Affaire Alexeï Navalny : ce que l'on sait des accusations à l'encontre du FSB, le service de renseignement russe
Le site d'investigation Bellingcat et plusieurs médias ont remonté le fil des évènements de l'été 2020. Ils pointent la responsabilité des services secrets dans l'empoisonnement de l'opposant du Kremlin.
L'épais nuage de fumée qui entoure la tentative d'assassinat d'Alexeï Navalny, bête noire du pouvoir russe, se dissipe. L'empoisonnement à un neurotoxique de type militaire, similaire au célèbre poison Novitchock, a été orchestré par un groupe d'espions spécialisé des renseignements russes (FSB), affirme une enquête publiée lundi 14 décembre par le site d'investigation Bellingcat (en anglais).
Le 20 août 2020, Alexeï Navalny, avocat et principal opposant de Vladimir Poutine, a été évacué en urgence de l'avion qu'il s'apprêtait à prendre pour rejoindre Moscou depuis Tomsk, en Sibérie. Hospitalisé en soins intensifs en Russie, il a été plongé dans le coma et transféré en Allemagne, où une substance toxique de type Novitchok a été détectée par des laboratoires occidentaux.
Une enquête menée par plusieurs médias internationaux
Le site Bellingcat et plusieurs autres médias, dont la chaîne américaine CNN, le média russe The Insider et le quotidien allemand Der Spiegel, ont mené une longue enquête. Ils démontrent que la Russie n'a pas mis fin, contrairement à ce qui a été annoncé, à son programme d'armes chimiques, après sa fermeture officielle en 2010. "Ses scientifiques ont été réembauchés par des instituts qui se livrent à des recherches prétendument civiles", avance le site.
En s'appuyant sur diverses sources d'informations, notamment les données de vols d'avions, les registres d'embarquements ou les données de géolocalisation mobile, les journalistes rapportent également que plusieurs membres des services de renseignement russes ont joué un rôle dans l'empoisonnement de l'opposant politique. Ils publient leurs noms et photographies, et concluent que le soupçon semble "reposer uniquement sur l'Etat russe". Alexeï Navalny a lui-même pris part à l'enquête.
Ce n'est pas la première fois que Bellingcat fait des révélations sur une affaire de ce type : en 2018, le site avait déjà dévoilé l'identité des membres du renseignement militaire russe, responsables, selon le média d'investigation, de l'empoisonnement au Novitchok d'un ex-agent double, Sergueï Skripal, en Angleterre.
Une filature depuis plusieurs années
En s'appuyant sur les différentes données recueillies, les journalistes ont identifié quinze agents du FSB impliqués, dont au moins huit étaient en contact étroit pendant l'opération. Les trajets de six d'entre eux sont reconstitués et mis en relation avec ceux de l'opposant.
En plus d'une filature dite classique
, Alexeï Navalny était suivi depuis décembre 2016 par un groupe d'espions spécialisés dans la médecine et la chimie lors de ses déplacements hors de Moscou, conclut le site. A près de 40 reprises, le militant a été suivi par les agents en question dans des déplacements à travers la Russie, notamment menés pour préparer sa campagne présidentielle de 2018. Ces agents prenaient des chambres dans les mêmes hôtels que l'avocat et l'un des espions identifiés s'était installé dans le même ensemble résidentiel que Navalny, rapporte Bellingcat. Ils œuvraient par ailleurs avec un laboratoire des services ayant travaillé sur les armes chimiques, dont le Novitchok.
Отличная работа @CNN и @clarissaward. Они вломились прямо домой к Олегу Таякину, координатору убийства pic.twitter.com/yUsahjVa7K
— Alexey Navalny (@navalny) December 14, 2020
L'article n'établit toutefois aucun contact direct entre ces agents et l'opposant, ni de preuve d'un passage à l'acte ou d'un ordre donné, mais rappelle que "ces agents se trouvaient à proximité du militant d'opposition dans les jours et les heures correspondant au laps de temps au cours duquel il a été empoisonné par une arme chimique de classe militaire". De son côté, CNN est allée jusqu'à filmer la recherche des agents du FSB à leur domicile.
Navalny considère l'affaire résolue
Alexeï Navalny a déclaré lundi que les faits étaient désormais établis au sujet de son empoisonnement. Dans une vidéo publiée le même jour, l'opposant déclare, photos des agents cités dans l'enquête à la main : "Je sais qui a voulu me tuer. Je sais où ils vivent. Je sais où ils travaillent. Je connais leurs vraies identités. Je connais leurs fausses identités. J'ai leurs photos."
"Ils ont commencé leur mission quelques jours après l'annonce de ma candidature à la présidentielle de 2018. C'est là que Poutine a décidé de me tuer, affirme-t-il. C'est l'histoire d'un groupe secret d'assassins du FSB, qui comprend des médecins et des chimistes, de la façon dont ils ont essayé de me tuer à plusieurs reprises et dont ils ont quasiment tué ma femme une fois."
Le Kremlin juge l'enquête "comique"
Pour le moment, ni le Kremlin ni le FSB n'ont commenté les révélations de Bellingcat. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a réagi mercredi 16 décembre, qualifiant l'enquête de "comique" lors d'une conférence de presse à Zagreb, dans le cadre d'une visite officielle en Croatie. "La façon dont ces nouvelles sont présentées ne révèle qu'une chose : l'absence d'éthique chez nos partenaires occidentaux et de compétences diplomatiques normales", a-t-il accusé, avançant que ces accusations seraient proférées par des pouvoirs occidentaux.
La Russie continue de démentir qu'Alexeï Navalny a été empoisonné le 20 août. Le Kremlin affirme que la substance toxique détectée après son hospitalisation en Allemagne n'était pas présente dans son organisme lorsqu'il était soigné en Russie.
Si les résultats d'une enquête officielle manquent encore, des sanctions ont déjà été annoncées à l'encontre de la présidence russe : l'Union européenne a sanctionné le 15 octobre plusieurs proches du président russe Vladimir Poutine, jugés par l'institution comme responsables de l'empoisonnement de l'opposant politique. Parmi eux figuraient Andreï Yarin, chef de la direction des affaires intérieures de l'administration présidentielle, son adjoint Sergueï Kirienko, le vice-ministre de la Défense, Pavel Popov, trois autres responsables russes, ainsi que le State Scientific Research Institute for Organic Chemistry and Technology.
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