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Pourquoi les pays occidentaux veulent armer les Kurdes irakiens

Les Etats-Unis ont commencé à livrer des armes au Kurdistan irakien, menacé par l'avancée de l'Etat islamique. Voici pourquoi l'appel des combattants kurdes a été entendu.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des peshmergas kurdes sur la ligne de front face aux jihadistes de l'Etat islamique, le 9 août 2014 à Makhmour (Irak). (SAFIN HAMED / AFP)

Début juillet. Une délégation kurde se rend à Washington pour réclamer des armes. De crainte de contrarier Bagdad, ses interlocuteurs américains lui rappellent que de telles livraisons doivent "être coordonnées avec les autorités du gouvernement central", rapporte Reuters (en anglais). Un mois plus tard, changement de ton. Compte tenu de l'avancée rapide des jihadistes de l'Etat islamique (EI) en Irak, des armes sont directement adressées au Kurdistan, annonce le Département d'Etat, lundi 11 août.

La veille, sur France 2, Laurent Fabius s'est déclaré favorable à des livraisons, par la France, de "matériels qui (…) permettent [aux combattants kurdes] de se défendre et de contre-attaquer" face à l'Etat islamique. Une réunion des ambassadeurs de l'UE est prévue à Bruxelles, mardi, afin d'évoquer la question. Voici pourquoi l'appel du Kurdistan irakien est à ce point entendu.

Parce que les Kurdes constituent le seul rempart fiable

Leur nom signifie "ceux qui défient la mort". Au temps de Saddam Hussein, les peshmergas ont combattu l'armée, qui pourchassait les Kurdes dans les montagnes. Aidés par les frappes américaines, ils entament désormais leur contre-attaque face aux jihadistes. Au total, "les Kurdes ont plus de 1 000 kilomètres de frontière à défendre face aux islamistes", précise Courrier international. Depuis leur capitale, Erbil, les convois se relaient pour gagner la ligne de front, distante de seulement trente kilomètres. Ces combattants expérimentés sont parvenus à reprendre les villes de Makhmour et Gwer, dimanche, à la faveur des frappes américaines.

  (BASTIEN HUGUES / FRANCETV INFO)

Mais les forces commencent à manquer. "Nous avons bien résisté à leurs premières offensives mais notre capacité militaire est limitée. Nous avons besoin d'assistance étrangère", explique le général kurde Askender Haji, interrogé par Le Monde (article abonnés). "Nous ne combattons pas une organisation terroriste, nous combattons un Etat terroriste", ajoute Massoud Barzani, président du gouvernement du Kurdistan irakien, pour convaincre encore un peu plus d'éventuels alliés.

En effet, l'armée irakienne est à la peine depuis plusieurs mois, malgré ses frappes aériennes. Les jihadistes se sont emparés de pans entiers du territoire, sans rencontrer de grande résistance. Et l'instabilité politique n'a rien arrangé. Alors même que l'Irak a besoin de réunir toutes ses composantes pour contrer l'EI, les sunnites ont été mis sur la touche par le Premier ministre, Nouri Al-Maliki.

Ce dernier a finalement été écarté lundi, au profit d'Haïdar Al-Abadi, chargé de former un gouvernement de large rassemblement. C'est sans doute une bonne nouvelle pour les Kurdes irakiens, qui entretiennent des relations tendues avec Bagdad, en raison de leurs supposées velléités indépendantistes. Alors que les peshmergas ont bénéficié d'un appui aérien irakien très tardif, le nouveau gouvernement pourrait donc changer la donne. A en croire une porte-parole de la diplomatie américaine, "la collaboration entre les forces irakiennes et kurdes atteint [désormais] des niveaux sans précédent".

