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Infographies Donald Trump a-t-il raison d'affirmer que l'Etat islamique est vaincu en Syrie et en Irak ?

Article rédigé par Nicolas Enault
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un Irakien pousse une charrette devant les décombres d'un bâtiment à Mossoul, le 13 janvier 2019. (ZAID AL-OBEIDI / AFP)

Après la perte de ses territoires en Irak et en Syrie, le groupe constitue encore une menace concrète pour les civils mais aussi pour les forces armées présentes sur le terrain. Il continue par ailleurs d'inspirer des attentats en Europe, comme celui de décembre à Strasbourg.

"Nous avons défait l'Etat islamique en Syrie". Voici ce qu'affirme Donald Trump dans un tweet posté le 19 décembre 2018. Son secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, en fait de même dans un discours prononcé (en anglais) au sommet de Davos, le 22 janvier 2019. Qu'en est-il réellement sur le terrain ? Un rapport publié (en anglais) mercredi 23 janvier par le Centre international d'analyse du terrorisme Jane (JTIC) confirme un affaiblissement de la capacité de nuisance du groupe. On y apprend que les jihadistes ont perpétré 1 327 attaques en 2018, soit une baisse de 71% par rapport à l'année précédente.

Selon le rapport du JTIC, les pertes territoriales de l'Etat islamique en Irak et en Syrie ont "sensiblement réduit la capacité du groupe à opérer". Les attaques menées par les jihadistes de l'Etat islamique dans le monde entier ont néanmoins coûté la vie à 3 151 personnes, soit environ 23% du nombre total de victimes du terrorisme en 2018. Et la menace n'a pas diminué dans la zone syro-irakienne. Franceinfo a analysé plusieurs indicateurs pour tenter de dessiner la réalité sur le terrain.

Près de trois fois moins d'actions revendiquées en 2018 qu'en 2016

C'est par la voix de son agence de propagande, Amaq, que le groupe Etat islamique revendique ses opérations. Dans ces communiqués, publiés en plusieurs langues, le groupe s'attribue la paternité d'attaques, d'attentats ou d'assassinats perpétrés à travers le monde. C'est donc un marqueur qui traduit l'activité du groupe, même si certaines revendications se sont parfois avérées erronées. Pour mesurer cette activité, nous nous sommes basés sur le recensement des communiqués d'Amaq opéré par le groupe de surveillance des réseaux extrémistes SITE. 

On constate ainsi que le nombre d'actions revendiquées par l'Etat islamique a presque été divisé par deux ces derniers mois par rapport au nombre d'opérations perpétrées en 2016 ou 2017 : 384 actions ont été revendiquées en 2018 contre 500 en 2017 et 922 en 2016. Mais la menace reste présente. Seize personnes ont ainsi été tuées dans un attentat-suicide revendiqué par l'Etat islamique le 16 janvier à Minbej (Syrie), et cinq autres le 21 janvier près de Chadadi, dans le nord-est du pays, dans des zones où le groupe a pourtant perdu le contrôle du territoire. "L'EI reste en capacité de frapper là où il le souhaite", estime ainsi Wassim Nasr, journaliste spécialiste des groupes jihadistes, dans une interview à France 24.

Selon lui, le groupe Etat islamique "a renoué avec un mode opératoire insurrectionnel, en vigueur entre 2007 et 2013 en Irak". Les opérations menées par les jihadistes visent à "harceler [...], pour maintenir l'adversaire sous pression", elles prennent la forme d'"attentats ou d'attentats-suicides, d'attaques contre des barrages ou des convois ou d'assassinats ciblés". Les combattants antijihadistes anticipent d'ailleurs une "intensification de [ce genre] d'opérations de l'EI contre nos forces une fois que nous aurons mis fin à leur présence militaire" comme le souligne le commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), l'alliance arabo-kurde en Syrie soutenue par la coalition internationale, dans une interview accordée à l'AFP le 25 janvier.

