Témoignage "J'ai toujours les marques" : ce Syrien raconte le quotidien dans l'une des pires prisons du régime de Bachar al-Assad

Incarcéré pendant huit mois dans l'unes des pires prisons du régime de Bachar al-Assad, Jalal raconte ce qu'il a vécu. Certains propos peuvent choquer.
Article rédigé par Isabelle Labeyrie - avec Fabien Gosset
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Jalal al-Hajj Ali est un ancien prisonnier des geôles de Bachar al-Assad. (ISABELLE LABEYRIE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

C'est l'un des plus importants points d'interrogation du moment en Syrie. Le sort de dizaines de milliers de prisonniers et disparus, dont les corps n'ont pas encore été retrouvés, malgré les fosses communes qui sont régulièrement découvertes dans le pays. Franceinfo a rencontré un ancien prisonnier des geôles de Bachar al-Assad. Détenu dans l'une des pires prisons du régime, la Branche 235, à Damas, qui dépendait du renseignement militaire.

C'était en 2016, Jalal al-Hajj Ali avait 20 ans. Pendant huit mois, il a vécu l'enfer, jusqu'à ce que sa famille réunisse la somme exigée par ses geôliers. "Mes parents m'ont acheté pour 32 000 dollars, ils ont acheté ma vie 32 000 dollars. Et mes amis, qui n'avaient pas d'argent, on les a perdus... Chaque fois que j'y pense, j'ai les larmes aux yeux", confie-t-il.

"J’essaie d’oublier, mais je n'y arrive pas. Je me sens coupable. J’ai pris des médicaments, ça n'a pas marché. J’ai beau faire semblant, à l’intérieur, je ne suis plus rien."

Jalal al-Hajj Ali

à franceinfo

Quand Bachar al-Assad est tombé, Jalal al-Hajj Ali a tenté de retrouver les amis arrêtés avec lui. Samir, son frère de cœur, en fait partie. Il était le seul garçon de sa famille. "Sa mère m'a appelé dès le premier jour. Elle m'a dit 'ses sœurs ont décoré la maison, elles l'attendent, ramène-le nous !' Mais j'ai cherché partout, partout. Je n'ai plus d'espoir. Maintenant, elle m'appelle tous les jours, et moi, je n'arrive pas à lui répondre. J'ai même fermé mon téléphone - deux jours -  tu le crois ça ?"

Ses vêtements de sport haut de gamme contrastent avec ses yeux fiévreux, son visage émacié. Jalal dit qu'il a été broyé. Sa santé physique et mentale vacille parfois. Le rescapé sait que ceux qu'il cherche n'ont pas pu survivre.

Jalal al-Hajj Ali est un ancien prisonnier des geôles de Bachar al-Assad. (ISABELLE LABEYRIE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

À sa main gauche, il lui manque deux doigts : "On m'a planté des clous dans les doigts, dans le sexe, on m'a arraché les ongles. On m'a battu avec des câbles électriques. Ils gardaient que les tiges, pour que le métal s'incruste dans la chair. Et après, on nous mettait du sel sur les plaies. J'ai toujours les marques. Et je vous le dis franchement, parmi les prisonniers, je faisais partie des privilégiés", glisse Jalal.

"Il y avait des méthodes que je ne peux même pas te décrire. On nous faisait aussi fondre du plastique sur le corps et de la cire dans les yeux."

Jalal al-Hajj Ali

à franceinfo

Jalal, qui est venu spontanément à notre micro sur une place publique de Damas voudrait crier au monde entier son désir de vengeance contre Bachar al-Assad. "Les plus grands criminels du monde n'ont pas fait comme eux. C'est ça le régime d'un pays ? Je te critique et tu m'élimines de la surface de la terre ? Avoir fait la révolution, c'est ça notre crime ? Le jour du procès, je voudrais être là, pour représenter tous ceux qui ont été détenus ou tués, et dire à la cour pénale internationale : avant qu'il meurt, il doit être torturé comme il nous a torturés. Une torture lente et puis la mort. Une mort brutale, ce serait comme le gracier", relate-t-il.

D'ici là, comme des dizaines et des dizaines de milliers d'autres syriens, Jallal va continuer à chercher les corps de ses proches. Cela, dit-il, "va m'aider à survivre."

Ce Syrien raconte le quotidien dans l'une des pires prisons du régime de Bachar al-Assad. Reportage d'Isabelle Labeyrie.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.