontements ont eu lieu à Saïda (sud) entre l’armée libanaise et des partisans d’un imam sunnite radical, le cheikh al-Assir, connu pour ses critiques virulentes du Hezbollah. Affrontements au cours desquels plusieurs militaires ont été tués, entre 6 et 18, selon les sources. Pourtant, nombre de sunnites libanais ne semblent pas partager les positions extrémistes du cheikh et refusent de se dresser contre les chiites.
 
Mais alors que l’économie libanaise est «gravement affectée par la crise syrienne», l’équilibre confessionnel reste fragile après une guerre civile (1975-1990) très meurtrière. Une situation qui peut faire craindre un embrasement attisé par la faiblesse de l’Etat et l’importance du nombre de réfugiés. Lesquelles constitueraient un tiers de la population (4,4 millions d’habitants). Le Liban a ainsi déjà accueilli 800.000 Syriens, selon l’ONU.

Une réfugiée syrienne et son enfant dans le village de Dalhamiyah (vallée de la Bekaa) au Liban le 15-11-2013 (AFP - Joseph Eid)

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