Manifestations de soutien à Navalny : "Le pouvoir tient, mais il tient par la peur", affirme une spécialiste de la Russie
"Les gens ne sortent pas pour défendre Navalny, mais ils sortent parce qu'ils en ont assez de cette corruption", a estimé sur franceinfo Cécile Vaissié, spécialiste de la Russie. Les manifestations contre Vladimir Poutine et en soutien à Navalny se sont multipliées ces dernières semaines.
"Le pouvoir tient, mais il tient par la peur", a estimé ce dimanche sur franceinfo Cécile Vaissié, professeure en études russes soviétiques, et post-soviétiques à l'université Rennes 2, alors que de nouvelles manifestations ont lieu pour réclamer la libération de l'opposant Alexeï Navalny.
Selon les ONG, 250 arrestations ont eu lieu à Moscou, plus de 3 800 au total dans tout le pays, parmi lesquelles l'épouse d'Alexeï Navalny.
Selon Cécile Vaissié, "les gens ne sortent pas pour défendre Navalny, mais ils sortent parce qu'ils en ont assez de cette corruption". "Un des slogans qu'on a le plus entendu, c'est Poutine est un voleur", a-t-elle ajouté.
franceinfo : Cette manifestation est-elle dirigée contre Vladimir Poutine ou pour soutenir Alexeï Navalny ?
Cécile Vaissié : Globalement, ce n'est pas un soutien à Navalny. Les gens le disent quand ils sont interrogés par les médias russes. Un des slogans qu'on a le plus entendu, c'est "Poutine est un voleur". Donc les gens sont sortis parce qu'ils en ont assez de cette corruption absolument énorme au plus haut niveau de l'Etat. Cette corruption a été effectivement montrée par Navalny et a été montrée par d'autres et dont chaque citoyen russe voit un certain nombre d'éléments à son niveau dans le quotidien. C'est ça qui les a fait sortir, plus le fait qu'ils sont indignés par le fait que l'Etat utilise leurs impôts, ses moyens financiers pour faire suivre des opposants et tenter de les faire empoisonner, comme ça a été le Navalny.
Une autre enquête a démontré que la même équipe aurait assassiné trois autres opposants dans le Caucase. Donc, les Russes sortent pour demander la libération des prisonniers politiques : Navalny n'est pas le seul emprisonné. Ils demandent aussi la fin de la corruption, et beaucoup de jeunes disent "On en marre, on veut de la justice, on veut une forme d'égalité". C'est ce qui revient dans les cortèges. Ce n'est pas du tout le culte d'un chef emprisonné.
Cela signifie-t-il que le pouvoir de Vladimir Poutine est en train de s'éroder ?
Effectivement, j'ai été étonnée de voir autant de monde, notamment dans les grandes villes comme à Moscou, où il y a eu énormément de manifestants par rapport aux mesures qui ont été mises en place par le régime à Saint-Pétersbourg et à Iekaterinbourg. Toute la semaine dernière, on a entendu dire que des proches de Navalny ou des figures de l'opposition étaient arrêtés, étaient jugés très vite, certains ont été condamnés à 10 jours d'emprisonnement donc il s'agissait de les écarter. D'autres, dont la juriste du fonds anti-corruption ou le frère de Navalny, relativement peu actif, ont été condamnés à des peines de deux mois d'assignation à domicile avec interdiction d'avoir accès à internet, interdiction de contacter des proches.
On a vu ces menaces : dans mon entourage, j'ai des cas de personnes qui ont reçu la visite de la police chez eux et qui leur demandait où étaient leurs enfants étudiants. Le pouvoir tient, mais le pouvoir tient par la peur. Deux choses m'ont frappée : ce déchaînement de mesures pour faire peur à la population, aussi bien les arrestations que le fait que le centre de Moscou est bloqué, et ça a été annoncé deux jours avant. Des Russes ont dit qu'ils n'avaient jamais vu ça depuis 1982, depuis la mort de Brejnev.
Une opposition politique peut-elle se construire ?
C'est un peu la difficulté. Ce qui m'a frappée, c'est que même sans leader, les gens sortent. Il faut revoir nos définitions de ce qu'est une opposition politique, c'est-à-dire qu'on a dorénavant des liens qui se font sur le plan horizontal, notamment via les réseaux sociaux. Et on a des gens qui ne sortent pas pour défendre Navalny, mais qui parce qu'ils en ont assez. Ils comprennent qu'ils font face à un régime qui est en bout de course, qui n'a plus d'idées, mais qui a les forces de l'ordre. Face à ça, ce qu'ils veulent, c'est de la justice et ils veulent un pays normal, où ils pourront élever leurs enfants tranquillement.
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