Législatives au Royaume-Uni : "C'est reparti pour le référendum sur l'indépendance en Ecosse"
Les élections législatives au Royaume-Uni sont finalement pleines de surprises. Sarah Pickard, spécialiste de la vie politique britannique, analyse la victoire des conservateurs et la percée des nationalistes écossais.
Ils sont crédités de 329 sièges. Les conservateurs britanniques, emmenés par le Premier ministre, David Cameron, semblent bien partis pour être les grands vainqueurs des élections législatives britanniques du 7 mai. Les "Tories" atteignent la majorité, selon la dernière estimation de la BBC. En face, le Parti travailliste enregistre une amère défaite et pourrait n'obtenir que 234 sièges.
En attendant les résultats définitifs, Sarah Pickard, maître de conférences en civilisation britannique à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et auteur de Les Anglais (Cavalier bleu), analyse ce scrutin pour francetv info.
Francetv info : Que peut-on dire ce matin à propos de ces résultats ?
Sarah Pickard : C'est incroyable ! On ne s'attendait pas du tout à cela. Nous n'avons pas encore les résultats définitifs, mais une chose est claire : les conservateurs vont avoir une majorité et vont pouvoir former un gouvernement tout seuls, sans l'aide de personne. Désormais, David Cameron peut faire ce qu'il veut. Il va avoir le confort qu'il n'a jamais eu avant. Ces résultats détonnent par rapport aux sondages d'opinions qui prédisaient un scrutin serré, au coude-à-coude entre "Tories" et travaillistes. C'est aussi surprenant par rapport à la politique menée au sein du pays, très divisé socialement.
Comment expliquer la victoire des conservateurs, malgré la politique d'austérité qu'ils ont menée ?
En fait, les Britanniques ont très peur pour l'économie et pensent être entre de meilleures mains avec les conservateurs qu'avec les travaillistes. Les "Tories" ont joué là-dessus et ont mené une campagne sur la peur. Ils ont été très critiques, notamment envers le "Labour" et Ed Miliband, chef de file des travaillistes. On assiste aussi à la chute libre des libéraux-démocrates qui étaient dans le gouvernement. Ils ont été punis pour avoir aidé les conservateurs à gouverner. Ils ont notamment trahi leurs promesses sur les frais de scolarité. Résultat : beaucoup de sièges des LibDem sont allés aux conservateurs. Et les nationalistes écossais (SNP) ont eu presque tous les sièges en Ecosse.
Ed Miliband a reconnu une "nuit très décevante" pour son parti. Ces élections sont un échec cuisant pour lui. Pourquoi n'a-t-il pas réussi à convaincre ?
D'abord, les médias – majoritairement à droite – ont mené une campagne très négative à son égard. Il était présenté comme le geek qui n'aime pas manger des hamburgers. Ils se sont focalisés sur sa personnalité décalée. Ed Miliband n'a pas la stature de l'homme d'Etat qu'est David Cameron, il n'a jamais eu ce poids. Il semble aussi qu'on ne lui ait pas pardonné d'avoir battu son frère David pour prendre la tête du Parti travailliste. Les conservateurs ont beaucoup insisté là-dessus, sur le mode "Laisserez-vous le pays à un homme qui a fait ça à son frère ?" Enfin, il a mené une politique moins centriste au sein du parti, plus à gauche. Cela a fait peur.
Les dernières estimations tranchent avec les prédictions des sondages. Pour quelles raisons se sont-ils tant trompés ?
C'est sûr que les organismes de sondages vont avoir des réponses à donner. Ce décalage s'explique par le nombre d'indécis, qui hésitaient encore au moment de voter. Ceux-là ne sont pas comptabilisés au moment des enquêtes d'opinions. Beaucoup d'électeurs ont aussi eu peur de dire qu'ils votaient pour les conservateurs, comme s'ils avaient honte. C'est ce qu'on appelle les conservateurs-timides. Enfin, le système électoral a compliqué la donne. Au sein des circonscriptions, il faut juste avoir une voix de plus que les autres pour remporter un siège. Ainsi, le Ukip (parti europhobe) était crédité de 14% des voix, mais n'aura finalement qu'un siège car il arrive toujours en 2e ou 3e position dans les circonscriptions, ce qui ne compte pour rien. A l'inverse, les nationalistes écossais vont avoir beaucoup de sièges alors qu'ils ont eu peu de voix.
La percée des nationalistes écossais est surprenante quand on sait que le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse s'est soldé par un "non" à l'automne dernier. Comment ont-ils réussi à s'imposer ?
Nicola Sturgeon, la chef du Scottish National Party (SNP), a fait la différence. C'est une très bonne oratrice et une femme passionnée qui parle franchement. Cela a plu. Elle a su mobiliser autour du sentiment écossais, de la fierté d'être écossais. Voter ou non pour le SNP, c'était être pour ou contre l'Ecosse. Avec cette percée, c'est reparti pour le référendum sur l'indépendance ! Il y a six mois, Alex Salmond [ancien dirigeant du SNP, qui a démissionné depuis] parlait de vote générationnel. Maintenant, ils ont toute la légitimité d'en refaire un...
Entre ce référendum écossais et la question du "Brexit", à quoi doit-on s'attendre pour le Royaume-Uni, dans un futur proche ?
Pour l'Ecosse, David Cameron va devoir accorder plus de pouvoir, de "devolution" (décentralisation du pouvoir). Mais, à mon avis, ça ne suffira pas, car l'Ecosse ne supporte pas les conservateurs. On peut donc imaginer bientôt une sortie de l'Ecosse du Royaume-Uni. Sur la question de la sortie de l'Union européenne, le Premier ministre britannique va être obligé d'organiser le référendum qu'il a promis d'ici 2017. Mais le Royaume-Uni ne devrait pas quitter l'Europe. L'opinion publique est plutôt favorable à y rester et David Cameron souhaite la même chose, car il est conscient que ce sera bon pour le commerce. Les Britanniques sont assez pragmatiques : si on explique que l'Europe est positive pour le royaume, ils ne devraient pas tenter le "Brexit". Cela dépendra du Ukip. Mais le parti ne devrait obtenir qu'un siège, il aura peu de pouvoir.
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