Frappes contre des hôpitaux en Syrie : "Les médecins ne sont ni des terroristes, ni des combattants"
Ahmed Dbais, un pharmacien syrien, évalue les besoins des établissements médicaux d'Alep pour une ONG. Il évoque une "situation invivable" pour le personnel médical.
"Si rien n'est fait, nous aurons la confirmation que nos craintes étaient fondées : le monde aurait abandonné les populations d'Alep à une mort lente et violente." L'organisation Médecins sans frontières (MSF) dénonce le "bain de sang" causé dans le nord de la Syrie par les bombardements de l'armée de Bachar Al-Assad et son allié russe, vendredi 30 septembre.
Plus de 800 blessés ont été accueillis dans les hôpitaux d'Alep, qui ont également dénombré 278 morts, entre le 21 et le 26 septembre. Les établissements de soins semblent désormais clairement visés : le plus grand hôpital des quartiers rebelles d'Alep, déjà bombardé mercredi, a été samedi 1er octobre la cible d'au moins deux barils d'explosifs, a rapporté la Syrian American Medical Society.
Plus que cinq hôpitaux à Alep
"La stiuation est devenue invivable", abonde Ahmed Dbais, un pharmacien originaire de Hama, interrogé par franceinfo. Il a travaillé comme bénévole dans les centres médicaux dès le début de la guerre, il y a cinq ans, et occupe désormais le poste de directeur de la sécurité au sein de l'Union des organisations de secours et soins médicaux (USSOM).
"Mon rôle est notamment de me rendre dans les hôpitaux des villes du nord de la Syrie toutes les deux semaines, pour évaluer l'état des infrastructures et les besoins matériels", explique Ahmed Dbais, désormais installé à Gaziantep (Turquie) avec sa famille.
Le bilan qu'il dresse est sans appel. "Il ne reste plus désormais que cinq hôpitaux et dix centres de soins encore en état de fonctionner à Alep, précise le pharmarcien. Les infrastructures médicales sont désormais prises pour cibles par l'armée syrienne. Deux hôpitaux ont été gravement endommagés par un bombardement, [mercredi 28 septembre] : les générateurs et les réserves d'oxygène ont été touchées, ce qui signifie qu'il est impossible de pratiquer des opérations."
25 médecins pour 250 000 habitants
Il n'y aurait en outre que 25 médecins encore présents dans la ville, selon les chiffres donnés par Ahmed Dbais. "Ce n'est pas suffisant pour fournir les soins nécessaires aux 250 000 personnes qui habitent encore à Alep, visée quotidiennement par des frappes aériennes, poursuit-il. Le personnel médical travaille désormais jour et nuit pour soigner les blessés, de plus en plus nombreux et qui souffrent de graves traumatismes à cause des bombardements."
Au-delà de l'horreur dont ils sont témoins, les médecins sont également très éprouvés par les attaques dont ils sont désormais la cible. Certains ont été "gravement traumatisés" par la mort de cinq travailleurs humanitaires de l'USSOM, visés une frappe alors qu'ils participaient à une opération de secours mardi 20 septembre.
"Dès que les frappes s'interrompent, ne serait-ce que pour une heure, les ambulanciers partent sur les lieux de l'attaque pour récupérer les blessés, rapporte Ahmed Dbais. Mais même les véhicules de secours sont pris pour cible, comme ce fut le cas lundi 19 septembre." Quatorze bénévoles du Croissant rouge arabe syrien ont été tués dans cette attaque, qui visait leur convoi. "Mais ils n'ont pas le choix, ils doivent continuer à traiter les dizaines de victimes qui arrivent dans les hôpitaux chaque jour", insiste le pharmacien syrien.
Impossible de protéger les hôpitaux
Le personnel médical a bien tenté de prendre des mesures pour se protéger le plus possible, ainsi que les patients. "Les blocs opératoires sont sous terre, détaille Ahmed Dbais. Lorsque les patients ne sont plus dans un état critique, ils sont aussitôt déplacés vers d'autres bâtiments afin de laisser la place aux autres blessés." Mais les déflagrations fragilisent malgré tout les infrastructures et détruisent le matériel.
L'USSOM redoute également la pénurie de médicaments à Alep, dont les accès sont totalement coupés depuis début septembre. Une cargaison de matériel médical de MSF a pu être acheminée dans la ville en août, lors d'une brève interruption du siège. "Ces réserves devaient permettre aux hôpitaux de tenir pendant six mois, mais les frappes se sont intensifiées et ont fait bien plus de victimes que prévu, alerte Ahmed Dbais. Si les routes ne sont pas rapidement ouvertes, il n'y aura plus de médicaments à Alep d'ici la fin du mois de novembre."
"Tous les médecins vont finir par partir"
Dans les villes voisines d'Idleb, Hama et Lattaquié, qui ne sont pas en état de siège, les blessés bénéficient de soins de meilleure qualité. "A Idleb, on compte encore 45 hôpitaux et une centaine de centres médicaux pour 300 000 habitants", explique Ahmed Dbais. Mais les installations médicales y sont également visées par des attaques du régime syrien et de l'aviation russe. "Si ces frappes se poursuivent, tous les médecins et infirmières vont finir par quitter le nord du pays pour fuir le danger, martèle Ahmed Dbais. Ils veulent continuer à sauver des vies, mais eux aussi ont des familles à protéger."
La situation est telle que les médecins syriens se sont symboliquement mis en grève, jeudi 29 septembre, en arrêtant les soins des patients non-critiques durant trois heures. Ils réclament une intervention de la communauté internationale afin de forcer le régime syrien et la Russie à épargner le personnel médical. "Nous voulions envoyer un message au reste du monde : les médecins, les infirmiers, les pharmaciens ne sont ni des terroristes, ni des combattants, insiste Ahmed Dbais. Ils ne sont pour ou contre personne. Tout ce qu'ils veulent, c'est sauver des vies. Il faut les laisser faire leur travail."
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