Six fois moins de bombes larguées par les avions occidentaux en 2018

Autre critère qui traduit la réalité de la guerre contre les membres du groupe Etat islamique : l'intensité des bombardements réalisés par la coalition internationale emmenée par les Etats-Unis. Selon les données rendues publiques (en anglais) par le commandement de l'armée de l'air américaine, 6 499 bombes ont été larguées par les avions de la coalition en Syrie et en Irak entre les mois de janvier et de novembre 2018, contre 39 577 en 2017. 

Alors que le président américain, Donald Trump, a annoncé le début du retrait des troupes au sol en Syrie, le nombre de bombes larguées est pourtant reparti à la hausse ces derniers mois. Cette tendance observée dès novembre 2018 se confirme d'ailleurs dans les derniers chiffres communiqués (lien en anglais) par la coalition. Entre le 30 décembre 2018 et le 12 janvier 2019, 575 frappes ont ainsi eu lieu en Syrie et 13 en Irak.

Pour Wassim Nasr, interrogé par franceinfo, les raisons de cette augmentation dépendent des zones visées : "Dans la région de Mossoul, en Irak, c'est lié à une recrudescence de l'Etat islamique, alors qu'en Syrie c'est en soutien à la campagne actuelle des Forces démocratiques syriennes, qui a connu des pauses puis des reprises pour de multiples raisons (météo, manque de recrues, etc...)".

Autant de civils tués en Syrie en 2018 qu'au Nigeria, au Yémen, en Afghanistan et aux Philippines réunis

Pour mesurer le niveau de violences sur le terrain, nous nous sommes également basés sur les données récoltées par les chercheurs de l'Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled), qui compilent toutes les actions violentes menées dans le cadre de conflits en cours en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est depuis 1997. Dans son bilan de l'année 2018 (en anglais), l'ONG indique que la Syrie et l'Irak font partie des quatre pays qui regroupent 60% des violences recensées, avec le Yémen et l'Afghanistan. Les événements violents recensés ne concernent pas que le groupe Etat islamique mais l'ensemble des acteurs présents sur le terrain.

Pour le cas de la Syrie, le nombre de batailles et d'attentats a été divisé par deux entre 2017 et 2018. Pour autant, le pays reste le plus dangereux pour les civils, dans la zone analysée par les chercheurs de l'Acled, qui compte 77 pays différents. Il est aussi le troisième pays en nombre de morts, toutes populations confondues, derrière l'Afghanistan et le Yémen. Selon leur relevé, 26 654 personnes (civils, militaires ou jihadistes) sont mortes dans le pays en 2018. En 2017, ce décompte atteignait 52 905 morts.

Les violences à distance (engins explosifs, drones...) représentent la part la plus importante des événements violents recensés. Pour ce qui est des violences contre les civils, elles sont à 56% le fait de l'armée de Bachar Al-Assad en 2018, selon les données de l'Acled. 

En Irak, où Haïder Al-Abadi, alors Premier ministre, a déclaré fin 2017 la victoire contre l'Etat islamique après quatre ans de conflit, le nombre d'événements violents recensés par les chercheurs de l'Acled est aussi en baisse. Les jihadistes du groupe Etat islamique constituent toujours une menace réelle, notamment pour les civils. En 2018, 6 089 personnes sont mortes dans des violences, dont 400 dans des actions menées contre des populations civiles, contre respectivement 32 700 et 3 228 personnes en 2017.

Faut-il voir dans ces indicateurs la fin de l'Etat islamique au Levant ? Dans son ouvrage L'Affolement du monde, publié le 17 janvier aux éditions Tallandier, le directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart, indique que "l'effondrement de Daech en tant que proto-Etat ne signifie pas son anéantissement, dans la mesure où son idéologie et ses méthodes se sont répandues dans le monde entier". Wassim Nasr prolonge cette analyse sur France 24 : selon lui, "la mise en veille des ambitions territoriales" du groupe Etat islamique est un "choix tactique" planifié, qui permet aux jihadistes de "constituer une menace permanente". Il rappelle enfin à franceinfo que le groupe Etat islamique est "dans une logique d'expansion en Afrique et en Asie du Sud, qui sont les nouveaux épicentres de son activité".

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