Législatives britanniques : pourquoi le parti europhobe Ukip pourrait sombrer après les élections
Le parti, dont le cheval de bataille est la sortie de l'Union européenne depuis sa création, risque de ne pas survivre aux élections législatives anticipées du 8 juin.
Une victoire à la Pyrrhus. C’est le sentiment qui domine au sein de l'United Kingdom Independence Party (Ukip), le 24 juin 2016, au lendemain du référendum sur le Brexit. Les Britanniques ont décidé à 51,9% de sortir de l’Union européenne, privant le parti europhobe de l'argument qui lui a permis de prospérer. L’aile droite du Parti conservateur, sous l’impulsion de l’ancien maire de Londres Boris Johnson, en profite pour récupérer le sujet et rassembler le camp du "leave".
L’Ukip, abandonné par son leader charismatique Nigel Farage, se trouve désormais pris au piège du "hard Brexit" (la sortie complète de l'UE) incarné par la Première ministre, Theresa May. Et risque de manquer la marche des élections législatives, qui se déroulent jeudi 8 juin. Le parti s'exposerait même à une "disparition probable à moyen terme", selon Karine Tournier-Sol, maître de conférences en civilisation britannique à l’université de Toulon. Voici pourquoi.
Parce que le parti a perdu sa raison d’exister
L'Ukip est né en 1993 pour protester contre l'application du traité de Maastricht. Il voulait en finir avec les transferts de souveraineté britannique vers l’Union européenne et n’acceptait pas que certaines législations nationales soient votées au niveau européen. D’après le texte constitutif du parti (en anglais), le Royaume-Uni "doit être gouverné par des lois adaptées à ses propres besoins par son propre Parlement, qui doit être directement et seulement responsable de ses actes devant l'électorat britannique".
Or, le Royaume-Uni a entamé le 29 mars des négociations pour sortir de l'UE. Dès le "oui" au Brexit, Nigel Farage s'est réjoui d'avoir "atteint [son] objectif" et d'avoir "accompli [sa] mission". Onze mois plus tard, le parti traverse pourtant une grave crise existentielle. "L'Ukip n’a plus de raison d’être. Il redevient le parti radical d’extrême droite en costume-cravate, comme on le surnommait à ses débuts, et il se marginalise", analyse Karine Tournier-Sol.
Lors des élections locales de mai, le parti s'est effondré là où le Parti conservateur a raflé des sièges. "Si le prix à payer pour voir le Royaume-Uni quitter l'UE est une progression des conservateurs qui se sont saisis de cette cause patriotique, alors c'est un prix que l'Ukip est prêt à payer", a commenté, amer, le leader de la formation, Paul Nuttall.
Parce que l’Ukip n’a plus d’espace politique
Dans les sondages, l'Ukip s’effondre. Premier parti aux élections européennes de 2014 avec 27,5% des voix, il avait su tirer son épingle du jeu un an plus tard aux dernières élections législatives britanniques, en rassemblant 3,88 millions d’électeurs (12,6% des suffrages). Mais, selon les dernières enquêtes, citées par le quotidien britannique The Telegraph, l'Ukip n’obtiendrait que 4% des voix, loin derrière les conservateurs (43%), les travaillistes (37%) et les libéraux démocrates (8%), qu'il devançait encore en avril. Décrocher un siège à la Chambre des communes relèverait pour l’Ukip de l’exploit.
D’après un sondage publié lundi par The Sun, le Parti conservateur a convaincu 2 millions d’électeurs de l'Ukip tandis que d’autres se tournent à nouveau vers le programme très à gauche des travaillistes, menés par Jeremy Corbyn. Karine Tournier-Sol observe que le Brexit a brouillé le discours de l'Ukip. Ses principales propositions se retrouvent dans les arguments de ses concurrents.
"Dans son manifeste électoral, l’Ukip se présente comme la police d’assurance du Brexit, explique la spécialiste. Mais le 'hard Brexit' défendu par Theresa May lui a retiré ses derniers souffles d’oxygène. L'Ukip défend l’immigration sélective, la sécurité et l’intégration. Autant de promesses que la Première ministre formule également. De l’autre côté de l'échiquier politique, Jeremy Corbyn expose des idées très à gauche qui pourraient convaincre beaucoup de laissés pour compte de la mondialisation ciblés par l’Ukip. Le parti n'est pas audible. Beaucoup de membres de l'Ukip reviennent dans le camp conservateur."
