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Nicola Sturgeon, l'indépendantiste écossaise qui dynamite les législatives britanniques

La chef de file du parti indépendantiste écossais, le Scottish National Party, fait sensation dans la campagne pour les élections qui se tiendront le 7 mai. Attaquée mais populaire, elle pourrait détenir les clés du scrutin.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Nicola Sturgeon salue ses supporters, après un déplacement à Ayrshire, en Ecosse, le 27 avril 2015. (ANDY BUCHANAN / AFP)

"Queen of Scotland", écrit le tabloïd conservateur The Daily Mail (article en anglais) au sujet de "la femme la plus dangereuse du Royaume-Uni". Au cœur de la campagne électorale pour les législatives au Royaume-Uni qui se tiendront le 7 mai, plutôt morne et terne, Nicola Sturgeon déchaîne les passions. Le maire conservateur – et loufoque – de Londres, Boris Johnson, a qualifié la chef de file du parti indépendantiste écossais, le Scottish National Party (SNP), de "Lady Macbeth à talons hauts". On la traite de "Godzilla mangeur de bébés", de "petite dame qui en a plus dans le pantalon que ses opposants masculins"... Mais les insultes n'y font rien. Bien au contraire. "La diabolisation de Nicola Sturgeon renforce sa popularité et la menace qu'elle incarne", déplore ainsi The Guardian (article en anglais).

Pourquoi tant de haine ? Alors que les conservateurs (Tories), au pouvoir, et les travaillistes (Labour), sont au coude-à-coude dans les sondages, Nicola Sturgeon est en position de faiseuse de roi. Partis pour remporter l'immense majorité des circonscriptions d'Ecosse, les indépendantistes sont en mesure de propulser Ed Miliband, le chef de file des travaillistes, au 10 Downing Street et de chasser David Cameron. Mais la "Sturgeon mania" tient surtout à la personnalité de la "femme la plus puissante du Royaume-Uni".

Sur les traces de "Borgen"

Partout où elle passe, la même scène se répète. On se bouscule pour un selfie avec Nicola Sturgeon, toujours souriante et à l'aise avec la population. Dans la foule, on la repère aisément grâce à ses vestes aux couleurs vives. Derrière un visage lisse et doux se cache un véritable animal politique. Son parcours ressemble à celui de l'héroïne de sa série préférée, Borgen, une femme au pouvoir, qui met en scène une Première ministre danoise. Agée de 44 ans, Sturgeon s'est engagée au SNP à 16 ans, en 1986, pour protester contre la politique menée par Margaret Thatcher qui "ôtait tout espoir"

Nicola Sturgeon se prête au jeu du selfie, à Glasgow, le 25 avril.  (ANDY BUCHANAN / AFP)

Elle étudie le droit à Glasgow et milite notamment en faveur du désarmement nucléaire. A cette époque, les indépendantistes écossais sont au creux de la vague. Issue d'un milieu populaire, fille d'une infirmière et d'un électricien, Sturgeon se positionne clairement à gauche sur l'échiquier politique britannique : "Je suis entrée en politique à cause de mon désir de justice sociale et de plus grande égalité", dit-elle. Un temps avocate, elle va se consacrer à 100% à sa carrière politique et accompagner la transition du SNP d'un parti folklorique vers une formation puissante.

"Bonbon acide"

Nicola Sturgeon va gravir les échelons chez les indépendantistes écossais avec trois atouts majeurs : pugnacité, habileté politique et popularité. "Même ceux qui rejettent le nationalisme écossais ou son programme de gauche admirent l'animal politique et son sens de la répartie", constate Sarah Pickard, maître de conférences et chercheuse en civilisation britannique à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. "Elle est charismatique. Sturgeon est droite et son discours est posé, elle renvoie de la détermination", poursuit l'auteure de La Civilisation britannique, contactée par francetv info.

