Beyrouth : "Combien faudra-t-il d'incendies pour qu'on en finisse avec cette négligence ?" Après un nouveau feu au port, les habitants en colère
Le nouvel incendie qui a frappé le port de Beyrouth, jeudi, a bouleversé les habitants, quelques semaines après la double explosion qui a ravagé la capitale libanaise. L'événement renforce leur défiance à l'égard des autorités.
Le cauchemar continue. Le port de Beyrouth (Liban) s'est à nouveau embrasé jeudi 10 septembre, un peu plus d'un mois après la double explosion qui a ravagé la ville le 4 août, faisant au moins 190 morts et plus de 6 500 blessés. Les épaisses colonnes de fumée noire étaient visibles depuis plusieurs quartiers de la capitale. Cet important incendie a fait souffler un vent de panique au sein d'une population déjà durement touchée par les récents événements.
Eteint vendredi, l'incendie a touché un entrepôt où se trouvaient de l'huile pour moteur et des roues de voiture, ont indiqué dans un premier temps le directeur par intérim du port, Bassem al-Kaissi, sur une chaîne de télévision locale, ainsi que l'armée libanaise dans un communiqué. L'incendie "a commencé avec les bidons d'huile avant de se propager aux pneus", a expliqué Bassem al-Kaissi, sans pouvoir en établir l'origine, évoquant la chaleur ou "une erreur", selon des propos rapportés par l'AFP.
Par la suite, il a été précisé que l'entrepôt était également utilisé par la Croix-Rouge internationale pour stocker des milliers de colis alimentaires. Des pâtes, du sucre, du thé, des lentilles et des pois chiches y étaient notamment stockés, selon un communiqué de l'organisation.
Walla it s too much now from my place pic.twitter.com/clzIhmEUM1
— Elissa (@elissakh) September 10, 2020
دولة بتسوى صرماية بكل مؤسساتها الأمنية والإدارية والسياسية. pic.twitter.com/oNGBomLYFK
— Nizar Hassan || نزار حسن (@Nizhsn) September 10, 2020
Video being shared from the site of the massive #Beirut fire.
— Timour Azhari (@timourazhari) September 10, 2020
Note: Firefighters again sent in without knowing what was on fire. Again there is no official comment. There is no evacuation order. So many lives at risk and no-one in power shows initiative.pic.twitter.com/y0iars2aNy
Les rues vides et la peur
L'incendie s'est déclaré dans la zone franche du port, sur les ruines encore bien visibles des explosions. "Cela a eu lieu à quelques centaines de mètres du premier incendie, on a eu un peu l'impression de revivre la journée du 4 août", souffle Arthur Sarradin, journaliste, joint par franceinfo. Le bâtiment touché se "trouve proche du duty free du port", souligne Nour Masri, une agente d'entretien qui travaillait non loin de là, au moment où l'épaisse fumée a commencé à s'élever dans le ciel de Beyrouth.
"On était en train de travailler, et soudain il y a eu des cris, pour nous dire de sortir", a raconté à l'AFP Haitham, l'un des employés de l'entrepôt touché par l'incendie. "Il y avait des travaux de soudure en cours, puis les flammes se sont déclarées, on ne sait pas ce qui s'est passé", a-t-il ajouté. Des "réparations" étaient menées sur le site avec une scie électrique, et des "étincelles" ont entraîné le feu, selon des "informations préliminaires" du gouvernement communiquées jeudi soir et rapportées par l'AFP.
Les mêmes scènes de panique qu'il y a un mois se sont répétées. "J'ai vu les flammes et des gens qui fuyaient le port, relate Nour Masri. Dans le bâtiment où je travaille, les gens ont éteint les ordinateurs et l'électricité, puis sont sortis dans la précipitation."
J'ai eu très peur et j'ai encore peur maintenant.
Nour Masri, habitante de Beyrouthà franceinfo
La crainte d'une nouvelle explosion était dans tous les esprits. "Tout le monde s'est barré, il n'y avait plus personne dans les rues, certaines personnes ont fait rouler leur voiture pour la première fois depuis cinq semaines pour quitter la zone", détaille Clotilde Bigot, journaliste freelance qui habite la capitale libanaise. "L'autoroute pour quitter la zone était noire de véhicules, celle pour y rentrer vide", confirme Arthur Sarradin. "Dans un restaurant, des gens se sont terrés dans des endroits protégés en attendant que ça pète", raconte encore Clotilde Bigot. L'explosion redoutée n'est jamais survenue, et la tension est finalement retombée dans le quartier du port, les habitants s'attroupant et filmant le désolant spectacle.
"Ce n'est pas logique"
Une fois la stupeur passée, l'incompréhension et la colère persistent. "Tous les jours, il se passe quelque chose, soutient la journaliste, il y avait déjà eu un feu moins important il y a quelques jours, puis il y a eu des tirs dans un autre quartier, on pensait qu'on avait touché le fond, mais en fait non, on voit qu'on continue de creuser." Une question hante les esprits : comment un second important incendie a-t-il pu se propager au même endroit que celui qui a fait tant de dégâts le mois dernier ? "Ce n'est pas logique, ces deux feux en si peu de temps, quelqu'un est responsable, le port ou les autorités", s'interroge Nour. "C'est le lieu qui devait être le plus surveillé du pays, c'est incompréhensible, s'emporte Arthur. Combien faudra-t-il d'incendies pour qu'on en finisse avec cette négligence ?"
"L'incendie [de jeudi] ne peut en aucun cas être justifié", a estimé vendredi sur Twitter le Premier ministre libanais désigné, Moustapha Adib, qui planche sur la formation d'un nouveau gouvernement. Le précédent avait démissionné dans la foulée de l'explosion du 4 août. Moustapha Adib a appelé à ce que les responsables "rendent des comptes", "une condition essentielle pour empêcher que de tels événements douloureux ne se reproduisent".
Toutefois, le discours officiel passe mal, alors que la classe politique est vouée aux gémonies depuis plusieurs mois par la rue. "Il y a un épuisement général, un traumatisme", souffle Clotilde. La première version avancée par le directeur du port par intérim n'a convaincu personne. "On n'y croit pas car c'est la version qui arrange les officiels", soutient-elle. De folles rumeurs circulent. "Je pense qu'ils ont brûlé des preuves accablantes des explosions il y a un mois", estime Nour. "On a cru qu'on avait vécu le pire début août, conclut Clotilde, mais en fait peut-être pas."
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