Même l'actualité n'est pas favorable au parti. Après les attentats de Westminster, de Manchester et du London Bridge, le parti a tenté de "se repositionner sur une ligne anti-islam qu'il n'assume pas. Il tente de se radicaliser pour trouver un nouvel espace, sans succès", note Karine Tournier-Sol.
Parce qu'il n’a plus de leader
"Pendant la campagne du référendum, j'ai déclaré que je voulais récupérer mon pays. Maintenant, je dis que je veux récupérer ma vie." Quelques jours après le référendum, lors d'une conférence de presse impromptue, Nigel Farage annonce avec fracas sa démission de l'Ukip. Le Brexit était son obsession, mais il refuse d’y participer. "La démission de Nigel Farage ? C'est comme un braqueur fuyant les lieux de son larcin", raille à l'époque le Daily Mirror.
Depuis, le parti se cherche un leader. Diane James succède à Nigel Farage mais démissionne en octobre, 18 jours après son élection, "pour des raisons personnelles et professionnelles", rapporte Le Monde. "On lui avait forcé la main pour qu’elle prenne la présidence", commente Karine Tournier-Sol. Toujours en octobre, deux eurodéputés de l'Ukip se battent au Parlement de Strasbourg. L’un d’eux, Steven Woolfe, est grièvement blessé. Selon Libération, ce dernier, alors favori pour prendre la tête du parti, "aurait évoqué [quelques jours plus tôt] sa défection possible vers le Parti conservateur, voire un rapprochement de l'Ukip vers les tories", ce qui serait à l'origine de cette violente altercation. Il démissionne du parti peu après, en dénonçant "un parti ingouvernable sans Nigel Farage".
Depuis, la question du leadership, essentielle pour l'avenir de l'Ukip, n'est toujours pas réglée. "Les enquêtes d'opinion montrent que le charisme du chef du parti compte presque autant que le parti lui-même dans ses résultats électoraux", note Peter Catterall, professeur de sciences politiques à l'université de Westminster, cité par La Croix. Privé de chef charismatique, le parti devient incontrôlable et des courants autoritaires en profitent. "On voit resurgir des factions dont le parti s’était pourtant séparé, assure Karine Tournier-Sol. Ces guerres intestines révèlent des rivalités personnelles et des combats d’idées."
Après la défaite aux élections locales de mai, l'un des principaux bienfaiteurs du parti, cité par le Guardian, a eu cette métaphore automobile cinglante sur le nouveau leader du parti, Paul Nuttall : "Nigel Farage était un pilote expérimenté, qui conduisait de plus en plus en vite en sachant prendre des risques. Mais la nouvelle direction s'est crashée au premier tour, tuant le pilote et les spectateurs."
Parce qu'il n’a plus d’argent
Le nerf de la guerre reste l’argent et l'Ukip n’en a plus. Les élections législatives anticipées l'ont complètement pris de court. Sur les 650 sièges à pourvoir, le parti europhobe ne présente que 378 candidats, contre 624 en 2015. "Il n’a pas les moyens de présenter davantage de candidats", relève Karine Tournier-Sol. Qui plus est, ses sources de financement risquent de se tarir pour de bon. Le parti vit des fonds européens perçus par ses 20 eurodéputés et ne dispose pas d'assez d’élus locaux au Royaume-Uni pour espérer survivre financièrement.
"L'Ukip se sert du Parlement européen comme d’une formidable plateforme d’expression", ajoute la chercheuse, qui prédit des heures difficiles pour le parti. "L'Ukip pourrait perdurer, mais il faudrait qu'il évolue, sinon il risque de rester dépendant de l’actualité. Une des pistes l’amènerait à défendre le nationalisme anglais, mais l'Ukip ne semble pas près de l’assumer. En attendant, il va vivoter en jugeant de l’impact du Brexit sur les classes populaires."
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