Les tenues colorées et les talons hauts de Nicola Sturgeon, sources de nombreux commentaires dans la presse britannique.  (RUSSELL CHEYNE / REUTERS)

Elue pour la première fois au Parlement écossais en 1999, en pleines années Tony Blair, Sturgeon s'impose rapidement au centre du jeu politique écossais. Son style direct, ses tenues colorées et son ambition lui valent alors le surnom de "bonbon acide". En 2004, elle accède à la vice-présidence du SNP, dirigé par Alex Salmond. Réputée pour sa connaissance des dossiers, la jeune femme s'attelle aux questions de santé, de justice et d'éducation. Dans l'hémicycle d'Edimbourg, elle ferraille dur avec les travaillistes sur le nucléaire militaire. "Son discours imprime, non pas parce que c'est une femme, mais parce qu'elle est directe, efficace et flamboyante", observe Sarah Pickard.

Première femme à occuper le poste de Premier ministre d'Ecosse

Elle devient ministre et vice-Premier ministre du gouvernement écossais en 2007. Sturgeon se fait particulièrement remarquer en 2009 lors du renvoi de l'auteur supposé de l'attentat de Lockerbie, détenu en Ecosse, dans son pays d'origine, la Libye. Face à la colère de Londres et de Washington, Nicola Sturgeon va assumer un geste humanitaire. Reconduite en 2011 au poste de vice-Premier ministre, elle va négocier les modalités, hautement politiques, d'organisation du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse. Le 19 septembre 2014, le "non" l'emporte et Nicola Sturgeon, qui a combattu âprement dans le camp du "oui", ne cache pas sa profonde déception. "Notre cause n'a pas triomphé. Mais, mes amis, sachez qu'elle va l'emporter. L'Ecosse va devenir un pays indépendant", promet-elle.

Après cet échec, le leader historique des indépendantistes, Alex Salmond, s'efface au profit du numéro deux : Nicola Sturgeon, qui devient ainsi la première femme à occuper le poste de Premier ministre d'Ecosse. La campagne pour les législatives de mai va achever d'asseoir sa popularité bien au-delà des frontières écossaises. Téléspectatrice assidue de "The Voice" et de "X Factor", mariée depuis 2010 avec un dirigeant du SNP (qui lui sert aussi de chauffeur personnel, car elle n'a pas le permis de conduire), sans enfant, Nicola Sturgeon fascine les Britanniques par son aisance en public.

Elle crève l'écran lors des débats

Lors du premier débat national, le 2 avril, face au Premier ministre britannique, David Cameron, au candidat travailliste Ed Miliband, à Nigel Farage (leader du parti europhobe et populiste Ukip) ou à Nick Clegg (chef de file des libéraux-démocrates), elle s'est nettement imposée, et les sondages l'ont désignée vainqueur de la confrontation. Anglais, Gallois et Irlandais ironisent sur les réseaux sociaux, se demandant comment voter pour le SNP écossais. "C'est dommage que l'on ne puisse pas voter pour elle, regrette une internaute. Je l'aurais fait si j'avais pu. Peut-être devrais-je vivre en Ecosse."

Redoutable oratrice, le 16 avril, elle lance à Nigel Farage à l'occasion d'un débat entre les candidats de l'opposition : "Arrêtez de désigner les immigrés comme responsables de tous les maux de ce pays !" Sturgeon ne se démonte pas non plus face aux travaillistes à qui elle reproche d'être "pratiquement sur la même ligne que George Osborne", le ministre des Finances de David Cameron, symbole d'une politique d'austérité, relève le Guardian (article en anglais). 

Une affiche du parti conservateur montrant Nicola Sturgeon, leader du SNP, et Ed Miliband, chef de file des travaillistes, dans la poche de sa veste.  (OLI SCARFF / AFP)

"Nous avons la possibilité de sortir David Cameron de Downing Street. Ne tournez pas le dos à cela. Les gens ne vous le pardonneraient jamais"dit-elle aujourd'hui à Ed Miliband. Pour l'instant, le travailliste refuse farouchement les propositions des indépendantistes pour ne pas paraître dépendant de leur soutien. "Je ne mettrai jamais en péril l’unité du pays", lui répond-il le 16 avril. "Je soupçonne qu'Ed Miliband changera son fusil d'épaule une fois que les votes seront comptés. S'il n'a pas de majorité, il va bien devoir travailler avec les autres partis", a déclaré, confiante, Nicola Sturgeon. Si une coalition avec les travaillistes reste peu probable, une alliance pour un soutien des indépendantistes lors des votes importants n'est pas à écarter. Une marche de plus vers son objectif premier : voir "de son vivant" l'accession de l'Ecosse à l'indépendance.

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