Syrie : "Renouer le dialogue avec Bachar Al-Assad est un leurre"
Pour Agnès Levallois, spécialiste de la Syrie, accepter de discuter à nouveau avec le président syrien ne sert à rien, car il n'aurait aucun moyen de mettre fin au conflit qui sème le chaos au Moyen-Orient.
Le débat refait surface. Au lendemain de la diffusion de l'interview de Bachar Al-Assad, lundi 20 avril sur France 2, la question de renouer ou non le dialogue avec le président syrien pour trouver une sortie de crise en Syrie se pose à nouveau. Mais pour Agnès Levallois, spécialiste de la Syrie et professeur à l'ENA, cette idée n'a pas lieu d'être, car le régime n'a plus le poids géopolitique qui était le sien avant le conflit.
Francetv info : Peut-on éviter de renouer le dialogue avec Bachar Al-Assad ?
Agnès Levallois : Je poserais la question différemment : qu'a-t-on à gagner à renouer le dialogue avec lui ? Et, selon moi, la réponse est... pas grand-chose. Si, pour l'instant, autant de terroristes font ce qu'ils veulent en Syrie, c'est que le régime n'arrive pas à gérer cette situation. Aujourd'hui, Assad ne contrôle qu'une partie du territoire syrien. Or, les jihadistes, notamment ceux de l'organisation de l'Etat islamique, se trouvent dans des zones que le pouvoir syrien ne contrôle pas du tout. Pour les Occidentaux, si l'objectif d'une reprise des négociations avec Bachar Al-Assad est de lutter contre le terrorisme, je ne vois pas en quoi il est en mesure de nous apporter une quelconque aide.
Ne pensez-vous pas que Bachar Al-Assad dispose de renseignements qui pourraient être utiles à la France pour lutter contre les réseaux terroristes ?
Mais les réseaux dont vous parlez sont actifs dans des zones qui sont totalement hors de son contrôle ! Les Français qui partent en Syrie pour combattre dans les rangs de l'Etat islamique ne se rendent pas dans des zones contrôlées par Assad. Le régime ne dispose donc pas de beaucoup plus d'éléments que nous contre ces réseaux qu'il ne parvient pas à éradiquer. Il a même fait le choix de leur abandonner une partie du territoire, notamment l'est du pays.
Bachar Al-Assad n'a rien à offrir. Aujourd'hui, vu sa situation, s'il disposait de la moindre information, il l'aurait fait savoir aux Occidentaux, qui auraient saisi la balle au bond. Quand on veut négocier, on montre d'abord qu'on est de bonne foi. Or il n'a rien montré, à part des grandes phrases, des grandes interviews dans les médias occidentaux. En fait, avec ses déclarations, il joue sa dernière carte : un plan de communication très bien organisé, destiné à faire de lui un interlocuteur incontournable. Et les gens finissent par se dire que, vu le chaos général, la meilleure solution est d'aller négocier avec lui.
Selon vous, il serait tellement affaibli qu'il ne compterait plus que sur sa communication ?
En dépit de l'aide considérable de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, il ne contrôle que 40% de son territoire. Il est profondément affaibli, et l'instabilité se rapproche de Damas. Pour redorer son image et continuer à exister, il compte sur les réseaux diplomatiques dans les pays occidentaux qui pensent que la Syrie reste un acteur incontournable dans la région. Certains nostalgiques croient toujours que le régime syrien a cette capacité à assurer une certaine sécurité régionale. Or, vu le chaos qui règne dans la zone, il est clair qu'il n'en a plus les moyens. Donc je ne vois pas l'intérêt que nous aurions à négocier avec Assad.
Avec qui faut-il négocier alors ?
Tout dépend de l'objectif. S'il s'agit pour nous de lutter contre le phénomène des jihadistes qui passent en Syrie, la frontière la plus importante est la frontière turque. Donc la négociation importante doit s'établir avec la Turquie qui a une responsabilité primordiale sur ce sujet. Il y a un problème de moyens pour permettre que cette frontière soit plus surveillée. Si on cherche une solution politique, c'est avec les Russes et les Iraniens, seuls capables de faire infléchir le régime syrien, qu'il faut aller négocier. Il reste beaucoup de choses à faire avant de se dire "Allons négocier avec Bachar Al-Assad". C'est un leurre, ça ne servirait qu'à le remettre en selle. Le droit à tuer serait renouvelé pour un homme qui bombarde sa population avec des barils d'explosifs.
C'est aussi la position de la diplomatie française. Pensez-vous qu'elle pourrait changer ?
Le seul changement que pourrait opérer la France, ce serait de refuser de discuter avec Bachar Al-Assad, mais d'accepter une négociation avec des segments du régime. C'est la position de John Kerry [le secrétaire d'Etat américain], qui ne veut pas refaire la bêtise commise en Irak : lorsque les Etats-Unis ont cassé le parti Baas et l'armée, ils ont brisé le pays. En Syrie, il s'agit de mettre hors du jeu Bachar et son clan. Et ça ne peut passer que par une négociation avec l'Iran et la Russie, pour faire en sorte qu'Assad ne soit pas l'interlocuteur syrien et obtenir, enfin, une sortie de crise.
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