On vous explique ce qu'il se passe dans le nord de la Syrie, où jihadistes et rebelles ont lancé une vaste offensive contre le régime de Bachar al-Assad
Alep n'avait pas connu pareille situation depuis 2020. Les jihadistes et leurs alliés ont pris la "majeure partie" de la deuxième ville syrienne après une offensive contre les forces gouvernementales, a déclaré l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), samedi 30 novembre. En trois jours, ils "ont pris le contrôle de la majorité de la ville, des centres gouvernementaux et des prisons", ainsi que de l'aéroport d'Alep, écrit l'OSDH dans un communiqué. L'assaut, lancé mercredi, a fait pour l'heure 311 morts – essentiellement des combattants, ajoute l'ONG basée au Royaume-Uni. L'armée syrienne a confirmé l'information, assurant que des membres d'"organisations terroristes armées" avaient pu "pénétrer dans de larges parties des quartiers de la ville d'Alep".
Derrière cette incursion, baptisée "dissuasion de l'agression", se trouve le Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe rebelle islamiste dominé par la branche syrienne d'Al-Qaïda, et d'autres factions hostiles au régime syrien. Cette attaque vient briser le calme précaire dans le nord-ouest de la Syrie, rendu possible par un cessez-le-feu instauré en mars 2020. L'offensive a été lancée depuis Idleb, province qui borde celle d'Alep et bastion des rebelles et jihadistes. Vendredi, "deux attentats-suicides avec des voitures piégées" aux portes de la citadelle ont précédé l'arrivée des jihadistes dans la ville, d'après l'OSDH.
La rapide chute du régime à Alep
Les troupes du président syrien, Bachar al-Assad, ne sont pas parvenues à conserver leur mainmise sur la deuxième ville du pays. Selon le chef de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane, "le gouverneur d'Alep et les commandants de la police et des services de sécurité se sont retirés du centre-ville". "Le rythme de l'effondrement des positions du régime est spectaculaire", assure également Karam Shaar, chercheur au think tank américain New Lines Institute, à Libération. "Celui-ci a pris la décision de se retirer car il ne croit avoir ni la puissance humaine, ni les armements, ni le soutien de ses alliés pour résister à une telle attaque", estime-t-il.
L'armée syrienne a tout de même assuré, dans un premier temps, avoir repoussé "la grande offensive des groupes terroristes" et regagné plusieurs positions. L'aviation syrienne a de son côté lancé des raids intensifs sur la région d'Idleb, a déclaré l'OSDH. Mais "à bien des égards, [Bachar al-Assad] a été plus vulnérable que jamais au cours des deux ou trois dernières années – économiquement, socialement et militairement", souligne Charles Lister, expert au Middle East Institute, sur X.
Une opération préparée
Outre Alep, les rebelles ont conquis environ 70 localités, dont la ville de Saraqeb, toujours selon l'observatoire syrien basé au Royaume-Uni, qui dispose d'un large réseau de sources dans le pays. L'offensive ne sort pourtant pas de nulle part. "L'opposition armée, située dans le Nord-Ouest, a toujours eu un 'round 2' en préparation. Elle s'entraîne pour cela depuis des années", assure Charles Lister. Pour Dareen Khalifa, experte de l'International Crisis Group, l'opération était préparée depuis plusieurs mois.
"L'offensive a été présentée comme une campagne défensive face à une escalade du régime."
Dareen Khalifa, experte de l'International Crisis Groupà l'AFP
Le chef du "gouvernement" autoproclamé à Idleb, Mohammad al-Bachir, a justifié jeudi l'offensive en accusant le régime d'avoir "commencé à bombarder les zones civiles, ce qui a provoqué l'exode de dizaines de milliers de personnes". Mais Dareen Khalifa pointe que le HTS et ses alliés "observent également le changement régional et géostratégique". Leur offensive a été lancée le jour même où une trêve entrait en vigueur au Liban entre l'armée israélienne et le Hezbollah, et alors que la Russie est en pleine guerre en Ukraine. "Ils pensent que maintenant les Iraniens sont affaiblis" et le régime syrien coincé, souligne la spécialiste.
L'ombre de la Turquie et de la Russie
Car derrière les deux belligérants, se rangent d'autres alliés. D'un côté, Bachar al-Assad bénéficie du soutien de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, grâce auquel il a repris en 2015 le contrôle d'une grande partie du pays et en 2016 la totalité de la ville d'Alep. L'armée russe a d'ailleurs annoncé vendredi bombarder "les positions" des groupes "extrémistes" en Syrie. L'OSDH a fait état de raids aériens russes sur Alep dans la nuit de vendredi à samedi, les premiers depuis 2016. Le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, a lui appelé samedi à une "coordination" entre Téhéran et Moscou afin de "neutraliser ce dangereux complot".
De l'autre côté, certains groupes de rebelles sont soutenus par la Turquie, qui contrôle plusieurs zones du nord syrien. Dans sa première réaction officielle, Ankara a fustigé les "attaques" sur Idleb et sa région après une série de raids opérés par Moscou et Damas. Dans un second temps, le chef de la diplomatie turc s'est entrenu au téléphone avec son homologue russe sur "l'évolution dangereuse de la situation" en Syrie, selon Moscou. "Il semble que la Turquie ne soit pas directement impliquée, mais qu'elle laisse les choses se dérouler, sans adopter de position claire", juge Haid Haid, analyste pour le think tank britannique Chatham House, auprès de L'Orient-Le Jour.
Reste que l'offensive intervient à un moment où la tentative de rapprochement entre la Syrie et la Turquie ne donne rien. Moscou et l'Iran plaident pour une détente, mais Damas réclame un retrait des troupes turques déployées dans le nord de la Syrie, le long de leur frontière commune. Sur X, Caroline Rose, de l'Institut Newlines, avance que la réaction mesurée des alliés de Bachar al-Assad pourrait bien être "une manière de forcer le régime à négocier avec moins de force, en l'absence de tout signe de soutien des Russes et des Iraniens".
La France a d'ailleurs appelé, samedi, à la reprise "sans délai des réunions du Comité constitutionnel syrien, pour parvenir enfin à une solution politique conforme à la résolution" de l'ONU, adoptée en 2015 pour résoudre le conflit en Syrie.
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