Quand l'Etat islamique s'attaque à l'art
Livres, sculptures, instruments... Dans les zones qu'ils occupent en Syrie et en Irak, les jihadistes s'en prennent à l'art pré-islamique, qu'ils considèrent comme relevant de "l'idolâtrie".
Les jihadistes du prétendu Etat islamique semblent abhorrer l'art. Dans des vidéos de propagande, ils massacrent le patrimoine des régions qu'ils occupent, ce qui n'est sans rappeler d'autres destructions en Afghanistan ou au Mali. Retour sur leurs méfaits et leurs raisons.
Ils réduisent en poussière des splendeurs archéologiques
Un homme s'acharne avec un marteau-piqueur sur le débris d'une sculpture déjà éparpillée. Jeudi 26 février, l'EI a diffusé une vidéo de jihadistes qui exultent en abattant à la masse des œuvres pré-islamiques dans un musée de Mossoul, la grande ville du nord de l'Irak, qu'ils occupent depuis le printemps 2014.
Comment expliquer ces destructions ? Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris, interrogé par Libération, voit plusieurs explications. "Ils avancent bien évidemment l’argument de l’idolâtrie", mais en s'attaquant à des "symboles historiques auxquels la population de Mossoul est attachée", c'est aussi un moyen de la "dominer".
De plus, "l’Etat islamique a organisé un trafic d’antiquités à grande échelle dans la vallée de l’Euphrate, pas toujours directement, mais aussi en le sous-traitant. Publier des vidéos de destructions dans le musée de Mossoul est tout simplement un moyen de faire monter les prix".
Enfin, c'est une opération de propagande visant à faire passer le message que les Occidentaux ne se préoccupent que de leurs otages et des œuvres d'art.
Ils se livrent à des autodafés
Avant les sculptures, les livres. Début février, Geopolis signalait un vaste autodafé. Des centaines de manuscrits, des œuvres antiques et des vieux journaux ont été détruits et incendiés à la Bibliothèque centrale de Mossoul. Selon les habitants, les jihadistes auraient emporté avec eux, dans six véhicules, plus de deux mille livres pour les détruire.
Là encore, pendant la prise de Mossoul, en juin 2014, "plusieurs bibliothèques déplorent avoir été victimes de pilleurs de manuscrits rares, voire parfois uniques, que des contrebandiers auraient emportés ensuite à destination de la Turquie. Au rang des pertes annoncées, un exemplaire du Coran qui remonterait à l'époque où régnait la dynastie des Abbassides", soit de 750 à 1250 après J.-C., écrivait le site ActuaLitté.
Ils font sauter le tombeau de Jonas
L'attaque du musée de Mossoul n'était pas une première dans la ville. En juillet, les jihadistes avaient dynamité le tombeau de Jonas (oui, celui qui est passé dans le ventre de la baleine), mais aussi "le sanctuaire du prophète Seth [Nabi Chith], considéré comme le troisième fils d'Adam et Eve dans la tradition juive, islamique et chrétienne", écrivait Le Monde.
Au même moment, l'Etat islamique avait tenté de s'en prendre au minaret le plus célèbre de la ville. D'après Jean-Pierre Filiu, la mosquée avait été sauvée par une chaîne humaine constituée par les habitants de la ville.
Pour l'organisation jihadiste, statues, tombeaux et représentations "favorisent l'idolâtrie" et méritent donc d'être détruits. Gérard Leclerc, journaliste, philosophe et essayiste, expliquait au Figaro : "Si les jihadistes ont dynamité le tombeau de Jonas, ce n'est pas pour s'attaquer à la figure de Jonas, qui est présente dans le Coran, mais au nom d'un fanatisme qui refuse toute représentation et tout art religieux. Comme les talibans avaient détruit en 2001 les bouddhas de Bamiyan datant du Ve siècle, comme les jihadistes ont détruit les mausolées de Tombouctou, les combattants de l'EI ont détruit le tombeau de Jonas par pur fanatisme iconoclaste."
Ils brûlent des instruments
Cette fois, la scène ne s'est pas déroulée en Irak ou en Syrie. Une énième vidéo de propagande a montré des instruments de musique en flammes, en Libye.
Leur tort ? Etre "non-islamiques". Le Figaro rappelle que des photos d'instruments détruits circulaient déjà en janvier sur les réseaux sociaux. Les faits se déroulaient à Sarrin, dans la province d'Alep, en Syrie. Ces images s'inscriraient dans une stratégie de propagande du groupe jihadiste destinée à montrer sa toute-puissance face à l'Occident.
A qui le tour ?
Après l'avoir réduit en miettes, les jihadistes auraient lancé aux gardiens du musée de Mossoul que la ville de Nimroud, joyau archéologique irakien situé à une centaine de kilomètres plus au sud, était leur prochaine cible. Abdelamir Hamdani, un archéologue irakien de l'université Stony Brook de New York, a indiqué que "c'est l'une des plus importantes capitales assyriennes, on y trouve des bas-reliefs et des taureaux ailés... Cela serait un véritable désastre".
"Je crains qu'ils prévoient davantage de destructions", a abondé Ihsan Fethi, un spécialiste du patrimoine irakien, basé en Jordanie. "Ils sont capables de tout, ils sont capables de dire que les temples de Hatra sont païens et de les faire sauter". Hatra, au sud de Mossoul, est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.