Parce que le Kurdistan est vu comme un îlot stable

Alliés traditionnels des Etats-Unis, les Kurdes d'Irak rencontrent une oreille attentive en Occident. Les Américains disposent d'un consulat à Erbil, où travaillent de nombreux diplomates. En 2005, le président du gouvernement kurde, Massoud Barzani, qualifie les Etats-Unis de "partenaires" de la libération de l'Irak. "Nous sommes les fidèles alliés" des Américains, reprend-il neuf ans plus tard, dans le Washington Post (en anglais).

Boris Johnson, maire conservateur de Londres, a même écrit une tribune dans The Telegraph (en anglais) pour saluer l'"oasis de stabilité et de tolérance" incarnée par le Kurdistan irakien. Il rappelle au passage que de nombreuses entreprises y sont implantées, dont la banque britannique Standard Chartered Bank. L'intérêt économique est mis en avant, jusque sur le site du ministère de l'Economie français : "La région autonome se distingue ainsi nettement du reste de l’Irak en parvenant à garantir un climat de sécurité tel que très peu d’actions terroristes y sont perpétrées."

Cette région pétrolifère attire aussi les convoitises de l'Etat islamique, qui pourrait être tenté de trouver là de nouveaux financements, en alimentant le marché noir. En plus de Wana, Zoumar et Sinjar, l'EI s'est emparé des gisements pétroliers d'Aïn Zalah et Batma, au nord-ouest de Mossoul.

Parce que les Etats-Unis et l'UE ne veulent pas d'intervention directe

"Je sais que nombre d'entre vous sont, à juste titre, inquiets quand ils entendent parler d'une action militaire en Irak, même pour des frappes limitées comme celles-ci." Lors de son discours, jeudi, Barack Obama a exclu toute intervention directe des Etats-Unis. Outre-Atlantique, le président américain est très attendu sur ce point. D'après un sondage publié par le Wall Street Journal (lien abonnés, en anglais), six Américains sur dix désapprouvent sa politique internationale. Et si la majorité des républicains et des démocrates soutiennent ces frappes, plusieurs sénateurs craignent une nouvelle guerre en Irak, après le retrait symbolique du pays en décembre 2011.

"C'est aux Irakiens de mener ce combat", a également tranché Laurent Fabius, dimanche. De toute façon, plusieurs experts se sont montrés sceptiques sur les capacités d'intervention françaises, avant même le début des frappes américaines. "On n'a déjà pas les moyens aériens d'aller faire des rotations pour ravitailler nos troupes au Mali ou en Centrafrique, déplore le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, Eric Denécé, cité par l'AFP. On va mettre un avion pendant une semaine sur une base turque qui va faire cinq allers-retours, mais ça n'aura aucun impact sur la situation."

Armer plutôt que déployer des troupes : l'option est accueillie favorablement chez certains spécialistes. "Il faut armer les populations menacées (...). Malgré tous ses ­défauts, George W. Bush avait décidé d'armer des tribus en 2006 et cette initiative avait porté ses fruits, les jihadistes avaient ­reculé", estime Myriam Benraad, spécialiste de l'Irak, dans le JDD.

Mais il reste la crainte d'armer l'adversaire

Massoud Barzani a notamment réclamé des "armes lourdes" et l'aide du renseignement américain, dans une tribune publiée par le Washington Post (en anglais). Mais cette stratégie peut avoir un effet boomerang. Au cours de leur progression, les jihadistes accumulent les prises de guerre.

De l'aveu même de Laurent Fabius, l'Etat islamique a "pris des armes très sophistiquées prélevées sur l'armée irakienne". Lors de la prise de Mossoul, le 10 juin, les jihadistes ont ainsi récupéré de l'armement lourd de fabrication américaine, selon les experts, ce qui lui a permis ensuite de progresser rapidement dans le nord du pays.

Malgré leur rivalité, des militants du PYD – le parti kurde syrien – sont venus apporter leur aide aux Kurdes irakiens. Quid des armes qui leur seront livrées ? En juin 2013, déjà, la France avait milité pour la livraison d'armes aux rebelles syriens modérés. Aucun pays ne l'avait alors suivie, de crainte que ces armes ne tombent aux mains des jihadistes.

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