Syrie : pourquoi la perspective de livrer des armes aux rebelles s'éloigne
Les annonces fracassantes de Paris et Londres à l'occasion des deux ans de la révolte syrienne n'ont pas été suivies d'effet. Explications.
"La France se félicite de l’adoption d’une nouvelle résolution sur la Syrie à l’Assemblée générale des Nations unies…" Les communiqués diplomatiques sur la guerre en Syrie s’empilent mais, dans celui publié par le Quai d’Orsay mercredi 15 mai, il n’est plus question de livrer des armes aux rebelles, en lutte depuis plus de deux ans contre le régime de Bachar Al-Assad. On est loin des déclarations fortes de Paris et Londres, qui s'affirmaient prêts mi-mars à équiper les opposants. Pourquoi la perspective d’une livraison d’armes lourdes aux insurgés s’éloigne-t-elle ?
Parce que ce n’est pas la priorité
Croissance en berne et même récession pour la France, les pays occidentaux doivent prendre la crise économique à bras le corps. "Les soucis d'ordre économique monopolisent l'attention et l'action du gouvernement", confirme un ancien diplomate spécialiste du Moyen-Orient, à francetv info. Il rappelle "qu'une telle initiative est loin de recueillir l'accord d'une majorité de Français". "Notre politique, très déclaratoire et vindicative en parole, est beaucoup moins résolue dans l'action", analyse-t-il.
Contrainte par l’embargo sur les armes décidé par Bruxelles, la France dispose d’une marge de manœuvre très limitée. Alors que la majorité des pays de l’Union européenne sont opposés à une aide de cette nature, Paris et Londres doivent éviter d’ouvrir une nouvelle brèche au sein d’une Union déjà fragilisée.
"La France n’a pas abandonné l’idée de livrer des armes aux rebelles, mais le plafond de ses exigences a été relevé, et ses conditions sont un peu plus draconiennes", explique de son côté Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève, joint par francetv info. Notamment en ce qui concerne les destinataires des armes.
Parce que la traçabilité des armes n’est pas assurée
Et pour cause, le visage des rebelles syriens s’assombrit : possible utilisation d’armes chimiques, éviscération filmée d'un soldat par un chef de brigade pourtant réputée modérée, ou parrainage encombrant d'Al-Qaïda pour un groupe majeur. "Des effets d'annonce comme celui-ci ne peuvent que refroidir les pays occidentaux", reconnaît Agnès Levallois, consultante, spécialiste du Moyen-Orient. "A-t-on la garantie que les destinataires sont tous recommandables ? Si oui, que le gouvernement nous communique leurs noms", a confié à francetv info Zobel Behalal, de l'ONG CCFD-Terre solidaire.
"Il est impossible de circonscrire la livraison d’armes à des groupes bien identifiés. Ils peuvent les revendre autant que se les faire voler, souligne Fabrice Balanche, du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo). D’autant que les rebelles qui sont en accord avec les valeurs que souhaitent porter les Occidentaux en Syrie sont minoritaires, voire en quantité négligeable, pointe le chercheur. Si vous livrez des armes, autant le faire à des gens efficaces et les plus efficaces, ce sont les islamistes."
"Il ne faut pas s'abriter derrière cela pour ne rien faire", prévient pour sa part Agnès Levallois. Et d'estimer : "Il y a urgence ! Pour l'instant, les radicaux ne sont pas majoritaires, mais, plus on attend, plus ils vont le devenir puisque les modérés et les laïcs n'auront pas les moyens de se battre."
Parce que la Russie soutient encore fermement Damas
"Les annonces de livraisons d’armes par Paris et Londres à l’occasion du deuxième anniversaire du soulèvement, c’était de l’esbroufe", assure Fabrice Balanche, pour qui il n’a jamais été "vraiment question de livrer des armes lourdes aux rebelles". Notamment à cause du soutien encore inconditionnel de la Russie à Damas. "Armer lourdement les rebelles, c’est prendre le risque que Moscou surenchérisse", explique le chercheur. Comme après les raids israéliens près de Damas les 4 et 5 mai, lorsque les Russes ont promis de livrer des missiles S-300 au régime. Des armes qui représentent quasiment leur dernière génération de missile sol-air disponible, et qu'ils n'avaient pas encore fournies à l'armée syrienne.
De surcroît, "la Russie a convaincu les Etats-Unis de la nécessité d’une solution diplomatique plutôt que militaire", rappelle Hasni Abidi. Le 6 mai, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’Etat américain John Kerry ont annoncé conjointement qu’une conférence internationale, rassemblant aussi bien des pro-régime que des opposants, pourrait avoir lieu avant la fin du mois de mai.
Parce que des considérations diplomatiques complexes entrent en jeu
La perspective d’une telle conférence oblige les diplomates à jouer les équilibristes. Car, d'un côté, il est nécessaire, dans ce cadre, de pousser les rebelles à négocier. En effet, Moscou exige un dialogue incluant le régime de Bachar Al-Assad en attendant l’élection présidentielle prévue pour 2014, tandis que l’opposition refuse catégoriquement. "Pour 'contraindre' l'opposition d'y participer, même si les conditions ne sont pas réunies pour elle, il est avantageux de disposer du moyen de pression des armes", analyse l’ancien diplomate français spécialiste du Moyen-Orient : "On n'en donne pas en quantité suffisante, pour que cette opposition n'ait pas d'autre solution que d'accepter un compromis."
D'un autre côté, il est important de permettre aux rebelles d’arriver en position de force aux discussions. "Bachar ne négociera jamais, aussi longtemps, au moins, que les Russes continueront à le soutenir comme ils le font", avertit-il. "Il faut changer le rapport de force sur le terrain, et pour cela, la seule solution est de livrer des armes", abonde Fabrice Balanche. "Il y a urgence, corrobore Agnès Levallois, qui estime que, à l'heure actuelle, aucun des deux camps n'est en mesure de l'emporter militairement."
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